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Des variétés rustiques de blé pour économiser en intrants

Dans la diversité des variétés de blé inscrites en France, il y a celles qui résistent bien aux maladies, voire aux stress azotés. État des lieux de la recherche variétale sur ces blés rustiques permettant de réduire les intrants tout en préservant ses marges.

Elles produisent un peu moins que les meilleures variétés conventionnelles. Mais elles résistent bien aux attaques parasitaires et peuvent s’affranchir d’un certain nombre de traitements phyto. Dans une conjoncture où les cours des blés sont bas, Les variétés de blé dites « rustiques » gagnent en attractivité grâce aux économies de charges en intrants qu’elles peuvent permettre.

À l’Inra du Rheu (UMR Igepp (1)) près de Rennes, Bernard Rolland est un des artisans de l’obtention de variétés rustiques de blé. « En sélection, nous appliquons un itinéraire à zéro fongicide et régulateur, avec une densité de semis réduite de 60 % par rapport à celle appliquée dans la région, pas d’azote au tallage et un apport diminué de 30 unités à montaison. Nous produisons ces conditions extrêmes sur les générations F6 à F8 en début de sélection fixatrice, pour pouvoir trier le matériel génétique et garder les lignées susceptibles de bien se comporter dans ces itinéraires à faibles intrants », explique l’ingénieur de recherche. Malgré une pression de sélection brutale, des variétés sont sorties de ce processus comme Lyrick, Grapelli, Granamax, développées par Agri Obtentions il y a quelques années. « Nous avons connu une bonne période il y a cinq ans environ avec plusieurs variétés performantes qui ont été inscrites au catalogue officiel. Nous sommes actuellement plutôt dans un creux en matière d’obtentions, reconnaît Bernard Rolland. Il y a malgré tout des variétés récentes intéressantes comme Nemo, Descartes, Gimmick… »

Une évolution de la rouille jaune à prendre en compte

Les sélectionneurs privés travaillent également à l’obtention de variétés rustiques même si la pression de sélection n’est pas aussi sévère. Avec le rendement et le taux de protéines, la résistance aux maladies fait partie des orientations prioritaires de la recherche variétale. Mais il y a de nombreuses maladies touchant le blé. Sélectionneur chez Florimond Desprez, Thierry Demarquet dresse un tableau des « forces en présence ». « Actuellement, nous sommes témoins d’une évolution de la rouille jaune qui s’adapte même aux conditions de productions des pays chauds. À l’aide de nouvelles ressources génétiques, nous tentons de cumuler dans les mêmes variétés plusieurs gènes de résistance avec l’utilisation de marqueurs moléculaires qui permettent de suivre ces gènes dans un programme de sélection. Ce travail de "pyramidage" des gènes prend du temps et nous pourrions obtenir des variétés cumulant plusieurs de ces gènes dans cinq ans », évalue Thierry Demarquet. Un tel "pyramidage" pourrait limiter fortement les risques de contournement de résistance génétique par de nouvelles souches de rouille jaune comme l’on en a connu dernièrement.

Cette résistance durable est également recherchée pour les autres maladies comme la rouille brune ou la septoriose. « Vis-à-vis de ce dernier pathogène, la variété Cellule apporte une résistance intéressante que nous avons pu caractériser. Elle comporte un gène de résistance majeure et plusieurs gènes de résistance partielle », informe Thierry Demarquet.

Le Microdochium s’invite à la table des recherches

D’autres maladies sont plus délicates à contrôler sur le plan génétique comme la fusariose des épis. « On est plus sur de la tolérance que sur de la résistance. Quand il y a une pression forte de Fusarium, les variétés jugées bonnes ne permettent pas d’éviter la maladie. On ne connaît pas de gènes précis de résistance mais plutôt des régions du génome (les QTL) apportant un intérêt dans la tolérance à cette maladie. Après la création d’Apache tolérante à ce pathogène, il reste à accomplir un pas de plus dans la résistance à la fusariose des épis. » Pour ajouter à la difficulté du sélectionneur, de nouveaux parasites s’invitent parfois comme le Microdochium nivale qui a été très présent en 2016 dans des conditions climatiques particulières. La maladie est de mieux en mieux connue et sa présence a justifié des programmes de recherches spécifiques tels certains financés par le FSOV (2).

Si plusieurs semenciers ont lancé des programmes de sélection de blés rustiques en France, les autres pays européens ne sont pas en reste. Sem-Partners se fait fort de trouver les blés étrangers qui peuvent intéresser le marché français en orientant son offre sur des « variétés répondant aux exigences environnementales du plan Écophyto. » « Nous puisons un peu dans tous les programmes européens de sélection, présente Olivier Leblanc, responsable développement chez Sem-Partners. L’Autriche et l’Allemagne sont des partenaires qui travaillent beaucoup l’aspect rusticité à travers la résistance aux maladies et la capacité à capter l’azote en profondeur tout en sortant des blés avec des taux de protéines intéressants. »

Succès local pour nombre de blés rustiques d’origine étrangère

Sem Partners a mis sur le marché français des variétés d’origine étrangère qui ont connu un succès localement comme Chevalier, variété panifiable allemande bonne en protéines et résistante aux maladies y compris à la fusariose ou Attlass, variété Svalof Weibul (Suède) qui constitue une référence en agriculture biologique. Plus près de nous, il y a Adesso, blé de force Autrichien figurant dans la liste VRM des meuniers français ou Attraktion, blé allemand panifiable rustique montrant un bon comportement face aux rouilles et à la septoriose. « Nous développons en France des variétés déjà inscrites ailleurs en Europe. Mais nous participons aussi aux programmes de sélection en déposant des variétés à l’inscription. Cette année, nous avons trois variétés de blé d’origine belge et italienne en deuxième année d’inscription en France », souligne Olivier Leblanc.

Résistance aux maladies et bonne captation de l’azote : ces deux caractères répondent bien aux exigences des producteurs recherchant les économies d’intrants mais aussi à celles des agriculteurs biologiques. Pour ces derniers, il faut y ajouter le pouvoir de compétition vis-à-vis des adventices. Sur des parcelles à zéro intrant, près d’un tiers des essais variétaux à l’Inra est dévolu à l’obtention de variétés biologiques… pour faire gravir une marche supplémentaire à la rusticité des variétés et à leur non dépendance aux intrants.

(1) Institut de génétique, environnement et protection des plantes.(2) Fonds de soutien aux obtentions végétales.
 

Les blés rustiques en bonne place dans les surfaces de multiplication

Les variétés de blés dites « rustiques » sont celles présentant une bonne tolérance au complexe parasitaire des rouilles brune et jaune, de la septoriose et du piétin-verse principalement.

La mise au point d’itinéraires à bas niveaux d’intrants utilisant les blés rustiques montre sa fiabilité économique. Cette approche reçoit un écho favorable jusqu’au début des années 2000. Les variétés « rustiques » apparaissent attractives, d’où une augmentation forte des surfaces de production de leurs semences.

Les cours du blé élevés sur la période 2005 - 2010 ont orienté les agriculteurs vers des conduites intensives pour obtenir les rendements les plus élevés. Les blés rustiques ont moins le vent en poupe, avant de retrouver des couleurs suite aux politiques de baisse des phytos (Grenelle de l’environnement, plan Écophyto).

Des essais d’inscription spécifiques sur la capacité à capter l’azote

Il n’est pas facile d’obtenir des variétés de blé capables de faire des quintaux en stress azoté et d’avoir des taux de protéines satisfaisants. « C’est antagoniste le plus souvent", remarque Thierry Demarquet, Florimond Desprez. Des variétés se comportant bien dans des situations à faibles apports azotés répondent aux besoins d’agriculteurs ayant des parcelles dans des aires d’alimentation de captage par exemple, voire aux producteurs bio. Des essais spécifiques sont mis en place depuis la récolte 2013 pour l’inscription variétale et ils passent de quatre à six sites cette année dans chacune des moitiés Nord et Sud de la France. « Les variétés inscriptibles sont soumises à des doses d’azote réduites de 80 unités par rapport à celle de la méthode du bilan de façon à en mesurer l’efficience dans la captation azotée, précise Thierry Demarquet. Il y aura un indicateur pour identifier ces variétés dans le futur. »

 

David Bouillé, ingénieur Dephy Écophyto à la chambre d’agriculture de Bretagne

« On mélange les variétés pour limiter les risques de maladies »

« Dans notre groupe Dephy (1), nous nous orientons sur le bas niveau d’intrant tout en veillant à préserver de bons niveaux de rendements. Depuis cinq ans, nous réalisons un travail de choix de variétés en conséquence. Fructidor, Cellule ou Lyrik ont répondu à nos exigences et ont connu un certain succès dans l’Ouest, grâce notamment à leur bonne tolérance à la septoriose. Mais le souci actuel sur cette génétique, c’est la rouille jaune avec chaque année des contournements de résistance observés sur des variétés qui tenaient jusqu’alors. C’est ce qui s’est passé avec Fructidor et Lyrik que l’on ne peut plus cultiver à bas intrants. Mais dans le groupe Dephy, nous avons fait le choix du mélange variétal associant jusqu’à cinq variétés sachant que l’utilisation est pour l’alimentation animale. Exemple d’un mélange : Cellule, Lyrik, Rubisko, Fluor et Attlass. Les trois quarts des agriculteurs du groupe ont adopté cette stratégie. Ces mélanges avec des blés aux profils de précocités proches présentent plusieurs intérêts. D’abord, si une variété décroche face à une maladie, les autres opposent un effet de barrière avec leurs caractères de tolérance, ce qui réduit l’intensité de l’attaque parasitaire. La stratégie du mélange permet de lisser en outre les rendements. D’autre part pour l’agriculteur, l’adoption d’un mélange sur toutes ses parcelles permet de recourir aux mêmes interventions et de gagner en confort de travail. Dans notre groupe, un seul fongicide suffit le plus souvent pour protéger les blés, voire deux parfois et les régulateurs sont abandonnés. Avec la limitation du risque de maladies et de verses, on arrive à faire de bonnes économies sur l’utilisation de ces intrants. »

(1) 12 agriculteurs du bassin versant du Meu, à l’ouest de Rennes.
 

Sébastien Lallier, agriculteur à La Chapelle du Noyer, Eure-et-Loir (1)

« Un bon renouvellement variétal en blés rustiques »

« J’adopte un système de production intégrée en mettant en place des mesures pour rencontrer le moins de problèmes possibles avec les adventices, maladies et ravageurs. Cela passe par la diversification de ma rotation et, pour les blés, par des semis pas trop précoces (pas avant le 15 octobre), des densités maîtrisées visant 190 plantes au mètre carré en sortie d’hiver (contre 230 à 250 en conventionnel), des apports d’azote décalés et parfois réduits, l’absence de régulateur et l’application d’un seul fongicide à dernière feuille étalée. L’objectif de rendement est de 80 quintaux par hectare. Mes charges opérationnelles sont de 200 euros inférieures à la moyenne relevée dans mon secteur par la chambre d’agriculture. Le choix de variétés de blé adaptées se base sur les résultats des essais du réseau blés rustiques (2). Un de ces essais se situe sur mon exploitation avec une vingtaine de variétés testées chaque année. J’utilise la variété Rubisko en pure car elle se comporte bien face aux maladies et qu’elle réagit bien à la baisse de peuplement et au décalage des apports azotés. Mais pour une partie de mes parcelles, j’opte aussi pour des mélanges variétaux : Rubisko + Granamax + Sillon et Cellule + Absalon + Eurograin. C’est une stratégie qui donne plus de sûreté dans la conduite à bas niveau d’intrants. Je remarque au fil des ans l’arrivée de nouvelles variétés intéressantes pour les exigences de cette conduite. Parmi les variétés récentes, il y a Sillon, Absalon, Descartes… Les itinéraires à bas niveau d’intrants tiennent bien la route économiquement parlant et c’est en plus meilleur pour notre santé et notre environnement avec moins d’utilisations de pesticides et d’engrais. »

(1) 120 hectares : blé tendre, blé dur, orge d’hiver, seigle, colza, pois, tournesol ; Limons argileux, sans irrigation.
(2) Inra, chambres d’agriculture, Civam, Arvalis.

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