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Le biocontrôle remet le soufre au goût du jour

Des essais dédiés aux produits de biocontrôle contre les maladies des céréales ont mis en lumière l’intérêt du soufre contre la septoriose, associé à un fongicide à dose réduite.

Les vieilles recettes ont toujours du bon. Pour les céréales, on croyait le soufre tombé dans les oubliettes. Mais des essais dans le cadre du Réseau d’excellence expérimental R2E(1) avec Arvalis aux manettes ont permis de refaire la lumière sur le soufre et son intérêt dans la lutte contre les maladies foliaires. En 2016, quelques produits de biocontrôle ont été testés en association avec une demi-dose de fongicide (Cherokee à 0,67 l/ha) sur leurs efficacités sur septoriose. « Il est apparu que les deux produits à base de soufre utilisés, Héliosoufre et Actiol, apportaient un surplus d’efficacité significatif associé à un gain de rendement. L’ajout de soufre complète bien Cherokee à demi-dose. C’est une piste intéressante », signifiait Claude Maumené fin 2016. Dans une année 2017 avec peu de pression parasitaire, ces résultats ont été confirmés. Des distributeurs proposent désormais dans leur gamme le mélange de soufre à une demi-dose de fongicide en premier traitement T1, en visant l’oïdium. Car il y a un hic : les spécialités à base de soufre solo ne sont pas homologuées contre la septoriose. Seul un produit soufré a cette homologation : Unicorn DF (Nufarm). Il s’agit d’un fongicide qui associe le soufre au tébuconazole dans une formulation de granulés dispersables.

Des demandes d’homologation en cours contre la septoriose

Il existe des dizaines de ces produits contenant du soufre seul(2) dont les autorisations sur céréales se limitent à un usage contre l’oïdium. « Pour permettre une utilisation contre la septoriose, une société doit demander une extension d’homologation de son produit et démontrer que le soufre seul présente une activité significative sur cette maladie », précise Claude Maumené. Plusieurs firmes disent avoir déposé des dossiers auprès de l’Anses pour obtenir ce sésame en espérant, pour certaines, l’obtenir pour les traitements du printemps 2018. « Nous avons déposé en octobre un dossier d’extension d’homologation pour notre produit Héliosoufre, informe Manuel Ramos, responsable du service technique chez Action Pin. Sur deux essais en 2017, notre produit a démontré une efficacité de 58 % sur septoriose, assure-t-il. Le temps d’attente pour l’examen d’un dossier est moins long pour un produit de biocontrôle que pour une spécialité phytosanitaire conventionnelle. Et en plus, il s’agit d’une simple extension d’homologation. » Mais rien ne certifie une réponse positive dans les six mois.

Profil environnemental favorable

Les perspectives de l’utilisation du soufre ne sont pas intéressantes seulement pour l’efficacité apportée. Son profil toxicologique et écotoxicologique est plutôt en sa faveur. Les produits à base de soufre figurent dans la liste « Biocontrôle substances naturelles d’origine minérale » et, à ce titre, peuvent permettre de réduire les usages de fongicides conventionnels. C’est aussi dans cette optique qu’une fiche CEPP(3) a été conçue à destination des distributeurs. Ce document officiel est une bonne incitation à utiliser du soufre dans une liste de solutions plutôt restreinte pour la réduction voulue de l’usage des produits phytosanitaires.

De plus, le soufre ne coûte pas cher : compter quelques euros par hectare pour un produit basique même si des spécialités élaborées s'avèrent plus coûteuses. Arvalis a fait les calculs : la demi-dose (0,67 l/ha) de Cherokee associée à 3,5 l/ha d’Héliosoufre se chiffre aux alentours de 32 euros de l’hectare, comparable à une pleine dose de Cheroke en coût à l'hectare mais avec un gain en rendement de 2,8 q/ha dans les essais 2016.

Sur le plan du mode d’action, le soufre est une molécule multisite. « Ce caractère est assez précieux dans la lutte contre la septoriose. Selon des travaux d’Anne-Sophie Walker à l’Inra, le soufre contrôle tous les phénotypes du pathogène (NDLR : dont plusieurs résistent à des triazoles) tout comme le chlorothalonil, autre molécule multisite », souligne Claude Maumené. L’utilisation du soufre pourra être une stratégie pour endiguer la montée des souches résistantes de septoriose à divers fongicides du marché.

Néanmoins, l’utilisation de soufre nécessite quelques précautions d’emploi pour ne pas boucher ses buses : il faut bien s’assurer du mélange homogène de la bouillie avant de traiter, utiliser un volume minimum d’eau à l’hectare (80 ou 100 l, voire 50 l), ne pas laisser la bouillie dans la cuve trop longtemps… De quelques kilos à l’hectare de soufre, les doses testées sur céréales sont loin en tout cas de celles utilisées sur d’autres cultures comme la vigne (10 kg/ha).

Pistes à poursuivre en deuxième et troisième traitements

On peut s’étonner de la redécouverte des propriétés du soufre. On connaissait cette molécule pour son action anti-oïdium, pas pour ses effets sur la septoriose. Claude Maumené tente de trouver des explications à ce regain d’intérêt : « Nous sommes dans un contexte où beaucoup de fongicides céréales ont besoin d’être renforcés et l’apport positif du soufre est évident sur certains de ces produits les plus en difficulté. D’une part, les rejets soufrés par les industries ont diminué ces dernières décennies. Les retombées atmosphériques sont moins importantes, ce qui a pu agir sur des cultures qui se sont retrouvées moins bien alimentées en soufre, avec des conséquences indirectes sur leur état. D’autre part, le soufre participe au système de défense de la plante, induisant des mécanismes de résistance aux maladies au-delà de l’activité directe. » Ces deux derniers points évoqués par le spécialiste d’Arvalis restent des hypothèses même si des recherches tendent à les étayer.

En 2017, les essais ont été reconduits avec le mélange de soufre et de quelques fongicides à demi-dose en premier traitement. « Le mélange de Cherokee avec du soufre risque d’être interdit dans un proche avenir pour des raisons réglementaires », fait savoir Claude Maumené. Arvalis et plusieurs distributeurs ont testé le soufre en deuxième traitement (T2), par exemple en association avec le produit Kardix (prothioconazole + deux SDHI) à dose réduite. « Les résultats sont intéressants. C’est une piste à poursuivre, estime Claude Maumené, de même que celle du soufre utilisé en troisième traitement (T3) contre la fusariose. Nous avons remarqué une petite activité sur cette maladie des épis. Le soufre est plein de promesses. »

(1) Regroupement de dix collecteurs : Caliance (Triskalia), Terrena, Agrial, Val’Epi, Noriap, Lorca, Vivescia, Dijon Céréale, Terre Atlantique.(2) La majorité sous forme de granulés dispersables ou de poudre mouillable, quelques-uns en formulation liquide comme Héliosoufre, nécessitant moins de soufre à l’hectare.(3) Certificat d’économie de produits phytopharmaceutiques.

Un segment de marché en devenir

Lors de la dernière campagne, l’utilisation de soufre a concerné 85 000 hectares de céréales avec une progression de 40 000 à 50 000 hectares en un an, selon les données de plusieurs sociétés phytosanitaires rapportées par Arvalis. « C’est un segment de marché en devenir, qui va se développer avec les différentes initiatives provenant de plusieurs firmes, confirme Jérôme Tournier, BASF. En ce qui nous concerne, nous mettons sur le marché un pack associant le fongicide Juventus (metconazole) avec Jubile (800 g/kg de soufre en granulé dispersable). La dose recommandée sera de 0,7 l/ha de Juventus + 2,1 à 2,9 kg/ha de Jubile. » D’autres sociétés vont faire des propositions du même type.

Du soufre sur 10 000 hectares de céréales bretonnes

En Bretagne, la coopérative Triskalia a pris le parti de conseiller l’usage du soufre associé à un fongicide en premier traitement. L’oïdium est souvent présent à ce stade dans cette région au climat océanique. « Pour cette année 2017, nous avons commercialisé l’équivalent de 10 000 hectares traités avec du produit Héliosoufre, conseillé à 3 l/ha avec une demi-dose de fongicide conventionnel en T1, précise Philippe Lécuyer, chargé développement agrofourniture céréales et colza chez Triskalia. Cela représente 10 % de nos surfaces en céréales. Pour la campagne prochaine, un objectif de doublement de cette surface est un minimum. »

Daniel Coignard, agriculteur à Iffendic en Ille-et-Vilaine

Le soufre remplace une demi-dose de fongicide

 

« Pour la première fois cette année, j’ai utilisé du soufre dans mon programme fongicide. Sur les conseils de mon technicien de Triskalia (Valentin Fourrez), en premier traitement en visant l’oïdium entre autres maladies, j’ai remplacé le produit Cherokee par une demi-dose de celui-ci mélangé à Héliosoufre à 3 l/ha. Je n’ai pas vu de différence sur les résultats : ce mélange remplace bien le produit Cherokee seul. J’en suis satisfait d’autant plus que cette utilisation répond à un objectif de réduire les doses de fongicides – ce que je fais sur tous les traitements — pour des raisons environnementales et de coût. Mais ma première expérience d’utilisation de soufre a dû se faire avec des précautions. Le produit doit être bien dilué dans la cuve du pulvérisateur. Le mélange se fait bien le temps du remplissage pour obtenir une bouillie homogène. Le traitement doit se faire dans la foulée pour éviter tout dépôt en fond de cuve. Je traite à un volume de 100 l/ha et l’utilisation de soufre ne nécessite pas d’augmenter ce volume. Le mélange a été appliqué sur tous nos blés avec des variétés choisies pour leur tolérance globale aux maladies et notamment à la rouille jaune. Cette stratégie est sécurisante sur notre exploitation de polyculture-élevage où les traitements sur les cultures ne doivent pas trop empiéter sur le temps consacré à l’élevage. »

Gaec Coignard-Morlais avec Béatrice (épouse) et Cédric (fils).139 ha de terres peu profondes avec une faible réserve utile : 45 ha de blé tendre, 45 de maïs fourrage, 9 d’orge, 11 de colza et le reste en prairie. Ateliers d'élevage de poules pondeuses et de vaches laitières.

Polyversum doit encore faire ses preuves contre la fusariose

Même s’il est homologué sur céréales contre les fusarioses(1), Polyversum continue à être étudié. Il s'agit de parfaire l’utilisation de ce produit de biocontrôle à base de spores d’un parasite de champignons pathogènes. « Les résultats d’efficacité sur les Fusarium restent mitigés », selon Arvalis. Pour Aurélie Morin, chef marché grandes cultures chez de Sangosse, « Polyversum utilisé seul présente une efficacité de 30 % sur les Fusarium. Il est dorénavant utilisable en agriculture biologique en produit solo. En conventionnel, nous recommandons de le compléter avec un fongicide(2). Des packs sont commercialisés associant Vertara, Sunorg Pro ou Caramba Star à Polyversum, précise Aurélie Morin. Par ailleurs, nous avons optimisé sa formulation car Polyversum est désormais prêt à l’emploi avec des sachets que l’on peut vider directement dans l’incorporateur du pulvérisateur. »

(1) Homologué aussi contre le sclérotinia du colza.(2) Pas compatible avec Priori Xtra, Amistar, Acanto.

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