“On ne peut raisonner avec les céréales comme avec les actions”
Vincent Magdelaine, directeur Coop de France Metiers du grains nous répond
La Dépêche - Le Petit Meunier : Quels effets la crise a-t-elle eu sur les entreprises coopératives ?
Vincent Magdelaine : Le premier effet de la crise est direct. Il s’agit de la hausse des taux d’intérêt et de la raréfaction très récente de l’offre de crédit par les banques. Depuis un peu moins d’un mois, on a constaté une dégradation de la capacité des banques à augmenter les lignes de crédit. Même si les cours des céréales sont moins élevés que l’an passé, on reste dans une situation où la coopération a besoin de financements assez importants. Pour l’instant le “risque coopératives” est considéré comme sain par les banques, donc les lignes ouvertes sont suffisantes mais l’incertitude demeure sur l’avenir.
L’autre effet de la crise financière, plus indirect, est l’évolution des marchés des céréales. Il y a certainement une grande part d’irrationnel dans tout ça, mais on constate un certain parallélisme entre l’évolution des valeurs boursières et celle des prix des céréales. Cela est vraisemblablement dû à un fort besoin de liquidités aux Etats-Unis lié à la chute des actions. Des liquidations de positions en tout genre, y compris sur les marchés agricoles, sont intervenues. Cela a provoqué une accélération de la pente naturelle du repli des cours. On a ainsi assisté à un effet de chaîne entre les différentes valeurs. Les bourses nord-américaines ont entraîné les banques européennes dans leurs spirales. Il y a un effet d’entraînement, entre les marchés financiers et agricoles actuellement, mais pas de corrélation, car il n’existe pas de lien arithmétique entre les deux.
Plus globalement, on connaît depuis quelques mois une tendance baissière liée au moindre attrait des matières premières, notamment dû au recul de la demande chinoise et au reflux du pétrole. Pour les coopératives, le problème est la volatilité des prix, qui entraîne un manque de visibilité et donc l’attentisme des acheteurs. L’an passé, le marché était difficile à appréhender en raison des perspectives de hausse. Cette année, la situation n’est pas plus simple étant donnés les risques de baisse ou de retournement soudains. Pour les coopératives, une grande incertitude règne sur le marché. La collecte ne sera pas facile à commercialiser !
La Dépêche - Le Petit Meunier : Que diriez vous aux producteurs qui seraient tentés par la rétention cette année ?
V.M. : Ils doivent se souvenir de 2007. Certains agriculteurs ont voulu garder leurs céréales en se disant que les prix continueraient de monter mais, comme disent les opérateurs boursiers, « les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel ». Résultat, des agriculteurs avaient encore des stocks importants au moment où les cours ont commencé à baisser. Cette année nous sommes dans une configuration baissière, ils n’ont donc aucun intérêt à jouer cette carte.
La Dépêche - Le Petit Meunier : Sont-ils nombreux dans ce cas ?
V.M. : Moins que l’an passé. S’asseoir sur son tas paraît cette année contraire à la logique de la situation, sauf à se dire qu’un jour les cours vont remonter. Mais on ne peut raisonner avec les céréales comme avec des actions. Le mieux est de les vendre par fractions, pas nécessairement de façon régulière, mais au moins tout au long de la campagne. C’est aussi le rôle de la coopérative, en mesure d’en tirer davantage partie grâce aux volumes dont elle dispose.
La Dépêche - Le Petit Meunier : Et pour ceux qui ont déjà opté pour le prix moyen ?
V.M. : Les agriculteurs qui s’engagent sur un prix moyen seront certainement plus nombreux que l’an dernier, où nous avions constaté un net recul de l’intérêt pour cette option. Mais il est encore trop tôt pour chiffrer cela. En 2007, voyant que les prix avaient bien monté en début de campagne, certains producteurs pensaient faire mieux que leur coopérative, ce qui n’a en général pas été le cas, en moyenne du moins.