BIOCARBURANTS leur impact sur les filières à l’horizon 2015
La politique européenne en faveur du développement des biocarburants va modifier la physionomie des productions et des échanges agroalimentaires. Le scénario anticipé par l’Inra est peu encourageant
« LE SOUTIEN au revenu agricole ne peut justifier à lui seul la politique de développement des biocarburants » dans l’Union européenne, affirme Alexandre Gohin du département SAE2 de l’Inra de Rennes (Sciences sociales, agriculture et alimentation, espace et environnement). Celui-ci a modélisé le développement des biocarburants dans l’UE à l’horizon 2015, en cherchant à évaluer ses conséquences induites sur l’agriculture. Ainsi, le cours du blé serait supérieur de plus de 11 % à celui qu’il aurait atteint sans essor des biocarburants, selon les résultats présentés le 14 juin à Paris. La raison : « une explosion de la demande » de près de 20 %. L’effet sur la filière biodiesel est plus « spectaculaire » : la consommation « progresserait de 310 % ! » La production augmenterait de 70 % et l’Europe deviendrait importatrice nette.
Les effets induits ont rarement été estimés
L’Inra a cherché à évaluer les effets induits sur l’agriculture de la politique européenne de développement des biocarburants. L’institut n’est pas le premier à se pencher sur l’impact des carburants verts, mais la plupart des études se sont contentées de prévoir les hectares qu’ils vont monopoliser.
Les effets sur les prix des matières premières, les marchés alimentaires ou les productions animales, sont « très rarement mesurés », constate Alexandre Gohin. Son analyse intègre aussi, entre autres, l’influence sur les échanges et les revenus des exploitants agricoles. L’évaluation est conduite à partir du modèle Goal, développé par l’Inra de Rennes, prenant en compte 74 produits et services de la chaîne alimentaire, l’influence des instruments de la Pac, les progrès techniques, l’évolution des habitudes alimentaires…
Le chercheur a d’abord essayé de voir à quoi ressemblerait le secteur agricole en 2015, sans prendre en considération les mesures en faveur des biocarburants. Il a ensuite intégré dans les calculs le déploiement de ces carburants alternatifs et comparé les deux physionomies obtenues. L’objectif de 5,75 % en 2010, prévu par la directive européenne de 2003, supposerait la production de 8 Mt d’huile de colza et de 7,3 Mt de bioéthanol (blé et betterave), d’après les hypothèses d’Alexandre Gohin. Selon le postulat de départ, ces besoins seraient financés par de nouvelles taxes sur les firmes et ménages. La demande en biocarburants pourrait être satisfaite par la production domestique ou les importations. La simulation de l’Inra se limite, par ailleurs, à l’UE à 15, l’obtention de données fiables sur ce sujet étant « difficile dans les nouveaux états membres ».
Sans les biocarburants, l’UE exporterait 17 Mt de blé au prix mondial en 2015
En 2015, sans incitation à la production de biocarburants, l’UE exporterait 17 Mt de blé tendre sans subvention. Le prix du blé se retrouve en effet en ligne avec celui du marché mondial, à 107 €/t (128 $/t). Concernant la filière biodiesel, l’Europe reste exportatrice nette d’huile de colza pour près d’1 Mt. Elle reste dépendante des pays tiers pour ses approvisionnements protéiques, avec de lourdes importations de tourteaux. Concernant l’aval, l’UE doit faire venir 300.000 t de viande bovine, mais est excédentaire en viande porcine. Le marché des poudres de lait atteint un équilibre avec des prix au niveau mondial.
L’application de la directive européenne se solderait par un accroissement de près de 20 % de la demande de blé tendre, satisfaite essentiellement par une réduction de plus de la moitié des exportations (58,2 %), la production n’augmentant que de 5,5 %. Effet immédiat de cet essor des besoins : une hausse de prix de 11,3 %, en Europe comme à l’international (119 €/t).
Le marché de la terre s’en ressent aussi, avec des tarifs en hausse en dépit de la possibilité de cultiver sur gel obligatoire. Effet secondaire de la progression des volumes de bioéthanol, les tonnages de maïs grains reculent et leurs cours grimpent. En outre, comme l’anticipe l’étude, « les effets sur les rendements moyens à l’hectare sont très faibles car les terres remises en culture ont un potentiel agronomique faible ». L’UE n’importe pas d’éthanol, à la faveur de barrières douanières. La part des produits céréaliers et leur prix final grignotent 3 %.
Concernant le colza, « la demande d’huile explose ». Elle se retrouve plus que triplée et son prix gonfle de près de 50 %. Mais l’intensification de la production de graines (+76,2 % avec un prix supérieur de 42,6 %) ne suffit pas à subvenir à ces nouveaux besoins. Résultat, l’Europe, qui aurait été exportatrice nette avec 905 Mt vendues, devient importatrice. Les autres huiles suivent une tendance similaire « du fait des substitutions significatives à la demande humaine ».
Le surplus de tourteaux de colza trouverait preneur sur le nord de l’Afrique
Alexandre Gohin s’attend à ce qu’ « on ait beaucoup trop de tourteaux de colza », d’où une baisse des prix (-12,4 %), accompagnée d’une plus forte incorporation des fabricants d’aliments du bétail européens. Mais ces derniers en consomment « déjà beaucoup », et ce tourteau n’est, à l’heure actuelle, pas valorisable par toutes les espèces animales. L’excédent de production conduit alors au développement des ventes à l’export, sur l’Afrique du Nord notamment.
L’effet de la dévaluation des coproduits permet de compenser en partie la tension des céréales et le coût de fabrication des aliments composés ne s’alourdit que d’1 %. Les productions animales progressent légèrement.
La politique incitative de l’Union européenne coûterait 10,5 Md€
La progression des volumes et prix céréaliers laisse entrevoir une amélioration des revenus des agriculteurs. Selon les hypothèses de l’Inra, le développement des biocarburants génère 3,2 Md€ de valeur ajoutée supplémentaire et créé 42.000 emplois.
Un gain à comparer aux dépenses publiques injectées dans l’achat des biocarburants qui sont estimées à 10,5 Md€. Le coût de transformation est évalué à 2,5 Md€. En parallèle, les producteurs étrangers bénéficient de l’effet de la baisse des exportations céréalières et de la progression des importations, à hauteur de 4,8 Md€. « Les biocarburants ont donc un ratio très limité en terme de soutien au revenu agricole », conclut Alexandre Gohin.
Investir dans ces filières pour accroître le revenu des producteurs serait donc un faux calcul. Il faut alors justifier la politique incitative européenne par d’autres bénéfices : moindre dépendance au pétrole, restriction des émissions de gaz à effets de serre,… des critères aux bilans encore discutés. Et ces résultats supposent qu’aucun accord sur les protections tarifaires n’ait été pris d’ici 2015.