Les Digifermes pour tester de nouvelles technologies utiles
Beaucoup d’offres voient le jour mais peu s’avèrent innovantes. Le réseau des Digifermes permet de faire le tri dans ces outils numériques et d’en faire des facteurs de progrès pour les producteurs de grandes cultures.
Beaucoup d’offres voient le jour mais peu s’avèrent innovantes. Le réseau des Digifermes permet de faire le tri dans ces outils numériques et d’en faire des facteurs de progrès pour les producteurs de grandes cultures.
Entre les outils d’aide à la décision (OAD), les stations météo intelligentes et les capteurs embarqués, les innovations qui promettent de mieux piloter les cultures sont légion. Elles affichent souvent des promesses alléchantes en matière de gain de temps, d’efficience des intrants, de productivité ou de meilleur respect de l’environnement. Mais sont-elles toutes innovantes ? Depuis 2018, un réseau composé de treize fermes expérimentales – dont six dédiées aux grandes cultures – teste les innovations en développement.
Ce réseau, baptisé Digifermes, a été créé à l’initiative d’Arvalis, Institut du végétal (1). Son objectif ? « Faire émerger les innovations contribuant à améliorer la multiperformance des exploitations agricoles. » Le travail des Digifermes s’articule autour de quatre axes stratégiques : le pilotage tactique des productions, la digitalisation de l’agroéquipement, le pilotage stratégique de l’exploitation et la valorisation des datas. Le pilotage tactique des productions concentre le gros de l’activité des Digifermes.
« Nous accueillons des entreprises qui souhaitent tester leurs innovations à différentes phases de leur projet », indique Inès Teetaert, ingénieur Arvalis en charge du réseau des Digifermes. Ces innovations sont testées sur le terrain, grandeur nature. « Les Digifermes sont avant tout des fermes dans lesquelles nous nous interrogeons sur le meilleur moyen de s’appuyer sur le numérique pour piloter l’exploitation », explique Pascaline Pierson, responsable de la Digiferme de Saint-Hilaire-en-Woëvre, dans la Meuse. « L’allongement des rotations, l’implantation de couverts, le développement des graminées résistantes compliquent la conduite des cultures, rappelle l’ingénieure. Le numérique peut nous aider à lever certaines contraintes et à mieux piloter les grandes cultures. »
Améliorer la précision du pilotage
Les ingénieurs s’attachent à mesurer si l’outil testé est opérationnel ou pas et s’il va apporter un gain aux agriculteurs. « Nous testons ces nouveaux outils avec des méthodologies éprouvées, rigoureuses et indépendantes », précise Delphine Bouttet, responsable de la Digiferme de Boigneville, dans l’Essonne. « L’objectif de ces nouveaux outils est d’améliorer la précision du pilotage, donc de réduire les coûts et d’améliorer le revenu. » Ces techniques doivent apporter une information qui améliore l’OAD existant : le contexte économique de l’agriculture ne permet plus de s’offrir ces outils par pur goût pour les nouvelles technologies.
À Boigneville, un système développé pour faciliter la traçabilité des produits phyto n’a par exemple pas fait ses preuves. Plus concluante, la sonde thermométrique connectée Javelot, qui permet de suivre à distance la température d’un stockage de grains, a montré son intérêt : elle assure la maîtrise du refroidissement des grains, évitant ainsi les risques de dégradations de la qualité du lot par échauffement ou développement d’insectes. Autre outil prometteur : le Bosch Field Sensor. Développé par une marque mondialement connue, il associe capteurs multispectraux, sonde hydrique et capteurs météo sur un piquet planté dans une parcelle de céréales. L’outil collecte ainsi toutes les données de la plante, du sol et du climat et permet un suivi dynamique de la végétation. « Ces piquets connectés nous permettent, au même titre que les images satellites, de recaler les modèles de nos outils de pilotage de la fertilisation azotée », détaille Pascaline Pierson.
Un robot bineur dans les blés
Différentes stations météo sont également été testées et comparées par les équipes des Digifermes. « L'objectif n'est pas qu'elles soient aussi précises qu'une station de référence Météo France mais que les conseils qui découlent de l'utilisation des données mesurées par ces stations connectées soient fiables », précise Delphine Bouttet. Autre technologie prometteuse : les robots de désherbage. À Saint-Hilaire-en-Woëvre, les ingénieurs testent Dino, bineur robotisé développé par Naïo Technologies sur des parcelles de grandes cultures. Une gageure pour un outil initialement dédié au maraîchage. « Nous avons identifié un réel enjeu pour les grandes cultures », observe Pascaline Pierson. Pour la campagne en cours, le robot est testé sur des parcelles de blé tendre, d’orge, de maïs et de tournesol, tous semés à 30 cm d’écartement.
« En jouant sur la fréquence des passages, nous atteignons de bonnes efficacités en termes de désherbage, se félicite Pascaline Pierson. Le facteur limitant du désherbage mécanique est souvent le nombre de passage, or là nous avons pu passer cinq fois à l’automne et deux au printemps. » Car si Dino est encore lent, cher et d’une autonomie limitée, il est beaucoup moins lourd qu’un tracteur : il ne pèse que 500 kg et peut « rendre service dans certaines situations ». Travaillant au rythme de quatre heures pour un hectare, Dino semble difficilement généralisable en grandes cultures mais une augmentation de son autonomie et un fonctionnement en essaim suffiraient à lever deux freins majeurs actuels. Il apparaît comme une alternative à moyen terme au désherbage chimique.
Des pièges à insectes numériques pour mieux surveiller les pucerons
Le travail réalisé autour de Dino illustre la singularité des Digifermes : les entreprises mettent à disposition leur outil et l’organisme de recherche apporte son expertise. « Nous mettons en commun nos moyens pour faire évoluer la technologie », relève Pascaline Pierson. « Nous travaillons en étroite collaboration avec les entreprises, dans l’intérêt des agriculteurs. C’est de la coconstruction. » Autre exemple en cours, les pièges à insectes numériques e-Gleek, développés par Advensee. Dans un contexte d’interdiction des néonicotinoïdes, ces pièges permettraient de mieux suivre l’arrivée des vols de pucerons sur une parcelle. « Nous suggérons à son développeur de créer un algorithme pour distinguer pucerons et cicadelles. »
Reste que ce type d’outils doit être raccordé à un OAD. « Un objet connecté seul ne sert à rien », rappelle Delphine Bouttet. C’est l’autre pan du travail des chercheurs au sein des Digifermes : valoriser les données informatiques générées par les différents matériels d’une exploitation agricole. « Nous travaillons autour de la capacité d’un système informatique à fonctionner avec d’autres produits. » Un vaste chantier qui se résume en un mot : l’interopérabilité.
(1) En partenariat avec l’Idele, l’ITB, Terres Inovia et l’Acta.Les innovations testées sur leur intérêt économique
Les Digifermes aux Culturales
Lors de la quatorzième édition des Culturales (1), qui se tiendra les 5 et 6 juin 2019 à Jaunay-Marigny dans la Vienne, un espace numérique résumera l’apport des nouvelles technologies en matière de performances techniques, de confort, de gains économiques : géolocalisation et autoguidage (GPS/RTK), applications liées au GPS, outils disponibles pour faire de la modulation intraparcellaire sur pulvérisateur, mais aussi les outils numériques au service du pilotage des cultures tels que les stations météo connectées et les outils d’aides à la décision. Sans oublier les outils testés dans les Digifermes. À voir aussi : le show quotidien sur le thème « Demain, je pilote ma ferme avec le numérique ».
(1) Lesculturales.comDes agriculteurs pour évaluer les outils numériques
Agriculteur connecté, Gilles Paré cultive 90 ha de céréales et luzerne porte-graines à Beaufort-en-Vallée, en Maine-et-Loire. Adhérent à la coopérative UAPL, il est aussi membre des Fermes leader, réseau de fermes numériques porté par Invivo. À ce titre, comme quatre autres producteurs de sa coopérative, il teste plusieurs outils numériques. « Je suis très demandeur d’outils numériques qui permettent une agriculture de précision, explique l’agriculteur. Je souscris énormément de contrats sur les volumes de céréales, de type CRC (1) et Lu Harmony, qui nous incitent à adopter un pilotage de la fertilisation azotée et de la protection des plantes. Cela passe par des services d’agriculture connectée. Ces techniques nous permettent d’accentuer la traçabilité de nos productions et de réduire notre impact environnemental. Elles nous facilitent la vie en cas d’audit et de contrôle. »
Quatre outils testés
Selon l’activité de l’agriculteur, la coopérative propose des applications qui lui semblent pertinentes. « Je teste une application qui sert à gérer mon temps de travail sur l’exploitation et une autre qui pilote l’irrigation du maïs via une sonde capacitive », commente Gilles Paré. L’agriculteur essaie également des produits développés par la coopérative ou ses partenaires : Profil, un outil de gestion parcellaire et Avisio, pour le pilotage des fongicides sur céréales à paille. « Ça fait quatre outils au total, ce qui est grandement assez pour prendre chacun en main. Il ne sert à rien d’en prendre quinze ! Ce projet permet d’avoir un accès gratuit à des applications nouvelles et utiles, en échange d’un retour d’expériences. C’est un bon moyen pour rendre compte de l’intérêt de l’outil, notamment par rapport à la taille de l’exploitation. »
« Les agriculteurs pilotes évaluent la pertinence de l’outil et apportent des remontées vraiment spécifiques à notre coopérative, relève Benoît Calmes, conseiller de l’UAPL en charge du déploiement des services auprès des agriculteurs. Ils contribuent à créer des outils ergonomiques et faciles d’utilisation. » Ils montrent aussi la voie à leurs pairs en matière d’outils connectés.
(1) CRC : culture raisonnée contrôlée.