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Décarbonation : « L’agriculture est le secteur le plus complexe qu’on ait eu à regarder » reconnait Jean-Marc Jancovici qui en appelle aux agriculteurs

L’agriculture doit répondre à trois défis : produire beaucoup, produire pas cher tout en respectant l’environnement. Une équation quasi impossible sur laquelle se penche Jean-Marc Jancovici et son association The Shift Project depuis un an. Pour affiner son modèle, le consultant lance une grande consultation auprès des agriculteurs.

Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project, devant un paysage rural.
Jean-Marc Jancovici, président du Shift Project.
© The Shift Project

[Mis à jour le 14 juin 2024 avec le nombre de retours des agriculteurs]

Modéliser la décarbonation du secteur agricole s’avère difficile, y compris pour le médiatique Jean-Marc Jancovici, consultant en énergie et climat, qui fait appel aux agriculteurs pour affiner ses travaux. « Il y a un an on a lancé un ambitieux travail de réflexion sur l’agriculture qui doit répondre à trois défis : « produire beaucoup, produire pas cher, en respectant l’environnement ». 

Vos contributions sont indispensables pour que nous, Parisiens, puissions travailler dans le domaine agricole

Nous avons besoin de vous, nous avons besoin que vous acceptiez de nous consacrer un peu de temps pour répondre à un questionnaire qui nous permettra d’avoir un retour terrain, un retour d’expériences, des avis. Toutes les contributions indispensables pour que nous, Parisiens, puissions travailler dans le domaine qui est le vôtre », ainsi le président de The Shift Project s’exprime sur les réseaux sociaux auprès des agriculteurs à travers une vidéo diffusée début juin.

 

Lire aussi : « Produire plus propre et moins cher : une équation impossible pour les agriculteurs » selon Jean-Marc Jancovici

Créée en 2010 et financée par des entreprises, la puissance publique et des fondations, l’association The Shift Poject milite pour la décarbonation de l’économie

L’agriculture est le secteur le plus complexe qu’on ait eu à regarder

« L’agriculture est le secteur le plus complexe qu’on ait eu à regarder », confie Jean-Marc Jancovici, le 6 juin dans un webinaire de présentation d’un rapport intermédiaire « pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère », dont la réalisation a été financée sur les fonds propres de l’association. « Le sujet est monstrueusement compliqué parce qu’il fait intervenir le vivant. Mais l’agriculture est aussi une activité économique et indispensable aux êtres humains, réglementée par beaucoup d’échelons dont celui de l’Europe, qui marie enjeux environnementaux et de production », argumente le consultant.

Regardez le webinaire de The Shift Project

Un rapport intermédiaire à enrichir pour une agriculture bas carbone 

Dans son rapport intermédiaire, le Shift Project, qui s’est doté d’une équipe d’experts agricoles pilotée par Céline Corpel, agricultrice dans l’Aisne (avec un tiers de l’exploitation en bio et de l’agroforesterie), a testé des leviers de transformation du système agricole et propose des pistes de recommandations. Un travail qui doit être confronté à la réalité du terrain, via une grande consultation des agriculteurs décomposée en deux phases :

  • Une phase qualitative (finalisée) qui a consisté à mener 65 entretiens individuels de 2h avec des agriculteurs du territoire français
  • Une phase quantitative avec un questionnaire en ligne qui a pour ambition de toucher 10 000 agriculteurs d’ici octobre 2024. (Vous pouvez accéder au questionnaire ici, temps à prévoir 10 à 15 minutes). 3000 retours avaient déjà été enregistrés au 13 juin, selon The Shift Project.
     

The Shift Project se fixe comme objectif de publier le rapport final fin novembre 2024 avant de se pencher sur le volet alimentaire.

Lire aussi : « Il va falloir démondialiser l’agriculture » selon Jean-Marc Jancovici

Les objectifs de la stratégie nationale bas carbone intenables ?

Trois scénarios de transformation agricole à l'étude

Dans son rapport intermédiaire, l’association a choisi d’explorer dans un premier temps les conséquences de trois scénarios de transformation agricole à horizon 2050, fréquemment mises en avant par les acteurs économiques et décideurs politiques, sans une hiérarchisation claire :

  1. Priorité à une meilleure autonomie agricole et alimentaire nationale 

    1. Avec doublement des surfaces de fruits et légumes
    2. Augmentation du cheptel ovin de l’ordre de 85%
    3. Augmentation du cheptel de volailles de l’ordre de 20%
    4. Division par deux des surfaces en maïs ensilage, remplacée par des prairies temporaires et légumineuses fourragères
    5. Multiplication par quatre des surfaces en légumineuses graines
       
  2. Priorité à une moindre dépendance énergétique nationale

    1. Multiplier par quatre la surface en colza, avec utilisation en biodiesel
    2. Remplacer un million d’hectares de prairies temporaires au profit de la culture de miscanthus pour la synthèse d’éthanol de 2e génération
    3. Fléchage de 50% de maïs ensilage vers la méthanisation
    4. Diminution des cheptels bovins lait et viande de 20%
    5. Diminution des cheptels monogastriques de l’ordre de 20%
       
  3. Le maintien de capacités exportatrices en assurant la production maximale de céréales et oléoprotéagineux

    1. Augmentation de 65% des surfaces de blé tendre
    2. Division par deux des surfaces de colza
    3. Multiplication par quatre des surfaces de légumineuses
    4. Réduction du cheptel des volailles de chair de 50%
    5. Réduction du cheptel de poules pondeuses de 20%
    6. Réduction du cheptel porcin de 25%
    7. Réduction du cheptel bovin de 20 (en ne maintenant que l’élevage à l’herbe sur prairies)
    8. Hausse des surfaces en luzerne
       

Testées avec l’outil de calcul ClimAgri, développé par Solagro pour le compte de l’Ademe, ces trois hypothèses, incompatibles entre elles, n’ont pas permis d’atteindre l’objectif de 48 MtCO2 d’émissions directes pour l’agriculture en 2050 inscrite dans la stratégie nationale bas carbone (avec un écart à combler entre 10 et 20 MtCO2). 

Pour aller plus loin dans sa réflexion, The Shift Project cherche à tester des niveaux variables d’optimisation des itinéraires techniques et de déploiement des pratiques agroécologiques (introduction de légumineuses dans la rotation, couverts végétaux, diversification des cultures, réduction du travail du sol, plantation de ligneux…) et approfondir les estimations de stockage de carbone en agriculture. L’association souhaite aussi soumettre ses projections à des stress tests portant sur les rendements, la disponibilité en intrants non souverains et les conséquences d’une crise logistique et organisationnelle.

Lire aussi : Jean-Marc Jancovici : « Il n'y a donc qu’à remettre du monde dans l'agriculture »

De premières recommandations de The Shift Project pour l'agriculture 

Pour déployer les leviers déjà identifiés de décarbonation du secteur agricole, dans son rapport intermédiaire The Shift Project, présidé par Jean-Marc Jancovici, soumet des recommandations provisoires parmi lesquelles :

  • Fixer un cap à la consommation d’engrais azotés de synthèse
  • Donner un cap clair à l’élevage, en termes de volumes de production et de modes d’élevage
  • Créer les conditions pour que les activités d’élevage à l’herbe bénéficient d’une rentabilité attractive (via des mécanismes publics avec des prix garantis ou des mécanismes privés)
  • Encourager l’approvisionnement français, voire local, pour l’alimentation des animaux
  • Encourager les pratiques de conservation et régénération des sols et l’agroforesterie
  • Développer des mesures de type paiements pour services environnementaux (paiements carbone volontaires)
  • Développer des outils satellitaires ou aériens permettant de quantifier les pratiques de stockage de carbone dans le sol
  • Simplifier les réglementations relatives à la mise en place d’infrastructures agroécologiques
  • Encourager les cultures d’espèces offrant le meilleur bilan de biomasse produite par hectare
  • Revaloriser les prix par des aides couplées liées à la production pour les nouvelles pratiques agricoles et nouvelles productions
  • Taxer les échanges aux frontières afin de protéger le marché intérieur voire interdire les importations de produits aux conditions de production très défavorables à l’environnement.
     

Des recommandations qui seront revues et précisées après la consultation des agriculteurs.

Revoir l'intervention de Jean-Marc Jancovici aux Controverses de l'agriculture et de l'alimentation (février 2024)

Lire aussi : Jean-Marc Jancovici : « il faut faire rerentrer de l’argent dans le secteur agricole »

Lire le rapport intermédiaire : Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère de The Shift project 

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