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« L’Afrique pourrait être autosuffisante en riz »

Dr Papa A. Seck, directeur général du centre du riz pour l’Afrique (Adrao), aliment de plus en plus consommé par les populations locales

La flambée des prix plonge certains pays dans des situations de crise. Faut-il s'attendre à vivre de nouveau de tels évènements ?

Papa Abdoulaye Seck : L’origine de la crise est essentiellement structurelle. Elle est liée, entre autres, aux restructurations industrielles en Chine, Inde et Asie du sud-est, qui entraînent une migration des facteurs de production vers le secondaire et le tertiaire. La poussée démographique est aussi en cause. En moyenne, la consommation globale de riz progresse de 1 % chaque année, alors que la production n'augmente que de 0,5 %. Depuis 2002, l’utilisation mondiale est supérieure à la production, nécessitant un recours continu aux réserves, qui ont chuté de 147,3 Mt en 2001 à 74,1 Mt en 2008.

Le riz est considéré comme le produit le plus protégé au monde. En cas de chocs, les grands producteurs ferment généralement leurs frontières par l'interdiction des exportations, comme c'est le cas dans la crise actuelle. Le problème qui se pose alors aux pays africains n'est pas seulement l'accès aux ressources pour acheter du riz de plus en plus cher, mais surtout la disponibilité sur le marché international. L'Afrique absorbe 32 % des importations mondiales.Sa consommation croît d'environ 4,5 % par an et dépasse les 25 Mt. Les populations affichent une préférence grandissante pour le riz, qui se substitue de plus en plus aux autres denrées de base. En effet, selon la FAO, la production africaine en 2006 était de 21,9 Mt de paddy, soit près de 15 Mt de riz décortiqué, auxquels s'ajoutent 9,8 Mt d’importations. Hormis l'Egypte, tous les pays sont importateurs nets, avec en tête et en volume le Nigeria, l’Afrique du Sud, la Côte d'Ivoire et le Sénégal.

Que pensez-vous des politiques africaines d'approvisionnement en matières premières et de gestion de la crise ?

P. S. : Les mesures prises par certains gouvernements, comme l'allègement de la fiscalité, sont fondées. Cependant, elles doivent être circonscrites dans le temps pour éviter des effets adverses sur les incitations au développement de la production domestique. Il est indispensable d'afficher une forte volonté politique, en vue d'impulser la relance de la filière rizicole, à l'instar de la détermination du gouvernement malien à doubler sa production dès l'année prochaine pour couvrir ses besoins, mais aussi dégager un excédent exportable. Le Sénégal met en œuvre un programme d'autosuffisance visant 1 Mt de riz blanc à l'horizon 2015. Depuis 2003, la production bénéficie, au Nigeria, d'un programme de soutien avec le Presidential Rice Initiative. Bien d'autres actions sont mises en œuvre, notamment au Burkina-Faso, en Côte d'Ivoire, au Ghana…

Pour vous, l'avenir du riz est africain. Une affirmation étonnante. Pouvez-vous développer ?

P. S. : L'avenir de la riziculture se trouve bien en Afrique, en effet. L’Adrao et ses partenaires ont mis au point une gamme de technologies et de pratiques culturales pour combler l'écart entre le rendement réalisable et ceux obtenus par les paysans, par exemple en générant des variétés adaptées au milieu du continent. Il s'agit notamment de variétés à haut rendement com-me les Nerica de plateau, les Nerica de bas-fonds et les variétés Sahel. De plus, de grandes superficies sont inexploitées : l'Afrique n'utilise que 3 Mha de bas-fonds sur un potentiel estimé à 130 Mha propices à la riziculture. Une expansion des surfaces du riz pluvial (plateau et bas-fonds) est possible. Par ailleurs, les ressources en eau sont abondantes. Les possibilités qu'offre la riziculture irriguée restent largement sous-exploitées. En Afrique, moins de 10 % de surfaces cultivées sont sous irrigation, contre 50 % en Asie. Le potentiel d'intensification et de développement de la riziculture africaine serait d’autant plus important si les Etats investissaient davantage dans les infrastructures de maîtrise de l'eau. Quand on sait qu'en riziculture irriguée les rendements obtenus dans les pays du Sahel sont similaires, voire supérieurs à ceux de plusieurs pays asiatiques ! Et les autorités sont obligées d’accorder une priorité au riz, qui constitue une menace sérieuse au maintien de la paix sociale en cas de pénurie.

Quelles sont les perspectives ?

P. S. : Si l'on met en place de bonnes stratégies avec le développement des infrastructures de base et un cadre institutionnel assaini, le continent pourrait non seulement satisfaire sa demande interne, mais aussi dégager des excédents et même prétendre exporter. D'ailleurs, le Mali projette de vendre 100.000 t dès 2008/09.

La dépendance pour l'approvisionnement en autres céréales pourrait-elle être modérée ?

P. S. : Cela est tout à fait envisageable. Il est possible d'utiliser la farine de riz comme substitut partiel au blé dans certains produits pâtissiers. Par ailleurs, l'augmentation de la production rizicole peut avoir des effets induits positifs sur la production d'autres céréales, comme le maïs, et donc ne pas se faire aux dépends des autres cultures. L’Adrao recommande d’ailleurs une rotation entre le riz et les cultures maraîchères, le coton ou encore les légumineuses.

Quelles actions et orientations doivent être entreprises pour que ces scénarii se réalisent ?

P. S. : Nos recommandations pour dynamiser la filière sont multiples. En plus du développement de l’irrigation, il serait notamment nécessaire d’accélérer l'adoption des nouvelles variétés et des programmes de multiplication. Il faudrait d’ailleurs assurer la distribution directe des semences améliorées aux agriculteurs les plus pauvres, tout en leur facilitant l'accès aux intrants. Il est à ce sujet souhaitable d’améliorer notre infrastructure pour diminuer leurs coûts : les prix des engrais sont 2 à 6 fois plus élevés qu’en Asie, Europe et Amérique du Nord, du fait des frais de transport élevés. La disponibilité des matériels agricoles et équipements devrait être améliorée par des mesures d’incitation gouvernementales. Les pertes en récolte et post-récolte peuvent représenter 15 à 50 % de la valeur marchande de la production !

Cette orientation nécessite-t-elle l’aide de la communauté internationale ?

P. S. : Son appui financier et technique est surtout nécessaire dans le domaine de la recherche et pour la réalisation des investissements dans l'irrigation. Nous sommes pour une aide qui permette à l’Afrique de se prendre graduellement en charge en développant son agriculture.

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