Produits phytosanitaires : ce qui change pour vous avec la séparation vente-conseil
L’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier 2021, de la séparation entre la vente et le conseil concernant les produits phyto va bouleverser les relations au sein du paysage agricole. Objectif annoncé : faire baisser l’usage des pesticides.
L’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier 2021, de la séparation entre la vente et le conseil concernant les produits phyto va bouleverser les relations au sein du paysage agricole. Objectif annoncé : faire baisser l’usage des pesticides.
Cette fois-ci, c’est fait : la séparation entre la vente et le conseil concernant les produits phytosanitaires est entrée en vigueur au 1er janvier 2021. Le générique de fin d’un long feuilleton ? Le début de l’épilogue, plutôt. Car beaucoup reste à faire dans la mise en œuvre de ce nouveau contexte réglementaire, dont les conséquences sur le paysage agricole sont encore difficiles à cerner.
La philosophie de cette nouvelle loi est claire : interdire à un organisme qui vend des produits phyto de pratiquer également du conseil sur ces produits. Le but est de prévenir tout conflit d’intérêts qui pourrait conduire le vendeur à avoir la main lourde lorsqu’il met sa casquette de conseiller. Parallèlement, il s’agit de faire baisser la consommation de produits phytosanitaires à travers différents outils de conseil.
« Concrètement, depuis le 1er janvier, le technicien d’une structure qui a fait le choix de la vente n’a plus le droit de dire à l’agriculteur : 'vu le niveau d’infestation de maladie dans ta parcelle, il faut traiter avec tel produit phytosanitaire', résume Sandrine Hallot, directrice du pôle produits, marché et services à la Fédération nationale du négoce (FNA). Il peut lui apporter son aide sur l’observation et sur l’identification du problème mais il ne recommande pas. Au final, c’est à l’agriculteur de prendre la décision de traiter ou non. L’exploitant peut ensuite interroger son distributeur sur les produits à la gamme et commander selon son choix. » Le vendeur conserve l’obligation d’expliquer à l’agriculteur les conditions d’usage des produits (caractéristiques, mode d’action, dose, stade d’application…) au moment de l’achat.
Coopératives et négoces ont majoritairement choisi la vente
Pour les agriculteurs qui demandaient conseil au technicien de la coopérative ou du négoce, il va désormais falloir trouver une autre solution. La très grande majorité des organismes stockeurs ont en effet opté pour la vente, non pour le conseil. « Pour un grand nombre de coops, la fourniture des produits nécessaires aux exploitations (semences, engrais, produits phytos…) fait partie du pacte coopératif, c’est un point clé dans l’ensemble de leurs activités et leurs adhérents comptent sur elles », affirme Anne-Laure Paumier, directrice de la coopération agricole Métiers du grain.
Le caractère d’urgence de la décision a aussi coupé court à des réflexions sur des stratégies de plus long terme : les OS devaient se positionner au 15 décembre, alors que les principaux textes d’application de la loi n’ont été publiés que fin octobre. « Philosophiquement, on souhaiterait opter pour le conseil, mais il n’y a pas de modèle économique qui fonctionne aujourd’hui sur la base du conseil », témoigne Philippe Lefebvre, directeur développement filières et métier du grain de la coopérative Oxyane (ex-Dauphinoise).
Quelles conséquences concrètes pour les agriculteurs ? « Tout va dépendre du niveau d’autonomie de l’exploitant, et à quel point il s’appuyait sur son technico-commercial, estime Sandrine Hallot. Pour certains, cela ne va pas changer grand-chose, car ils cherchaient de la réassurance sur le type de pathologie ou sur le seuil de nuisibilité, et des informations techniques sur les produits. » Un point de vue que partage Philippe Noyau, élu en charge des dossiers productions végétales à l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) : « les jeunes installés, en particulier, ont souvent un niveau de connaissances élevé, échangent avec les voisins, trouvent de l’info sur internet… beaucoup ne seront pas perdus ».
Tous en conviennent, cette nouvelle loi va responsabiliser plus encore l’agriculteur dans ses choix de traitement. « Désormais, la réduction de l’usage des phytos est obligatoire, insiste Philippe Noyau. L’objectif est d’apporter le maximum d’infos et amener l’agriculteur à prendre ses décisions par rapport au contexte de son exploitation, en allant observer ses parcelles, en connaissant les seuils d’intervention… Ceux qui sont un peu perdus peuvent se tourner vers leur chambre d’agriculture ou vers des conseils privés. Le rôle des chambres est de ne laisser personne sur le bas-côté, on doit informer a minima tous les agriculteurs du département. »
Nouvelle offre conseil développée par les chambres
Pour ce faire, le réseau des organismes consulaires prépare une offre de conseil de préconisation et de conseil stratégique à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, désormais obligatoire (voir encadré). Les conseils de préconisation pourront être délivrés via un groupe de développement ou des prestations individuelles (tours de plaine, publications hebdomadaires avec l’analyse des bulletins de santé des végétaux, conseils téléphoniques…). Le coût pourrait s’élever à quelques euros à l’hectare, avec des variations en fonction des départements et des options choisies. Impossible en effet, selon le professionnel, de payer ce conseil avec l’impôt chambre. Il devra donc être rémunéré.
Les chambres d’agriculture travaillent également à l’élaboration de deux niveaux de conseil stratégique. Le premier niveau, le plus simple, inclurait quelques conseils pour réduire l’usage des produits phytosanitaires, sans remettre en cause le système d’exploitation. Le second niveau, plus poussé, viserait le « changement de braquet ». « Ce deuxième niveau aurait pour objectif une transition en profondeur, avec des virages plus marqués », explique Philippe Noyau.
Des inquiétudes sur le coût du conseil
Le coût du conseil est une autre grande question que soulève l’entrée en vigueur de la séparation vente-conseil pour les phytos. Peu d’organismes collecteurs ont réussi à basculer dans une logique de conseil payant, celui-ci étant habituellement inclus dans le prix de vente du produit. L’AGPB s’inquiète déjà des conséquences pour les finances des exploitations. Les exploitants pourront décider de recourir ou non à un conseil pour les préconisations sur l’usage des produits. En revanche, le conseil stratégique introduit par la nouvelle réglementation sera, lui, obligatoire.
Selon le syndicat des céréaliers, la mise en œuvre des diagnostics et du conseil stratégique se traduirait par « des surcoûts se chiffrant en centaines de millions d’euros qui plombent encore la compétitivité des exploitations ». Les chambres d’agriculture confirment que la note pourrait être salée. « Le conseil stratégique va coûter cher », a prévenu Sébastien Windsor, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture. Les organismes consulaires ont évalué « entre 500 et 1 000 euros » la facture par exploitation pour le seul conseil stratégique.
« L’agriculteur doit s’y retrouver »
Ce montant risque de pousser les exploitants à attendre le dernier moment pour s’y conformer. Or, à partir de 2024, il faudra avoir réalisé un conseil stratégique pour renouveler son certiphyto. Cela pourrait se traduire par un engorgement des prestations à réaliser à cette période. Pour éviter cela, l’APCA demande qu’Ecophyto participe au financement du conseil stratégique. Surtout, « il est indispensable que l’agriculteur y retrouve un bénéfice, insiste Philippe Noyau. Cela ne doit pas être uniquement un coup de tampon ».
Tandis que les chambres d’agriculture planchent sur leur offre de conseil, le travail ne fait également que commencer pour les coopératives et les négoces. « Il faut se réinterroger sur l’ensemble des activités de la coop, souligne Anne-Laure Paumier, de la Coopération agricole. Cela oblige à qualifier précisément l’ensemble des pratiques au regard de ce nouveau cadre, car il y a de nombreuses activités interconnectées au sein des trois missions collecte-appro-service. La question qui se pose, c’est comment apporter un appui aux agriculteurs en étant conforme à la réglementation. »
Les interrogations sont similaires du côté du négoce. Et il n’est pas toujours facile d’y voir clair, compte tenu des zones d’ombre qui subsistent dans la réglementation. Les fédérations des deux réseaux insistent sur la nécessité d’avoir des règles claires pour tous afin d’éviter des interprétations plus ou moins permissives pouvant aboutir à des distorsions de concurrence entre établissements.
Autre interrogation pour les OS : le pilotage de filières aux cahiers des charges spécifiques. Les techniciens de ces structures sont en effet en première ligne pour conseiller les agriculteurs sur les interventions à réaliser pour que les productions respectent les exigences des clients. « Nous appellerons à la vigilance sur le respect des conditions contractuelles, prévient Sandrine Hallot, chez FNA. Il revient à l’OS de surveiller que ce qui est collecté est conforme au cahier des charges du client et des consommateurs. Il va nous falloir trouver un nouvel équilibre dans un temps très contraint. »
Ce que peuvent faire ou non les structures certifiées pour la vente
AUTORISÉ« L’arsenal conseil » prévu par la réglementation
La réglementation sur la séparation entre conseil et vente des produits phytopharmaceutiques vise ouvertement à réduire l’usage des pesticides.
Elle comprend plusieurs outils de conseil qui poursuivront ce but. Ces différentes phases de conseil devront faire la promotion et favoriser les méthodes alternatives aux produits phytosanitaires (agronomie, produits de biocontrôle…)
Le conseil spécifique (non obligatoire)
« Conseil spécifique » est le terme retenu dans la loi pour définir le conseil de préconisation. Il consiste à donner une recommandation de traitement dans un contexte donné, face à une problématique donnée. Ce conseil doit être obligatoirement écrit, et préciser la substance active, la cible, les parcelles concernées, la surface à traiter, la dose recommandée et les conditions d’utilisation. Il ne peut être délivré que par un organisme certifié pour le conseil. Les structures ayant une activité de vente ne peuvent pas le pratiquer. Au cours des négociations sur la question de la séparation conseil-vente, les pouvoirs publics avaient envisagé de rendre obligatoire ce conseil spécifique pour tout traitement. Ce fonctionnement sous forme d’ordonnance a finalement été abandonné : l’agriculteur peut intervenir dans ses champs sans disposer d’un conseil écrit délivré par un tiers. De même, il n’est pas obligé de suivre la préconisation du conseiller.
Le conseil stratégique (obligatoire, sauf exploitations HVE et bio)
Le conseil stratégique sera obligatoire. Il sera réalisé en plusieurs étapes, avec un calendrier à respecter pour pouvoir renouveler son certiphyto à partir de 2024. Sur une période de cinq ans, il faudra pouvoir attester de la délivrance de deux conseils stratégiques, réalisés à deux ou trois ans d’écart maximum.
Diagnostic : il comporte une analyse des spécificités pédoclimatiques, sanitaires et environnementales de l’exploitation. Il devra intégrer une analyse des moyens humains et matériels disponibles, des rotations et de l’évolution des pratiques phytosanitaires et des IFT.
Premier conseil stratégique (plan d’actions) : sur la base du diagnostic, il présente des recommandations pour diminuer l’usage des phytos, répondre aux situations d’impasse technique, limiter le développement de résistances des ennemis des cultures.
Second conseil stratégique (bilan) : il fait un état des lieux de la mise en œuvre des recommandations du conseil stratégique initial.