Céréales biologiques
Sarrasin bio, les cours s’envolent
La demande soutenue n’est pas satisfaite en raison d’une récolte exceptionnellement médiocre en Europe. De quoi renforcer la fermeté des prix
Du jamais vu dans la filière, augurant la mise au régime sec des amateurs de galettes ! En raison d’aléas climatiques défavorables à cette culture pourtant très rustique, les récoltes européennes de sarrasin sont en dessous de toutes prévisions. En bio, comme en conventionnel, les rendements ont chuté de moitié par rapport à une année normale.
La Bretagne, première région traditionnellement productrice, est touchée de plein fouet. Chez Triskalia, nouvelle entité bretonne née en septembre dernier de la fusion des coopératives Eolys, Coopagri et Cam 56, on le déplore. La filière sarrasin y occupe aujourd’hui 4.000 ha au total, dont 500 ha en bio. Son responsable, Frédéric Gazan, la défend depuis des années : « Nous avons cru depuis longtemps dans son avenir et soutenu son développement sous forme contractuelle avec les producteurs, qui ont ainsi des débouchés sécurisés. » La nouvelle structure coopérative a d’ailleurs profité du travail de fond effectué sur cette culture par Eolys. Certes marginal, le sarrasin est une céréale qui a le vent en poupe, notamment sur le marché porteur du « sans gluten ». Il a ainsi obtenu l’an dernier son Indication géographique protégée (IGP), qui garantit l’origine de la production bretonne face à une forte concurrence. Car ces dernières années, plus de 70 % des besoins français étaient importés, notamment de Chine et des pays de l’Est.
Une récolte catastrophique
Pourtant aujourd’hui, 50 % de la demande hexagonale serait couverte par la production nationale. « Mais la campagne actuelle est particulière, car les rendements ont été perturbés par un manque d’eau en Bretagne, au moment crucial de la croissance de la plante, provoquant un taux d’impureté de 20 % contre 10 % en année normale, d’où des rendements à 8 quintaux l’hectare, contre 15 quintaux habituellement, en bio comme en conventionnel d’ailleurs », précise Frédéric Gazan.
Et comme le prix de vente entre les deux modes de production est assez proche, les transformateurs n’hésitent pas à acheter du bio pour verdir leur image à moindre frais. « Ce différentiel n’est pas assez élevé, note le spécialiste. Même si l’écart entre les rendements n’est pas important, le mode de production bio réclame davantage de rotations et de main d’œuvre, donc des coûts de production globaux plus élevés. »
En tout cas cette année, le prix conventionnel du sarrasin explose, entraînant dans sa foulée celui du bio. En effet, en plus de la mauvaise récolte bretonne, les résultats en Europe de l’Est sont également très affectés, et ce, par les pluies et le froid. « Notre essai sur 10 ha en Hongrie s’est soldé par des rendements catastrophiques de 2 quintaux par hectare », reconnaît Hugues Chaline, responsable bio de Biograins Vert Anjou, filiale de la CAPL, qui collecte aussi 300 ha en France, également touchés par une chute de rendements exceptionnelle. A cela s’ajoute le déficit de la récolte chinoise, dû à des emblavements réduits au profit du blé meunier aux promesses encore plus rémunératrices. De leurs côtés, Russes et Ukrainiens ont fermé leurs frontières, et s’annoncent également acheteurs.
La Bretagne sous contrat
D’où des cours en bio qui atteignent les 1.000 € la tonne en départ voire plus (800 € en conventionnel), contre 600 € l’an dernier à la même époque… Un niveau historique, qui suscite des grincements de dents chez les producteurs bretons. En effet, le collecteur Triskalia ne raisonne qu’en logique filière. Le prix est fixé en début de campagne par contrat avec les producteurs. « Cette contractualisation a permis d’étendre cette culture et d’assurer un revenu régulier aux producteurs, mais nous nous engageons à revoir notre rémunération l’an prochain », rappelle Frédéric Gazan. Idem pour les transformateurs, mais en sens inverse, car eux profitent, contractuellement, de conditions favorables.
Au total, les surfaces françaises en sarrasin bio s’étendent sur 2.799 ha, dont 286 ha en conversion (en 2009 selon les derniers chiffres de l’Agence Bio), soit une hausse de 2,6 % sur l’année précédente. Utilisé parfois comme culture à gibier, et en bio comme engrais vert, tout ne serait pas en production. « Cette graine mérite une réelle revalorisation, car sa faible rentabilité comparée à d’autres céréales n’est pas incitative, regrette Hugues Chaline. D’autant plus qu’avec les variétés actuelles, ses potentiels de rendements, en bio comme en conventionnel, sont limités. »