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« J’ai toujours su qu’un jour je reviendrais dans ce métier passionnant qu’est l’expédition de fruits et légumes » : Serge Le Bonniec, expéditeur de légumes à Paimpol

FLD poursuit ses portraits d’expéditeurs exportateurs de fruits et légumes afin de faire découvrir ce métier souvent mal connu. Aujourd’hui, rencontre avec Serge Le Bonniec, un « gars du pays de Paimpol », tombé dans la marmite des fruits et légumes et de l’expédition au fil de ses expériences. Ce fervent expéditeur revient sur son parcours, sa fidélité  à la marque Prince de Bretagne et la spécificité de la vente au cadran. Il évoque aussi l’avenir du métier et sa passion du produit. Il ne conçoit pas de ne pas voir et toucher les légumes tous les jours.

Montage de trois photos : portrait de Serge Le Bonniec ; des palettes de choux-fleurs ; un entrepôt vue de dehors avec un camion
Témoignage de Serge Le Bonniec, président de Celtileg : « Il faut de plus en plus d’écoute, de confiance et de collaboration au sein de la filière fruits et légumes pour que demain chacun y retrouve son compte : être payé dignement pour pérenniser les structures de chaque maillon.»
© Celtileg

Serge Le Bonniec est président de Celtileg, une entreprise d’expédition de légumes à marque Prince de Bretagne. Lors d’une interview à FLD le 3 févier, il a évoqué son métier, les changements qui s’y opèrent, les difficultés et l’avenir.

Alors que l’Aneefel, l’Association nationale des expéditeurs exportateurs de fruits et légumes, tiendra son assemblée générale les 20 et 21 mars prochainsFLD a pu échanger avec 6 expéditeurs exportateurs de fruits et légumes sur l’évolution de leur métier, les contraintes et les enjeux. Quel sera le métier d’expéditeur exportateur demain ? Chacun-e, avec son histoire, son profil et sa vision bien à lui/elle, s’est prêté au jeu des questions-réponses. Plongée dans ce métier encore mal connu avec ces 6 interviews à lire sur le site Internet de FLD

Lire aussi : Léa Gérin : « Être expéditrice de fruits et légumes c’est aussi être toujours concentrée sur ce qui se passe en production et en consommation » 

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Lire aussi : « En saison, c’est toujours l’urgence. En cerise il faut aller vite » Mathilde Chambe, expéditrice dans les Monts du Lyonnais 

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FLD : Qui est Serge Le Bonniec ? Quel est votre parcours ?

Serge Le Bonniec : Je suis un gars du pays de Paimpol, qui a travaillé la majorité de sa carrière professionnelle  avec les agriculteurs de la côte nord-bretonne. J’ai appris le métier d’expéditeur sur le terrain et mon parcours est atypique. J’ai d’abord été technico-commercial au sein d’une coopérative puis technicien de suivi de culture à la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor. J’ai remplacé par la suite, et ce pendant deux ans, le sous-directeur du marché au cadran de Paimpol. C’est cette expérience qui m’a fait connaître l’aval de la filière et le métier d’expéditeur ; j’ai trouvé ça passionnant.

En 1996 je me suis associé dans une entreprise d’expédition. Ça a duré 10 ans. Par la force des choses, j’ai dû quitté la profession, période  au cours de laquelle je me suis improvisé mareyeur en rachetant une société de marée, toujours sur la région de Paimpol. Je vendais donc des crustacés et des coquillages ! Mais j’ai toujours su qu’un jour ou l’autre je reviendrais dans ce métier passionnant qu’est l’expédition de fruits et légumes. J’avais ce projet d’entreprise d’expédition et en 2011 j’ai fondé Celtileg avec mes collaborateurs.

 

FLD : Pouvez-vous présenter votre entreprise Celtileg ?

Serge Le Bonniec : Celtileg est une entreprise d’expédition de légumes basée à Paimpol (Bretagne) et fondée en 2011. On a démarré de zéro et aujourd’hui nous représentons 30 000 à 32 000 tonnes de légumes et 36 collaborateurs.

Notre spécificité est d’acheter, par fidélité à la marque,  uniquement des légumes bretons estampillés Prince de Bretagne. C’était une volonté dès le départ. Se disperser en allant chercher de l’approvisionnement ailleurs n’avait, à mes yeux, pas de sens.

Quant à nos débouchés, 90 % de notre chiffre d’affaires vient de la grande distribution et 10 % des marchés de gros (notamment pour la fraise, produit pour lequel nous sommes numéro 1 au sein de Prince de Bretagne). C’est aussi une spécificité : alors que 40 à 45 % des légumes à marque Prince de Bretagne sont exportés, Celtileg ne fait pas d’exportation.

Pourquoi ce choix ? Parce qu’il s’agit de métiers de spécialistes et nous n’avions pas l’expérience de l’export. Demain, pourquoi pas, mais seulement en investissant dans l’humain pour aller sur ce qu’on n’a encore jamais fait. Dans notre métier il faut rester raisonnable : il vaut mieux bien faire ce qu’on sait faire, plutôt que de se disperser  et vouloir trop en faire.

« On a démarré de zéro et aujourd’hui nous représentons 30 000 à 32 000 tonnes de légumes et 36 collaborateurs »

 

FLD : Quelles sont les compétences et savoir-être à avoir pour être expéditeur de légumes ?

Serge Le Bonniec : C’est un métier prenant, passionnant. Il faut être courageux et avoir la tête à peu près bien faite. Et surtout, il faut être en présence des légumes tous les jours, pour voir, pour sentir les produits en même temps que le marché. C’est ainsi que l’on juge des tendances de marché mais également de la qualité qui pourra convenir à chaque client. Je ne conçois pas mon métier d’expéditeur de légumes derrière un bureau à échanger des mails.

« C’est en présence des légumes qu’on sent le marché, qu’on évalue la qualité »

 

FLD : Quelles sont les difficultés de ce métier ?

Serge Le Bonniec : Il faut vraiment connaître son produit. Nous sommes face à du vivant qui évolue et qui en outre a une saisonnalité. Par exemple la tomate représente 58 % de notre chiffre d’affaires mais elle est saisonnalisée -1er avril au 31 octobre. Nous avons donc dû, au fil du temps,  diversifier et développer l’activité l’hiver, avec la courge, l’endive et les légumes anciens entre autres.

Autre difficulté : un expéditeur de légumes Prince de Bretagne a pour particularité d’avoir tous les jours un panel des dizaines d’espèces et de variétés à l’offre, mais de ne pas savoir au matin les prix auxquels il va les acheter, puisqu’environ 60 à 65 % des volumes se font sous vente aux enchères, un peu comme une criée de marée. Il y a donc un enjeu à acheter la quantité dont on a besoin au prix le plus juste. La spéculation sur le légume peut être un atout de réussite mais peut s’avérer parfois dangereuse.

« Nous achetons 60 à 65 % de nos volumes sous enchères. La spéculation sur le légume peut être un atout de réussite mais peut s’avérer parfois dangereuse »

Il faut également réussir à se différencier de la concurrence qui vend aussi des légumes Prince de Bretagne. C’est tout un travail de services que l’on met en place pour la grande distribution : le fait d’être tout le temps disponible, réactif, avec notre propre flotte logistique… Nous avons 7 semi poids-lourds et 1 porteur pour aller collecter dans les stations des producteurs, de Saint-Malo à Brest. Pour la livraison à la grande distribution, nous faisons appel à des transporteurs privés, à l’exception de deux enseignes particulières que l’on livre nous-mêmes, puisque nous avons aussi la licence.

Enfin, il y a des difficultés qui sont extrinsèques au métier : le dérèglement climatique qui nous touche indirectement nous aussi, parce qu’il impacte la production mais aussi la consommation

Et la lourdeur administrative. On ne s’en sort plus. Un exemple probant : chez Celtileg tous nos documents administratifs sont estampillés “fruits” ou “légumes”. Or Prince de Bretagne vient de lancer la vanille bretonne, produit qui est catalogué comme “épice”. Pour la commercialiser et être dans la légalité, nous allons devoir changer toutes nos fiches en y rajoutant cette spécificité. C’est un coût et du temps en plus pour notre service qualité.

« Il y a une lourdeur administrative. On ne s’en sort plus (…) Pour pouvoir vendre la vanille bretonne, nous devons changer toutes nos fiches administratives »

 

FLD : Quelles évolutions du métier avez-vous pu constater depuis vos premières expériences au marché au cadran ?

Serge Le Bonniec : J’ai observé une baisse du nombre d’interlocuteurs, avec d’une part la concentration de la distribution ; et d’autre part des producteurs moins nombreux(de 4 000 producteurs Prince de Bretagne il y a 30 ans à 1 300 aujourd’hui) mais avec de plus grosses structures.

Il y a aussi un changement dans les espèces cultivées, avec à titre d’exemple une forte baisse de la production de chou-fleur depuis 20 ans et à contrario une belle progression de celle des courges (7 500 tonnes aujourd’hui contre 400 tonnes il y a 15 ans).

Enfin, on observe une forte hausse des coûts de production pour les producteurs ; et pour nous expéditeurs une forte hausse des coûts de certification et logistiques. Aujourd’hui on nous demande d’être Global Gap, IFS Broker et IFS Food… Nous avons dû investir dans un service qualité qui emploie aujourd’hui 4 personnes dont une ingénieure qualité qui dirige le service.

 

FLD : Y a-t-il une problématique RH [ressources humaines] chez les expéditeurs ?

Serge Le Bonniec : Notre métier, comme tout métier me direz-vous, est basé sur l’humain. Et je suis un passionné de l’humain. Nous sommes 36 collaborateurs dans l’entreprise, 36 personnes que nous devons fédérer pour rester en permanence dans le même état d’esprit. Ce n’est pas chose facile mais cela passe par de l’écoute et de la formation.

En effet, nos chauffeurs sont aussi agréeurs. Car lorsqu’ils vont récupérer les légumes à la station, ils doivent être capable de vérifier que les produits sont bien conformes au cahier des charges. Il faut six mois à un an pour former un chauffeur, un préparateur. On s’attache donc à garder nos collaborateurs : salaire, formations, valeurs d’entreprise, respect. Sans eux, l’entreprise ne fonctionne pas.

En revanche un expéditeur n’a pas de difficulté de recrutement, surtout sur la côte nord-bretonne. C’est encore un métier qui attire. Certains salariés sont là depuis les débuts de Celtileg et on trouve encore des jeunes à embaucher, malgré peut être des changements de valeurs générationnelles.

« On s’attache à garder nos collaborateurs : salaire, formations, valeurs d’entreprise, respect. Sans eux, l’entreprise ne fonctionne pas »

 

FLD : Demain en quoi consistera le métier d’expéditeur de légumes ?

Serge Le Bonniec : Vaste débat et je n’en ai aucune idée. Mais il faut absolument que le commerce se rapproche de la production. Car chaque métier a ses tenants et aboutissants : un paysan n’est pas un commerçant et un commerçant n’est pas un paysan. Il faut de plus en plus d’écoute, de confiance et de collaboration au sein de la filière pour que demain chacun y retrouve son compte : être payé dignement pour pérenniser les structures de chaque maillon .

 

FLD : Des projets pour l’entreprise Celtileg ?

Serge Le Bonniec : Nous réfléchissons à déménager. En termes de place nous sommes un peu à l’étroit : aujourd’hui nous louons 2 000 à 2 500 m2 de locaux (administratif et entrepôt).

Autre projet et non des moindres : Celtileg a été racheté au 1er janvier 2023, avec l’arrivée d’un actionnaire majoritaire : la coopérative bretonne Le Gouessant, qui est spécialisée dans les grandes cultures , l’élevage et l’alimentation animale. Celle-ci  voulait se diversifier avec un pôle légumes frais. Je suis actionnaire à 30 % et Le Gouessant 70 %. Une période de transition de cinq ans a été mise en place pour aboutir à une prise de contrôle totale par la coopérative de Celtileg. J’ai accepté le principe d’un accompagnement et d’une continuité de gestion sur cette période, je partirai dans 3 ans. Le Gouessant souhaite maintenir le positionnement de Celtileg et en assurer le développement, il fallait donc trouver des accompagnants pour leur apprendre ce métier qu’ils découvrent.

« La transmission c’est accompagner les repreneurs pour leur apprendre ce métier qu’ils découvrent »

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