Les fabricants d’aliments demandent une ambition collective face aux hausses
Risque – Les Fab n’ont pas couvert tous leurs achats de céréales avant l’envolée, mais jouent leur habituel effet tampon.Cependant ils devront passer les hausses
Malgré le développement des arbitrages sur les marchés à terme que semble illustrer l’augmentation des prises de position sur Euronext, le recours à des outils d’aide à la décision ou d’assurance, proposés notamment par leurs fournisseurs et l’embauche de compétences nouvelles avec des risk manager (double formation agro/finance), les fabricants d’aliments pour animaux ont reçu la hausse des cours de juillet comme un coup sur la tête. « Rien ne laissait présager d’une telle hausse » estime Adolphe Thomas, président du Snia. Le niveau des stocks mondiaux n’avait rien à voir en début d’été avec celui de 2007 et les récoltes étaient annoncées pléthoriques. « Aucun industriel ne prendrait le risque de se couvrir à 100 % même si les cours semblent très bas à un moment donné comme c’était le cas au printemps. Les achats se font progressivement » renchérit Hervé Vasseur, président de l’Afab. « L’an dernier, ceux qui avaient acheté à 110 € (euros la tonne de blé, NDLR) étaient au dessus toute la campagne alors nous étions d’autant plus prudents en avril-mai quand les cours étaient à ce niveau » complète un acheteur. « Notre propre collecte nous permet de nous approvisionner largement. Nous avons acheté à 125 €/t mais nous avons déjà redonné 25 aux producteurs par deux fois et nous serons peut être contraints de redonner encore » explique un second. Sans vouloir « refaire le tiercé le dimanche soir », le mois de mai frémissait pourtant déjà de craintes : il semblait difficile d’imaginer une troisième campagne sans difficultés ni climatiques ni de consommation, les premières annonces de sécheresse arrivaient. Et il n’y avait guère de vendeur à 100 ou 110 €/t.
Un embargo russe qui lance la spéculation
Rien évidemment ne laissait cependant prévoir l’embargo annoncé par les Russes en juillet. Alors les choses s’accélèrent : « nous avions prévu de prendre des positions le 13 juillet mais lorsque nous sommes rentrés le 15, tout avait changé » constate un professionnel. Les industriels du Nord, n’ayant pas cette fête nationale auraient mieux couverts. « Cela ne peut leur donner qu’un avantage très ponctuel car s’ils vendent plus, par exemple sur nos frontières, ils devront très rapidement se réapprovisionner et ce sera alors au prix spot » tempère cependant Adolphe Thomas.
Alors, aurait-il été possible de faire mieux ? Cette hausse est-elle un épiphénomène ? La volatilité sur le marché des céréales est avérée et durable : plus question d’acheter à la récolte pour toute la campagne sauf, bien sûr, pour les niches alimentées par des contrats. Et les prises de position des acteurs financiers, à qui il arrive de gagner beaucoup en jouant le blé contre le dollar, perturbent les acteurs du physique. De surcroît, pour Yvon Pennors (Bunge), il y a une réelle différence dans les modes d’achat dans les pays latins et anglo-saxons. « En France, les achats à terme ne sont pas toujours considérés comme des risques pris mais comme des achats bons ou mauvais. La culture anglo-saxonne est différente, comme le sont les règles comptables .» Pour Philippe Denain (Commorisk) « les outils d’aide à la décision doivent être accompagnés en pratique par de véritables stratégies d’achat dans les entreprises et d’un monitoring du risque des positions prises qui dépasse le simple constat du prix d’achat ». Certains ont en effet renâclé à prendre des options car il eut fallu les payer. L’importance des marchés financiers dans la constitution des prix impose cependant, et de plus en plus, d’utiliser leurs outils. Et la pratique française reste plus de gérer le risque de concurrence (ne pas acheter moins bien que le voisin au risque de rater le point bas) que le risque de marché.
Un effet tampon qui reste réel
Pour autant, l’effet tampon du maillon de l’alimentation animale industrielle reste effectif. « Si l’on appliquait la stricte augmentation des cours, les prix des aliments pour dinde auraient dû augmenter de 90 €/t alors qu’ils n’ont augmenté que de 50 €/t. Les industriels ont pour partie anticipé la hausse puis agi sur tous les ressorts comme la substitution du blé par le maïs ou un plus large recours aux co-produits » détaillait Adolphe Thomas lors d’une rencontre organisée par le Cidef (filière dinde). Il en profitait donc pour réclamer la plus grande souplesse dans l’accès aux matières premières. Et Jean-Luc Cade, président de Coop de France Nutrition animale, de renchérir lors d’une rencontre Ifip, également au Space : « La tendance est à la hausse durable des prix des matières premières. Or, il n’y aura certainement pas en corollaire une hausse du prix des produits animaux. Nous sommes dans un réel scénario de rupture. Il s’agit d’un problème collectif. Je réclame donc une ambition collective pour initier d’autres démarches. Le secteur céréalier nous tend d’ailleurs la main. »