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Traitement phytosanitaire et rentabilité : la protection fongicide sous influence psychologique

Des chercheurs de l’Inrae confirment la pertinence économique de la protection fongicide mais mettent en évidence l’influence du ressenti face aux risques de pertes.

En cas de faible risque de maladie, même des agriculteurs ayant une aversion modérée aux pertes peuvent refuser de se contenter d’un seul traitement. © V. Marmuse/CAIA
En cas de faible risque de maladie, même des agriculteurs ayant une aversion modérée aux pertes peuvent refuser de se contenter d’un seul traitement.
© V. Marmuse/CAIA

Parmi les risques que doit gérer un agriculteur sur son exploitation, celui lié aux maladies pénalisant le rendement des cultures n’est pas le moindre. Leur nuisibilité moyenne sur blé s’élève en effet à 1,7 tonne à l’hectare en moyenne en France, avec des pics à près de 3 tonnes/hectare. La gestion de ce risque implique encore bien souvent l’utilisation de produits phytosanitaires, mais les traitements sont-ils appliqués à bon escient ? Bien souvent, les exploitants sont accusés d’utiliser les pesticides sans discernement, privilégiant les traitements systématiques plutôt qu’ajustés aux risques réellement encourus.

Deux fongicides souvent justifiés

Des travaux menés par Alain Carpentier et Xavier Reboud, chercheurs à l’Inra, montrent que ce jugement est caricatural. Le raisonnement des agriculteurs est en effet loin d’être irrationnel. « Les agriculteurs emploient des fongicides parce que leur utilisation accroît significativement leur revenu », expliquent les deux chercheurs. Pour mener à bien leur étude, les scientifiques se sont appuyés sur les données publiées par Arvalis sur la période 2002-2019. Celles-ci décrivent finement le risque de maladie et les décisions de protection fongicide des agriculteurs, tout en indiquant l’efficacité de la protection chimique contre ces maladies. Il en résulte que « sur la période 2003-2019, la protection fongicide moyenne des agriculteurs français est rentable chaque année et très rentable certaines années ». Ainsi, les agriculteurs ont dépensé en moyenne entre 63 et 87 euros par hectare (€/ha) en protection fongicide. En face, la rentabilité nette moyenne de ces traitements oscillait entre 13 et 383 euros par hectare et par an, avec une moyenne de 137 euros/hectare. La rentabilité était bien entendu influencée par le niveau de nuisibilité des maladies (entre 0,83 et 2,71 t/ha selon les années) et par le prix du blé, qui a fluctué entre 92 euros/tonne et 229 euros/tonne.

Le programme « de référence » dans les campagnes françaises, composé de deux traitements, apparaît donc « souvent justifié » selon les chercheurs. Avec un bémol : si les interventions fongicides sont jugées « optimales, au sens de la marge espérée, en cas de risques économiques moyens ou élevés », le niveau de traitement est souvent excessif en cas de risque faible. Autrement dit : les agriculteurs interviennent à bon escient en cas de pression significative, mais ont du mal à lever le pied lorsque la maladie se fait plus rare. « S’il semble enclin à ajouter un traitement en cas de risque plus élevé qu’attendu, l’agriculteur français moyen paraît plus réticent à faire l’impasse sur l'un des deux traitements du programme habituel lorsque le risque s’avère plus faible que prévu », expliquent les chercheurs.

Soulagement par élimination d’une perte

Mais les agriculteurs ne font que reproduire un comportement très courant face au risque. Alain Carpentier et Xavier Reboud rappellent la part de la psychologie dans nos comportements et plus précisément notre aversion au risque. Cette logique a été théorisée dès 1979 par deux psychologues sous le nom de Théorie des perspectives. Ce cadre d’analyse a, par la suite, été enrichi par des économistes. « Les individus confrontés à une décision risquée distinguent les pertes en deçà d’un résultat de référence, des gains au-delà de ce résultat de référence, et tendent à surpondérer les pertes », résume Alain Carpentier. Ainsi, lorsqu’un individu souscrit un contrat d’assurance, le paiement d’une cotisation permet de se débarrasser d’un risque économique. La cotisation est supérieure aux remboursements qui peuvent être espérés « en moyenne ». Il perd de l’argent mais élimine le risque de payer ponctuellement les dommages parfois conséquents. La plupart des individus cherchent ainsi à réduire le caractère aléatoire de leur revenu, quitte à obtenir un revenu moins élevé en moyenne. « Les individus qui ont une aversion aux pertes ressentent plus de soulagement par l’élimination d’une perte que de satisfaction à obtenir un gain équivalent », expliquent les chercheurs.

Décider en fonction des informations connues

C’est le même mécanisme qui l’emporte pour certains traitements fongicides, ces derniers jouant le rôle d’autoassurance. En particulier, un agriculteur aura une forte sensation de pertes s’il a fait l’impasse sur un traitement mis en œuvre habituellement, alors que la nuisibilité de la maladie a finalement été élevée. En revanche, si l'agriculteur a décidé de se passer d'un traitement initialement non prévu, la perception de perte sera moindre. Tout dépend donc, du point de vue psychologique, du programme qui était prévu par défaut. Or, les calculs des scientifiques de l'Inrae laissent penser que pour certains traitements fongicides, « le choix par défaut des agriculteurs est de traiter plutôt que de ne pas traiter ». Dès lors, même des agriculteurs avec une aversion modérée aux pertes peuvent se montrer très réticents à opter pour un seul traitement en cas de faible risque de maladie. Réduire la protection constitue en effet une prise de risque par rapport à la stratégie de protection habituelle, et cela peut être difficile à assumer. D’autant que cette stratégie habituelle est généralement économiquement rentable. Un agriculteur qui a décidé a priori de ne pas traiter fera plus facilement l’impasse en cas de faible pression maladie, car « il ne mettra en œuvre le traitement que s’il s’avère rentable en moyenne, étant donné l’information disponible » au moment de prendre la décision de traiter ou non.

La perception du risque varie également selon le type de variété utilisée et les informations sur la propagation des maladies. Il est facile de dire a posteriori qu'un traitement était inutile, mais les décisions sont souvent prises en peu de temps, sur la base des données et des conseils disponibles. La dimension psychologique des choix souligne l’importance de l’accès à l’information telle que celle prodiguée par les outils d’aide à la décision ou le bulletin de santé des végétaux.

Traiter ou ne pas traiter, tout dépend de la question

Il est possible, mais difficile, d’influencer nos propres mécanismes comportementaux en modifiant notre représentation d’un problème. Dans la situation d’un traitement fongicide à appliquer ou pas, la réponse peut être différente selon que la question est « ce traitement est-il vraiment utile ? » ou « ce traitement est-il inutile ? » Répondre à la première question, qui suppose que notre choix par défaut est de ne pas traiter, aboutira plus facilement à ne pas déclencher le traitement. La deuxième question suppose que notre choix par défaut est de traiter. Dans ce cas, nous aurons tendance à mettre en œuvre ce traitement même s’il n’est pas rentable. Ne pas traiter alors que l’infestation est bien réelle générerait une sensation de perte, et le fait de l’anticiper nous pousse à traiter. L'erreur est ici de donner trop de poids à nos regrets potentiels. Ne pas déclencher un traitement qui n'est habituellement pas nécessaire est à l’origine de sensations potentielles de perte similaires. Mais le déclencher alors que le niveau de maladie ne le justifiait pas engendre d’autres sensations potentielles de perte, dues au fait d’avoir traité inutilement. Cela peut provoquer une réaction du type : « je savais pourtant que ce n’était pas la peine de traiter ! ». Ces sensations potentielles de perte (« j'ai dépensé de l'argent pour rien ») nous amènent à accepter plus facilement de faire l'impasse sur un traitement d’appoint. Le coût d’un traitement « habituellement utile » est, lui, implicitement considéré comme un coût « normal ».

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