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Blé dur et pâtes
[Covid-19] : La ruée sur les pâtes en magasin ne crée pas la pénurie !

L'épidémie de coronavirus a profondément modifié, au moins dans un premier temps, les comportements d'achats des Français, notamment en ce qui concerne les produits comme les pâtes et le couscous. Explications et entretien avec Philippe Heimburger, PDG du fabricant de pâtes Heimburger - Grand-Mère Pâtes d'Alsace.

© Thierry Michel

Les volumes de ventes de pâtes ont considérablement augmenté ces dernières semaines, ceci ne fait aucun doute. Xavier Riescher, président du groupe Panzani et du syndicat des industriels des fabricants de pâtes alimentaires de France (Sifpaf) déclarait, le 17 mars à l’AFP : « On est à 90 % d'augmentation de nos ventes sur trois semaines et 100 % sur les derniers jours ». Alors, problème d’approvisionnement ou pas ?

Industriels et distribution font front

Non, répondent les industriels et les distributeurs. Dès la semaine dernière, Ebro Foods, maison-mère de Panzani, avait augmenté les productions dans ses usines espagnoles notamment. Le patron de Panzani a confirmé cette semaine que les usines du groupe, qui ne fonctionnent d’habitude ni le week-end, ni la nuit, sont désormais à l’oeuvre 7j/7j et 24h/24h en France, depuis plusieurs semaines. L’usine italienne est également sollicitée pour des approvisionnements augmentés de moitié à destination de la Hongrie et la Roumanie. Panzani fabrique en priorité les formes de pâtes les plus simples à réaliser (gain de temps). Les fabricants de la filière privilégient donc désormais les coquillettes, les spaghettis, les macaronis… Par ailleurs, ils ont également décidé de simplifier les opérations de packaging en supprimant les lots nécessitant un emballage supplémentaire pour gagner du temps.

D’autres industriels ont allongé leur temps de production et d’emballages, comme Heimburger en Alsace. Mais le président du Sifpaf l'assure, « il n'y aura pas de rupture ».

Les stocks de pâtes sont toujours importants en France. C’est le message que porte la grande distribution. Chez Leclerc, mercredi 18 mars, on diffusait sur Twitter une vidéo tournée sur le site de la Scapnor (95), l’une des seize centrales d’achat du groupe, expliquant que cet entrepôt stockait, entre autres, un mois de consommation en pâtes et qu’un espace supplémentaire avait été aménagé pour l’équivalent de 15 jours supplémentaires de consommation.

« Les achats des consommateurs doublent en pâtes et couscous les 2è et 3è semaines d’épidémie. Au-delà, comme on l’a constaté en Italie et en Espagne, la tendance est à un tassement net des ventes, en raison des stocks constitués » selon le Syfpaf

Suffisamment de blé dur

Côté production de blé dur, à ce jour, il n’existe pas de problèmes particuliers. Selon plusieurs acteurs de ce marché contactés le 18 mars, les contrats sont honorés normalement et les livraisons s’effectuent tout aussi normalement. D’autres courtiers indiquent que les fabricants de pâtes sont plutôt bien couverts jusqu’à la fin de la campagne. « On travaille plutôt bien en ce moment et c’est vrai que les industriels sont à la recherche de tonnages supplémentaires. On leur trouve ce qu’ils demandent sans problème » explique une source de marché. "Il n’y a pas de risque de rupture d’approvisionnement dans les prochaines semaines » affirme-t-on chez Axéréal. La coopérative dit aussi rester « vigilant à ce que les flux logistiques soient maintenus pour approvisionner nos clients », dans un entretien avec l'AFP le 18 mars.

La question des transports

Et c’est là que réside aujourd’hui la question majeure : si la production de blé dur par les agriculteurs, sa transformation par les industriels en pâtes et leur distribution en magasins semblent sans problème en termes de capacité, quelques interrogations émergent sur le transport. D’abord, beaucoup de transporteurs se retrouvent à charger à vide pour revenir avec des marchandises (et vice versa) et donc se retrouvent avec un surcoût de transport, ce qu’ils ont tendance à répercuter sur leurs clients qui travaillent. Ensuite, les transporteurs sont extrêmement sollicités et bien évidemment confrontés eux-mêmes à la problématique coronavirus (personnels malades, inquiets et exerçant leur droit de retrait…).

Sur ce point, le gouvernement a pris, le jeudi 19 mars, des mesures temporaires pour éviter le déficit de camions et de chauffeurs (90 % des marchandises transportées en France le sont par ce moyen) : ouvertures des stations-service, aires de repos, toilettes et restaurants routiers de vente à emporter (carte sur Bison Futé) ; dérogations pour certaines obligations administratives ; recours à l’intérim pour éviter la pénurie de chauffeurs ; autorisation de rouler dimanche 20 mars pour réapprovisionner les grandes surfaces en alimentation. Le gouvernement travaille aussi à des mesures favorisant le fret ferroviaire transfrontalier.

De leur côté, les fédérations patronales du transport routier et de la logistique ont appelé jeudi « à la solidarité et au respect pour les conducteurs malmenés à cause de la crise du coronavirus en France ». Elles ont notamment lancé le hashtag #OnRoulePourVous. Elles ont également fait savoir qu’elles voulaient « recenser les entreprises qui ouvrent et accueillent les conducteurs partout en France » et en diffuser la liste. A suivre de très près…

Côté chiffres de production de blé dur, le dernier bilan de marché de FranceAgriMer de mars 2020 fait état d’1,912 Mt de blé dur disponible (dont une production de 1,542 Mt sur le sol hexagonal), d’utilisations s’élevant à 1,855 Mt (dont 490 000 t pour la semoule et 1,315 Mt partant à l’export) et d’un stock final de 63 000 t.

Les chiffres clés pour 2019 :
La production de pâtes alimentaires s’est élevée à 235 981 t, dont 18% exportée. La consommation totale de pâtes dans l’Hexagone s’est élevée à 537 251 t, dont 64 % importées (principalement d’Italie). Au final, un Français mange 8,3 kg de pâtes par an (à comparer aux 23,2 kg/habitant/an en Italie). Côté couscous, la production annuelle ressort à 83 658 t, dont 21% est exportée. La consommation totale est de 95 053 t, dont 30% importées. Un Français mange 1,5 kg de couscous par an.
Sept entreprises employant 1 500 collaborateurs constituent l’outil de production de pâtes et de couscous en France, réparties entre Pays de la Loire (Tipiak), Île-de-France/Normandie/Picardie (Lustucru et Panzani), Alsace (Heimburger, Thirion, Valfleuri), Rhône-Alpes (Alpina Savoie-Moulins de Chambéry) et Paca-Corse (Fericol/Panzani, Semoulerie de Bellevue). Au total, 5 semouleries (453 736 t de semoules, soit l’équivalent de 592 747 t de grains), 7 usines de pâtes (235 981 t) et 4 usines de couscous (83 658 t).
 
 

Entretien avec Philippe Heimburger, PDG de Heimburger (marque Grand’Mère Pâtes d’Alsace)

La Dépêche Le Petit Meunier - Comment cela se passe-t-il dans votre entreprise de production ?

Philippe Heimburger - C’est la solidarité vis-à-vis de la population française qui prime avec en même temps le souci de protéger les salariés pour remplir leur mission d’alimenter la population. Les salariés sont là et ont à cœur de réussir cette mission. Nous avons travaillé depuis longtemps sur la notion de pénibilité au travail, ce qui nous a beaucoup aidé pour nous adapter. Beaucoup de tâches se font par pilotage de la machine sans que plusieurs salariés soient obligés d’être autour de cette machine par exemple. Nous avons recommandé à nos salariés de se laver les mains le plus souvent possible et une fois par heure de façon obligatoire, en plus des gestes barrières normaux. Trois personnes sont affectées à la désinfection des surfaces multi-usages (poignées, portes-palettes, capots des machines…). Je veux attirer l’attention sur le fait que, en raison du secret médical, les chefs d’entreprise n’ont pas la possibilité de savoir si l’un de ses salariés a contracté le coronavirus dans l’entreprise ou ailleurs, ce qui est de toute façon difficile à déterminer. Ceci est gênant pour savoir s’ils doivent prendre des mesures supplémentaires ou pas et pour l’engagement de leur responsabilité en cas de multiplication des cas dans l’entreprise. Il serait souhaitable que l’on puisse avoir à disposition, si le cas se présente, une décharge de responsabilité.

LDLPM - Avez-vous adapté votre outil de production ?

P. H. - Oui bien sûr. Nous avons donc dû faire face à un surcroît de demande. Nous devons donc maintenant renflouer nos stocks. Pour notre part, nous continuons de travailler selon la règle des 3/8, comme avant le début de l’épidémie, mais en allongeant d’une heure la production du vendredi. Pour le conditionnement, nous travaillions en 2/8 et là, nous avons rallongé d’une heure les opérations d’emballage avec aussi le samedi en plus. En fait, nous avions déjà adopté ce dispositif en 1991 lors des opérations de combat de la guerre du Golfe entre janvier et février, qui avaient déjà provoqué une ruée sur les denrées de base. Normalement, côté matière première, nous ne devrions pas avoir de problème pour faire la jonction avec la prochaine récolte. Nous sommes couverts pour cela.

LDLPM - Et les transports ?

P. H. - C’est la grosse inconnue. Y aura-t-il suffisamment de moyens de transports et de personnel pour faire face à cette situation. C’est déjà un peu la réalité sur l’amont de notre métier. Par exemple, il y a des camions qui vont au moulin avec leur benne pleine de grains mais il repart à vide. On a vu des coûts de transports multipliés par deux dans certains cas. J’en appelle à la solidarité et à la raison des transporteurs. Un exemple de solidarité, dans notre région : une entreprise dont les activités sont au ralenti et qui possèdent des capacités de transport a récemment proposé à une autre entreprise de mettre cette capacité à son service pour l’aider à la poursuite de ses activités… Il n’y aura pas de pénurie tant que la logistique amont et aval fonctionnent.

Heimburger/ Grand’Mère Pâtes d’Alsace en résumé :

La première production de pâtes a eu lieu en 1933 grâce à l’arrière-grand-père, fils de meunier, du dirigeant actuel. L'entreprise a été fondée en 1955 et la marque en 1970. Une soixantaine de types de pâtes sont référencées et réparties en 9 gammes, dont 3 bio (bio, bio intégral et bio sans gluten). Le chiffre d’affaires s'élève à 20 M€ pour 95 salariés. La production affiche 13 000 t, dont 20 % partent à l’export.

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