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Les coops obligées de se réinventer

Concurrence accrue à l’export, numérique… Les coopératives céréalières se voient contraintes de repenser leurs modèles de développement. Plus que jamais, elles doivent mettre au premier plan les besoins de leurs clients, adhérents ou acheteurs.

Il faut trouver beaucoup plus de valeur sur le grain. Le business modèle des OS va complètement bouger dans les trois à cinq ans. » Cette analyse de Jean-François Loiseau, président d’Axéréal, est largement partagée. Le monde agricole change comme jamais… Et les coops doivent s’adapter. « Elles sont à un croisement et se doivent de réfléchir à leur business modèle, face à une conjonction d’éléments en pleine évolution », confirme Céline Ansart, responsable des études économiques et stratégiques chez Unigrains.

La mauvaise récolte 2016 (voir encadré) et l’effondrement des débouchés export ont probablement forcé la prise de conscience. Pour Maryline Filippi, chercheuse à l’Inra et personnalité qualifiée au sein du HCCA (Haut conseil de la coopération agricole), « le challenge consiste à monter en qualité », tant sur le marché intérieur qu’à l’export. Et pour répondre aux attentes de leurs clients, cette qualité devra être « constante », insiste Olivier Frey, consultant et spécialiste des coopératives.

Satisfaire les besoins de tous les clients, même à l’export

Selon le dernier bilan de FranceAgriMer, 17,6 millions de tonnes (Mt) de blé tendre, soit 52 % de la collecte 2017 partiront à l’export, plus de la moitié (53 %) se destinant aux pays tiers. Or la France doit faire face à une concurrence très vive des nouveaux acteurs du marché que sont la Russie et l’Ukraine, qui ont su profiter de la déconfiture des céréales françaises en 2016-2017 pour agrandir leur portefeuille de clients. « Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. En 2000, la France produisait davantage de blé que la Russie. En 2017, la récolte russe est deux fois celle de l’Hexagone », a décrit François Pignolet, directeur général de Centre Ouest Céréales lors de l’assemblée générale de sa coop le 1er décembre.

Plus importante, cette production est également montée en gamme. « On est dans un marché international où le consommateur est fondamental », synthétise Maryline Filippi. La question de maîtriser le trading, prégnante à la fin des années 2000 alors que la volatilité des marchés agricoles s’emballait, ne se pose plus. L’heure est à la satisfaction des besoins des clients qui, d’une certaine manière, redeviennent maîtres du jeu. Chez Axéréal, ce changement de paradigme se traduit notamment par un recentrage de sa filiale Granite (commercialisation des grains) sur ses clients industriels, la réponse aux appels d’offres des offices étatiques nord-africains passant au second plan. C’est aussi la création de CultivUp, une démarche marketing destinée à répondre aux attentes des industries agroalimentaires internationaux comme Unilever ou Heineken. « 2000 agriculteurs sont CultivUpeurs et nous comptons passer très vite à 4000 », signale Jean-François Loiseau.

Le numérique conduit à repenser la relation à l’adhérent

Pour Maryline Filippi, sur un marché très attaqué comme celui de l’export, la meilleure réponse consiste à chercher des niches à haute valeur ajoutée. « Cela signifie augmenter le niveau technique et permettre un revenu minimum pour rémunérer tous ces efforts », indique-t-elle. L’investissement, qui passe par l’intégration du numérique, est lourd. Jouer la carte du collectif peut être une solution. « InVivo est l’un des moteurs de la transformation numérique, estime Olivier Frey. Le groupe a les moyens d’investir parce que c’est une union. » De fait, avec le rachat de Smag en 2014 et sa stratégie à 2025, le groupe s’est engouffré dans le digital, proposant aux coops des outils pour promouvoir une agriculture de précision.

Mais le numérique modifie la stratégie des coops bien au-delà des seules questions techniques. « L’arrivée de start-ups comme Agriconomie qui vend des intrants ou du comparateur agricole qui vend des céréales en ligne, vient les titiller», juge Olivier Frey. Si ces nouveaux acteurs ne prennent pour l’instant que de petites parts de marché, ils les poussent à repenser leur offre de services. Uneal vient ainsi de lancer son site UnealCo pour « offrir une vitrine de ses produits et services aux adhérents, faciliter l’accès à l’offre d’Uneal 24 heures sur 24 ». La coop vise un taux d’achat en ligne de 20 %.

Que l’on ne s’y trompe pas tout de même : « ça fait partie du métier, et les coops doivent installer ces nouvelles formes de services et de conseils, estime Céline Ansart. Cependant, le relationnel doit rester étroit et de proximité ». Elles doivent donc tout mener de front, sachant que « la maturité digitale des coops est encore hétérogène », comme le souligne Olivier Frey. Mais elles devront s’y mettre, au moins parce que le numérique fait partie des leviers d'amélioration de leur compétitivité : « ces outils vont les aider à mieux gérer la récolte, la logistique », prévoit par exemple le spécialiste.

Des stratégies à construire en fonction des marchés visés

Relever ces défis requiert-il une taille critique ? « Il faut mettre en adéquation la stratégie de la coop, sa gouvernance et le marché qu’elle vise, commente Maryline Filippi. Une petite coop ne va pas aller sur un marché de masse, par exemple. » Plusieurs modèles sont appelés à cohabiter. « Les coopératives de taille moyenne travaillent en relation avec les plus grosses, décrit Florence Alin, directrice de participations chez Unigrains. Quand les grands groupes se mêlent d’export, c’est en relation avec les coops plus petites qui n’agissent pas directement mais via des structures communes. » 

La spécialisation de petites structures sur des marchés de niche, à l’image d’Ynovaé qui travaille depuis des années via le blé CRC(1) sur le créneau du babyfood, conserve tout son sens. « Le travail en filière paie toujours, note Florence Alin. Les clients n’ont pas vraiment envie de changer de fournisseur, surtout s’il a une longueur d’avance sur ses concurrents, grâce à un savoir-faire ou à des équipements particuliers. » Pour la responsable, une place existe aussi pour des coops de taille moyenne centrées sur l’optimisation logistique : « elles gagnent sur la cohésion avec leurs adhérents », indique-t-elle.

Investir dans la transformation ou à l’international n’est donc pas une obligation, à moins de viser un marché de taille mondiale. « C’est le cas pour le malt, par exemple, observe Olivier Frey. Pour peser sur ce marché, un acteur comme Vivescia n’a pas d’autres choix que de grossir via de la croissance externe. » Pour Maryline Filippi, la clé est bien « d'adapter sa stratégie à son marché ». Et il faut penser large : « il peut y avoir d’autres sources que le produit pour créer de la valeur, telles que l’énergie ou les données », signale la chercheuse. « Think different », prônait Apple à la fin des années 90…

(1) Culture raisonnée contrôlée devenue blé de nos campagnes.
« Il faut mettre en adéquation la stratégie de la coop, sa gouvernance et le marché qu’elle vise"
Maryline Filippi, chercheuse à l'Inra

La "blockchain" s'invite dans le commerce des grains

Même les plus avancés des organismes stockeurs ont encore du pain sur la planche en matière de numérique. L’utilisation de la blockchain est peut-être l’un des prochains enjeux. Cette « technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée et fonctionnant sans organe central de contrôle », selon la définition de l’organisation Blockchain France, a été testée en Australie par la start-up FullProfile dans le cadre du projet AgriDigital. Elle a servi à simplifier et sécuriser des livraisons de grains sans intermédiaires financiers tout en garantissant la complète traçabilité de la marchandise. Une autre façon de travailler en perspective.

Surfer sur le local

Même en grandes cultures, il est possible de miser sur le local. Pour Florence Alin, chez Unigrains, « les coops sont capables de raconter une histoire, de rappeler qu’elles sont ancrées sur un territoire et de valoriser cette image » y compris sur la longue filière céréalière. De fait, Terrena propose une farine NA (Nouvelle agriculture) produite par ses adhérents des Pays de la Loire et tracée du champ à la boulangerie. Et Unéal, qui se qualifie de première coopérative céréalière des Hauts-de-France, a de son côté lancé en juin son deuxième magasin Prise Direct’, qui ne vend que des produits frais et locaux.

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