Puissance agricole émergente
Le potentiel de production céréalière russe est énorme
Puissance agricole émergente
Avec un incontestable renouveau, l´agriculture russe peut devenir un compétiteur de l´Union européenne sur ses principaux marchés de céréales et de produits d´élevage.
« En 1997, après deux récoltes catastrophiques, la Russie semblait condamnée à avoir recours à l´aide alimentaire pour couvrir les besoins de sa population pauvre, déclare Jean-Jacques Hervé, ancien conseiller agricole français en Russie. En 2001, puis en 2002, la Russie devient exportatrice de céréales, perturbant fortement les marchés traditionnels de l´Europe ».
Dans les années 1990, la Russie produisait à peine 45 millions de tonnes de céréales. Depuis la production céréalière s´est envolée pour atteindre les 65,5 millions de tonnes en 2000-2001, 85 millions de tonnes en 2001-2002, et même 86,6 millions de tonnes en 2002-2003, dont plus de 17 millions de tonnes sont parties à l´exportation. Ainsi en 2002-2003, la Russie s´est hissée au troisième rang mondial des pays exportateurs de blé (avec 13,5 millions de tonnes), juste derrière les États-Unis (22,7 millions de tonnes) et l´Union européenne (15,4 millions de tonnes) devançant l´Ukraine (6,7 millions de tonnes), le Canada (8,6 millions de tonnes), l´Argentine (6 millions de tonnes) et l´Australie (11 millions de tonnes).
Avec des prix très bas en blé (30 à 40 dollars en dessous du prix Fob américain), « la Russie a fortement concurrencé la France sur des marchés où celle-ci est traditionnellement exportatrice comme certains pays de l´Union européenne, l´Égypte, l´Algérie, le Maroc et la Tunisie », remarque Philippe Kaspi, directeur de France Export Céréales.
La céréaliculture russe semble bien partie pour prendre son envol et pour se positionner comme exportatrice de façon durable. Même si le budget consacré à l´agriculture n´est certainement pas à la hauteur du défi que représente son développement, (le budget 2003 est stable par rapport à celui de l´année précédente et ne représente que 1,34 % des dépenses budgétaires globales), « le développement du secteur agricole russe est une priorité de l´action gouvernementale selon les déclarations officielles », observent les experts de France Export Céréales.
©D. R. |
Une courte période de répit...
En 2003-2004, la campagne céréalière est considérée comme mauvaise en comparaison avec les deux campagnes précédentes : la production est en baisse de 25 %, les exportations sont divisées par quatre. « Mais ce n´est pas la tendance à moyen terme. Le potentiel de production céréalière russe est considérable même s´il doit être modulé par la forte incidence des facteurs climatiques et par l´impossibilité de concevoir une productivité semblable à celle que connaît la France. » Selon Margot Grouss, qui représente France Exports Céréale dans les Peco et la CEI, « cette campagne constituera une période de répit, elle permettra peut-être aux autorités publiques de réfléchir clairement à une politique plus efficace à mettre en place afin que la Russie conserve sa place sur le marché mondial, tout en alimentant convenablement son marché intérieur ».
« Le cap d´une production annuelle approchant les 100 ou 120 millions de tonnes(1) de céréales produites en Russie est tout à fait envisageable dans les années à venir, souligne Lorraine Bouvier, ex-trader chez Dreyfus. Dans ce cas, la Russie pourrait faire le prix mondial... ».
La Russie s´apprête à rejoindre l´OMC
Selon Jean-Jacques Hervé, « tout accroissement de la collecte, au-delà de 75 à 80 millions de tonnes, sera destiné à l´exportation puisqu´un éventuel accroissement de la production animale ne pourra qu´absorber 5 millions de tonnes de céréales (...). On peut donc redouter une augmentation des capacités exportatrices de la céréaliculture russe, d´autant plus que la relance de l´aviculture semble donner la priorité à l´utilisation du soja d´importation ».
L´agriculture russe peut devenir un compétiteur de l´Union européenne sur ses principaux marchés de céréales et produits d´élevage. Par des avantages comparatifs, la Russie peut laminer les marchés d´exportation, mais grâce à ses conditions de production extensive - donc peu consommatrice d´engrais et de produits phytosanitaires -, elle peut aussi prendre une place significative sur les marchés de produits de qualité.
Dernier point, la Russie s´apprête à rejoindre l´Organisation mondiale du commerce : « elle pourrait alors jouer un rôle avec les pays en développement et surtout les grandes puissances agricoles émergentes - Chine, Inde, Brésil -, avec lesquelles elle a de nombreux points communs », note encore l´ancien conseiller agricole français en Russie.
(1) A titre de comparaison : en 2003, les États-Unis auront produit près de 64 millions de tonnes de blé, l´Union européenne 91 millions de tonnes, la Chine 86 millions de tonnes, l´Inde 67 millions de tonnes.