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De l´or noir à l´or vert
Bioproduits, le lent retour du végétal

Les produits d´origine végétale substituables aux produits pétroliers pèsent encore peu en volume. Mais des filières sont nées. Grâce à la biomasse, la France pourrait réduire de 30 % sa consommation de pétrole.


La civilisation du « tout pétrole » les a chassés du quotidien. Ils le réinvestissent, certes lentement, mais sûrement, porteurs d´un salutaire parfum d´innovation. Énergie, chimie organique, matériaux. peu à peu, les végétaux reviennent en grâce dans des usages ancestraux pour certains, vraiment nouveaux pour d´autres. Les biocarburants, maintes fois abordés dans nos colonnes, ont occupé une large part du colloque national « De l´or noir à l´or vert ? L´avenir industriel des bioproduits », organisé cet automne par l´Ademe et Agrice. Il y était aussi question des multiples autres débouchés.
Dans la chimie des lubrifiants, des tensioactifs, des solvants, tout d´abord. Qu´il s´agisse de revêtements, de peintures, de produits d´hygiène et d´entretien. les applications sont multiples.
Plastiques biodégradables fabriqués à partir de polymères issus de l´amidon. ©E. Baratte

Des produits chimiques vont devoir disparaître
« Nous travaillons avec les esters méthyliques ou avec les huiles végétales pures. Nous butons encore sur des problèmes d´allongement du temps de séchage et de moindre dureté du film protecteur », indiquait, par exemple, Edmond Wozniak, responsable recherche et développement de la société danoise Dyrup. Celle-ci s´est fixée pour objectif d´élaborer un produit de substitution du white-spirit pour solubiliser le xylophène, matière active de base dans le traitement du bois.
Dans la détergence où « la pétrochimie n´a fait que copier les produits naturels, a commencé par rappeler Pierre Renaud, vice-président du groupe Cognis, les tensioactifs sont le second secteur de substitution en termes de potentiel. Mais c´est le prix qui constitue le facteur décisif. A eux seuls, ils représentent déjà un million de tonnes d´huile végétale par an, principalement des huiles tropicales car elles sont moins chères que les huiles européennes. Le potentiel est énorme pour remplacer les 3,4 millions de tonnes d´alkylbenzène encore utilisés chaque année pour la production de détergents ».
Au-delà des questions de prix, la demande des clients exerce une forte influence. Ceux de Johnson Diversey, grand nom des produits d´entretien, « demandent des produits verts » a expliqué Philippe Mothes, responsable technique et de la réglementation produit. « Pour l´hôtellerie, la distribution, l´industrie alimentaire, nous avons réorienté nos recherches dans le but de remplacer les tensioactifs pétroliers. Nous anticipons l´évolution réglementaire qui va imposer progressivement une dégradation ultime des tensioactifs », a-t-il témoigné.
De fait, cette dernière est à l´oeuvre. « La directive européenne en discussion sous le nom de Reach va bouleverser l´ensemble de la chimie, comme ce fut le cas pour les produits phytosanitaires qui viennent de connaître une révision réglementaire complète. De nombreux produits chimiques vont devoir disparaître.
C´est une contrainte mais cela crée des opportunités », a souligné Alain Dini, directeur homologation Europe chez Bayer Crop Science. « D´énormes efforts de recherche sont à poursuivre pour trouver aux solvants, tensioactifs et huiles, des substituts issus du renouvelable. Il faut redéfinir une véritable stratégie industrielle avec des recherches publiques et privées qui soient à la hauteur si l´on veut saisir cette opportunité de développement », a-t-il alerté.

Un potentiel de 30 millions de tonnes équivalent pétrole
Le secteur des matériaux est dominé par « l´acier, le béton, le verre ou le plastique dont les multiples qualités sont à l´origine de leur succès, a expliqué Bernard Boyeux, directeur marketing de Lhoist Construction. Mais ils sont pour la plupart gros consommateurs d´énergie et entraînent des prélèvements énormes de matière fossile. Les matériaux d´origine agricole, issus de plantes à fibres et de polymères obtenus à partir d´amidon, ont pour avantage d´être renouvelables. Ils stockent du CO2, principal gaz à effet de serre, et leur fabrication consomme peu d´énergie donc produit peu de CO2 ». Bien qu´encore confidentiels, leur progression est réelle : par exemple, de 7 000 tonnes de matériaux composites et de polymères en 1996, on est passé à 16 000 tonnes en 2002 et « les perspectives à cinq ans sont de 100 000 tonnes ».
« Ces filières sont encore mal identifiées, elles manquent de visibilité », a estimé Stéphane Guilbert, professeur-chercheur de l´Inra de Montpellier. « Ces agromatériaux ont pourtant l´énorme avantage de la biodégradabilité. Ils ont des propriétés spécifiques, thermiques notamment, et facilitent la déconstruction, le recyclage. »
Il y a dix ans, le monde agricole, l´Ademe et les pouvoirs publics avaient lancé un pari en donnant naissance à Agrice(1), organisme destiné à promouvoir l´usage industriel du végétal. « Au départ d´inspiration agricole, Agrice joue aujourd´hui un rôle plus général dont témoigne la diversité des métiers représentés à ce colloque », s´est félicité Jacques Siret, son président. Les bioproduits pèsent encore peu en volume. Mais des filières sont nées. « La France peut mobiliser plus de trente millions de tonnes équivalent pétrole de biomasse grâce à son agriculture et à ses forêts. Soit, dans l´état des connaissances actuelles, plus de 30 % de sa consommation pétrolière », a souligné Michèle Pappalardo, présidente de l´Ademe, en introduisant le colloque.
« On assiste au début de la croissance d´un marché. Des acteurs lancent ce qui est encore des marchés de niche, mais qui impliquent déjà de grosses entreprises, a analysé le sociologue Dominique Desjeux, professeur à la Sorbonne. Les forces de production et de vente ainsi que les réseaux sont installés. Lorsque certains seuils de coûts relatifs seront franchis, ces innovations vont se répandre. Et comme pour la plupart des innovations, leur diffusion s´étalera sur trente à cinquante ans. »


(1) Agriculture pour la chimie et l´énergie.

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