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Herbe bien gérée, autonomie alimentaire confortée

Faire tourner rapidement les bovins sur les parcelles pour leur faire pâturer une herbe au bon stade permet des croissances plus autonomes et favorise l’autonomie fourragère des exploitations. Cette conduite plus pointue et complexe que le pâturage continu est un atout pour affronter le changement climatique.

« Pour bien pâturer, il faut beaucoup de bêtes sur une surface réduite et surtout pendant une durée limitée ! » résument bien des techniciens. Le recours au pâturage tournant ou au pâturage tournant dynamique est à cet égard la meilleure façon de procéder. Des formations sont régulièrement organisées pour sensibiliser à l’importance d’une meilleure gestion de l’herbe et du pâturage afin d’améliorer les performances animales et gagner en autonomie alimentaire. Pour autant, sur le terrain la proportion d’éleveurs qui ont adopté ce mode de conduite demeure modeste. Certes les sécheresses récurrentes ont éveillé l’attention vis-à-vis de ces techniques mais face aux évolutions du climat, bien des éleveurs semblent miser davantage sur des dérobées et des fourragères plus résistantes (luzerne, sorgho…). Les deux à trois mois de sécheresse sont parfois analysés de façon fataliste comme une donnée de toute façon irrémédiable avec dans ce contexte, une durée de pâturage qui se limitera à seulement deux à trois mois au printemps puis un à deux mois à l’automne avec recours à des fourrages stockés le reste de l’année.

Faire évoluer la gestion de l’herbe

Pour autant, pâturage tournant et pâturage tournant dynamique ont de fervents adeptes, lesquels n’envisagent certainement pas de revenir en arrière. « En Saône-et-Loire, cela fait une dizaine d’années que le pâturage tournant est promu par la chambre d’agriculture », indique Sarah Besombes, conseillère d’entreprise dans cet organisme. La mise en place de groupes de discussion sur les réseaux sociaux où les éleveurs partagent leurs pratiques, leurs réalisations, leurs petites astuces et les performances obtenues favorise une saine émulation. « Le nombre d’éleveurs qui ont adopté le pâturage tournant est variable selon les départements », indique Pascale Pelletier, du cabinet Prairie Conseil. « Dans l’Indre-et-Loire, peu d’élevages allaitants l’ont adopté, mais ils obtiennent d’excellents résultats », ajoute Stéphane David, responsable de l’équipe fourrage à la chambre d’agriculture d’Indre-et-Loire.

En Saône-et-Loire, une bonne centaine d’éleveurs ont suivi une formation. « Schématiquement sur dix éleveurs, cinq sont venus de leur propre chef avec une réelle volonté de mettre en place chez eux du pâturage tournant. Ils en avaient eu écho dans la presse spécialisée ou à l’occasion de discussions avec des techniciens », précise Sarah Besombes qui poursuit : « sur les dix participants, deux autres vont venus car ils ont vu que cela donne des résultats chez un voisin. Deux autres car ils en ont eu un écho favorable après des discussions entre éleveurs et le dernier serait plutôt un curieux, pas forcément convaincu, mais venu voir ce qu’il se dit. » Le « coup d’œil par-dessus la haie » serait particulièrement incitatif. « Ces derniers étés, voir que des adeptes du pâturage tournant commencent à affourager plusieurs semaines après les voisins tout en ayant des bêtes bien en état suscite forcément un regain de curiosité », ajoute Stéphane David.

Gagner en autonomie alimentaire

Mieux gérer l’herbe peut correspondre à une certaine philosophie du métier d’éleveur souhaitant utiliser au mieux ce que la nature met à la disposition de son troupeau, mais la principale motivation est à chercher ailleurs. « C’est mieux gérer le contenu de son portefeuille ! », souligne Pascale Pelletier. Il s’agit de limiter les achats ou plus précisément les contenir, gagner en autonomie alimentaire dans un contexte où le prix de vente des animaux n’évolue guère et obtenir de meilleures croissances ou plus précisément des croissances réalisées d’abord avec de l’herbe pâturée et non avec des kilos de céréales + tourteaux ou des fourrages stockés.

Les sécheresses récurrentes font que mieux gérer le pâturage et surtout le pâturage de printemps, permet souvent de consacrer davantage de surfaces à la fauche. « C’est aussi récolter tôt pour avoir un stock de bonne qualité. Il est plus facile et moins onéreux de diluer la valeur alimentaire d’un fourrage riche avec de la paille ou un foin médiocre plutôt que d’avoir à concentrer une ration en rajoutant céréales ou concentrés à un foin ou un ensilage de qualité ordinaire », souligne Stéphane David. Et de préciser qu’une meilleure gestion du pâturage va aussi dans le sens de prairies temporaires plus pérennes. Ce renouvellement moins fréquent limite les charges comme le recours aux phytos.

Le poids des habitudes

Les freins ou craintes pour mettre en place du pâturage tournant sont désormais bien cernés. Il y a le poids des habitudes. « Certains se font une montagne à l’idée de changer de pratiques. Ils pensent que le jeu n’en vaut pas la chandelle et redoutent les problèmes de portance liés à des mises à l’herbe précoces », estime Stéphane David. « Bien des éleveurs demeurent attachés à des dates clés du calendrier pour la mise à l’herbe et les premières fauches et non aux stades de la végétation, lesquelles ne découlent pas du calendrier mais des sommes de température », souligne Sarah Besombes. Derrière ce poids des habitudes, il y a aussi la crainte du « qu’en-dira-t-on » et du regard des autres sur la façon dont sont gérées ses parcelles. Même si cela tendrait à évoluer, certains éleveurs ne souhaitent pas forcément modifier leurs pratiques car ils redoutent des remarques désobligeantes. Et de préciser pour autant que le mode de gestion des surfaces en herbe et du pâturage a beaucoup évolué. Et dans la bonne direction ! « En Saône-et-Loire, le bulletin Herbe hebdo 71 donnant des préconisations selon le bilan des sommes de température constaté dans différents secteurs du département est très apprécié. La chambre d’agriculture l’envoie toutes les semaines par courriel à un peu plus de 3 200 destinataires dont une majorité d’éleveurs allaitants. Seuls ceux qui en ont fait la demande au préalable le reçoivent. C’est la preuve que ce document les intéresse ! »

Dimension des cheptels et qualité du parcellaire

Les freins liés à la dimension des cheptels et au nombre de lots sont une problématique majeure. « Dans certaines exploitations, il est possible de réduire le nombre de lots, estime Stéphane David. Par exemple dans le cas de vêlages de fin d’été où les veaux mâles sont sevrés juste avant la mise à l’herbe, il est possible de constituer de gros lots de vaches taries : jusqu’à 40 à 50 têtes. Ce sont des animaux pas compliqués à conduire. » Sans aller forcément jusqu’à ce chiffre, il est également possible de faire des lots de dimension conséquente pour des vaches suitées de génisses à sevrer en fin de printemps.

« Mais la première richesse pour faire du pâturage tournant dans de bonnes conditions est la qualité du parcellaire. Moins il est morcelé et plus il est facile à redécouper », précise Pascale Pelletier pour qui si la dimension des lots peut être adaptée aux caractéristiques du parcellaire, l’inverse n’est pas vrai. Une bonne connaissance de la précocité des parcelles au moment du redémarrage de la végétation et leur degré de sensibilité au manque d’eau ou aux fortes précipitations sont ensuite évidemment un atout pour organiser la rotation.

La façon dont les parcelles pourront être redécoupées est souvent analysée à l’occasion de formations. Ce redécoupage et le positionnement des points d’eau sont un souci majeur pour bien des éleveurs. Cela freinerait nombre d’entre eux, pourtant convaincus du bien-fondé de cette technique. « À la chambre de Saône-et-Loire, on utilise beaucoup les deux sites Google earth pro et geoportail.gouv.fr. À partir d’un ensemble de parcelles, cela permet de redessiner à l’écran les paddocks avec les surfaces nécessaires selon l’importance de chaque lot avec des suggestions de positionnement des points d’eau », précise Sarah Besombes. L’ombre est une autre problématique. Il est important de faire en sorte qu’il puisse y en avoir dans la plupart des paddocks. C’est impossible quand les arbres sont devenus trop rares. « On transmet nos suggestions de cloisonnement à chaque éleveur. Certaines particularités du parcellaire (mouillères, fossé, relief…) ne sont pas visibles sur geoportail. On en rediscute avec l’éleveur en repositionnant si besoin certains cloisonnements, puis on calcule la longueur de fil et le nombre de pieux nécessaires. Ce site est un super outil pour ce travail. Et il est gratuit ! »

Démarrage progressif

Les techniciens sont unanimes pour recommander une mise en place progressive du pâturage tournant. « Tout organiser dès la première année pour l’ensemble des lots, c’est trop compliqué. Il faut se faire la main sur un, voire deux premiers lots la première année, puis l’étendre progressivement quand la technique est bien maîtrisée », estime Pascale Pelletier. L’idéal est de démarrer sur des animaux pesés régulièrement mais non complémentés avec un nourrisseur. « Le verdict de la bascule est la meilleure façon de démontrer l’intérêt de la technique », ajoute Stéphane David.

Même si l’aménagement du parcellaire doit être analysé comme un investissement, il demeure modeste comparativement à d’autres dépenses. « Avec 1 500 euros de fournitures, on a déjà de quoi recloisonner pas mal de parcelles ! », souligne Pascale Pelletier. La gestion de l’abreuvement est plus onéreuse. Mais les éleveurs ont souvent de bonnes idées. Plusieurs d’entre eux ont par exemple recloisonné de grandes pâtures avec un abreuvoir positionné au milieu permettant aux paddocks organisés tout autour de dessiner comme de grandes parts de camembert ou demi-camembert. Pour un lot de 25 vaches suitées tournant sur six paddocks avec la périphérie des parcelles déjà clôturée, Stéphane David avance un montant d’investissement moyen de 120 euros/ha pour le redécoupage avec une clôture électrique.

Pas de portrait type

Même si les jeunes éleveurs semblent les plus intéressés, difficile pour autant de faire un portrait type des adeptes du pâturage tournant. « Ils sont plus fréquemment dans la tranche d’âge des 30-40 ans que dans celle des 55 ans et plus », estime Sarah Besombes. Pas non plus de profil type côté typologie de l’exploitation. « On a des fermes parfois très chargées finissant la quasi-totalité de leurs bovins mais également des systèmes plus extensifs, soucieux d’optimiser les croissances à moindres frais avec très peu de céréales et donc à la recherche de fourrages de meilleure qualité car récoltés plus précocement », précise Sarah Besombes. « Je vois la plupart des jeunes dans le cadre de leur projet d’installation. Je cherche à faire passer des messages à ce moment-là », souligne Stéphane David. L’amélioration des croissances est un argument de poids ! « Quand on fait pâturer de l’herbe au stade feuillu, sa valeur alimentaire avoisine à 0,97 UFL/kg de MS avec près de 17 % de MAT alors que de l’herbe épiée au stade floraison est plus proche de 0,66 UFL/kg de MS pour 9 % de MAT ! »

Malheureusement les promoteurs de la gestion de l’herbe et du pâturage tournant regrettent que ces notions soient deux thématiques encore loin d’être des priorités dans bien des établissements d’enseignement agricole. Elles sont souvent reléguées au second plan derrière la culture des céréales ou du maïs fourrage. C’est dommage. Surtout pour de futurs jeunes éleveurs d’herbivores contraints de se former à la gestion de l’herbe après leur installation !

Formation des techniciens en agrofourniture

Les éleveurs ne sont pas les seuls à se former à la gestion du pâturage. « Je travaille désormais davantage à l’organisation de formations avec les coopératives et négoces fournisseurs de produits d’agrofournitures. Eux aussi ont ressenti le besoin de former leurs technico-commerciaux », explique Pascale Pelletier. Ces derniers gagnent à avoir de bonnes connaissances pour être en mesure d’en discuter avec les éleveurs. Les acteurs de l’agrofourniture ont pris conscience que même s’il réduit souvent le volume des achats côté intrants, un pâturage bien conduit permet d’obtenir de bonnes performances à la fois techniques et économiques. Ils n’ont de toute façon guère d’autres recours dans la mesure où leurs clients éleveurs les interrogent de façon croissante sur ces sujets.

Dico

Le pâturage tournant, le pâturage dynamique, le pâturage fil avant/fil arrière ont tous le même but : offrir régulièrement aux animaux une nouvelle surface pour pâturer de l’herbe de qualité. Seuls le temps de séjour et la taille de la surface changent.

Formations concrètes sur le terrain

Les formations sont analysées comme un préalable nécessaire. « La gestion de l’herbe c’est d’abord de l’anticipation. La façon dont vont tourner des lots doit se raisonner bien en amont de la mise à l’herbe : gestion des surfaces pour les stocks, pour le pâturage, cloisonnement des parcelles, positionnement des points d’eau, ordre de rotation des lots dans les paddocks…. ça ne peut pas se faire 10 jours avant la mise à l’herbe ! », souligne Pascale Pelletier.

Dans les formations, les groupes gagnent à ne pas être de dimension trop importante. « Six à huit éleveurs, pas davantage, précise Stéphane David. Cela permet de faire des demi-journées chez les uns puis les autres. Les participants analysent comment leur collègue s’organise avec le parcellaire dont il dispose (clôtures, point d’eau…). Cela permet de prendre des idées. » Des formations très concrètes sur le terrain, c’est la meilleure façon de faire passer des messages.

Témoignages d’éleveurs

Dans le cadre du programme Herbe et Fourrage du terroir Limousin, ses promoteurs ont réalisé en 2016 un document synthétisant les avis de 12 éleveurs à la tête d’exploitations pilotes.

Ces témoignages font état du ressenti des éleveurs après avoir fait évoluer leur système fourrager et pour certains d’entre eux, en mettant notamment en place le pâturage tournant.

« On a maîtrisé le pâturage depuis une dizaine d’années en mettant en pratique les conseils de la formation herbe proposée par la chambre d’agriculture. L’important c’est d’abord de partir tôt au printemps et de faire tourner chaque lot sur un minimum de cinq paddocks. Avec la pratique du pâturage tournant, les lots qui sortent à l’herbe sont en meilleur état car ils ont toujours de l’herbe de qualité à leur disposition. » Gaec Rougeron Saint-Julien-La-Genête dans la Creuse.

« En 2007, le système était tout herbe avec 70 vêlages en production de broutards sur 80 hectares. Aujourd’hui, nous engraissons la totalité de la production des 140 vêlages sur 200 hectares. La première étape a été d’améliorer la valorisation de l’herbe des prairies permanentes en pratiquant du pâturage tournant et en utilisant les avertissements Gestion de l’herbe du Programme herbe et fourrages avec les sommes de température. Ensuite nous avons implanté des prairies temporaires multiespèces plus productives. Pour améliorer la valeur protéique de l’herbe, le taux de légumineuse (trèfle violet, trèfle blanc et luzerne) a été augmenté dans les mélanges. » Gaec du Boijoux, Néoux dans la Creuse.

« Nous voulions mieux valoriser les ressources de l’exploitation ; d’abord en gérant les pâtures, notamment grâce au pâturage tournant, dans un souci d’autonomie, de limitation du gaspillage, ne pas avoir à gyrobroyer et en mettant en place un assolement avec des cultures de vente. Et sortir 4 revenus avec 160 vêlages (production de veaux de lait sous la mère et de reproducteurs sur 191 ha dont 170 de prairies) car nous sommes 4 associés. » […] « Le pâturage tournant que nous pratiquons peut être qualifié de 'dynamique' car nous avons des paddocks pour une ou deux journées. La meilleure valorisation de l’herbe (pâturée et stockée) a permis de sécuriser le système fourrager. Des prairies riches en légumineuses ont été implantées, ainsi que des méteils ensilage. Le maïs ensilage n’était plus indispensable et a été remplacé par des cultures de vente comme le colza. » Gaec Delmond Allassac en Corrèze.


« En regardant chez les voisins et en discutant avec des amis éleveurs, on voit rapidement ce qui fonctionne. Clairement, les stades de récolte des fourrages, la présence de légumineuses, le pâturage tournant, ça fonctionne. Pour le pâturage tournant, sur les brebis, on le faisait déjà. On a affiné sur les bovins. C’est plus la contrainte des périodes de vêlages pour constituer les lots qui limite la chose mais on va améliorer cela. » Gaec de Lauzelle Saint-Paul en Haute-Vienne, 200 ha, 60 vaches allaitantes et 750 brebis.

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