Association entre agriculteurs : prévoir dès le départ comment se séparer
La mésentente entre associés est la principale raison d’une désunion. Statuts et conventions sont là pour cadrer les désaccords. L’objectif : que chaque partie soit informée des modalités de séparation dès la création de la société.
Se mettre d’accord sur le partage et la valeur des biens lors d’une séparation d’associés au sein d’une société agricole n’est pas toujours chose aisée. Selon l’article 1832 du Code civil, un contrat de société ne peut être rompu unilatéralement par un associé. « Il faut alors soit trouver un accord, ou faire appel à un juge ou soit activer une clause statutaire », explique Éric Mastorchio, directeur adjoint chez Gaec & sociétés. Encore faut-il que ces clauses soient prévues dans les statuts de la société. « Il est rare qu’elles soient suffisamment bien rédigées », ajoute-t-il. Pourtant, grâce à ces clauses, certains points peuvent être mis au clair dès la création de la société comme les modalités à appliquer si l’un des associés est en incapacité de travailler ou lorsqu’il part à la retraite. « Elles définissent les modalités de déclenchement et les mesures lorsqu’un événement de la vie survient, précise Éric Mastorchio. Elles donnent un cadre mais n’ont rien d’obligatoire. Au moment venu, les associés peuvent choisir de ne pas appliquer la clause s’ils en sont tous d’accord. » Les Gaec profitent d’une clause de conciliation en cas de différends. À la création de la société, les associés nomment un conciliateur et communiquent son nom à la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer). « Dans la pratique, c’est fait quasi systématiquement, mais bien souvent, le conciliateur nommé n’a pas suffisamment de neutralité ou n’a pas la bonne position », regrette Éric Mastorchio.
Des conventions pour davantage de clarté
Sans se contraindre à modifier les statuts, Hervé Carré, directeur de l’AS (accompagnement, stratégie) Ille-et-Vilaine, préconise de « prévoir les modalités de séparation dans le règlement intérieur, revu tous les ans lors de l’assemblée générale ordinaire ». Ce règlement intérieur peut être composé de différentes conventions, notamment sur le foncier, un sujet de discorde future pouvant être anticipé dès la création de la société. Dans la plupart des cas, la société est titulaire de la mise à disposition des baux. « En cas de séparation, chacun reprend son droit au bail, prévient Antoine Ramond, juriste au Cerfrance Champagne-Nord Est-Île de France. Si le bail est au nom de la société, ce qui est rare, il faudra trouver un accord. » Pour Hervé Carré, « les modalités de fonctionnement de la société doivent être actées au commencement. Lorsqu’une possibilité d’extension de surface est proposée, il faut désigner le détenteur du bail. Est-ce la société ? Est-ce la société et les associés ? De même lors de l’achat de terres. » « Les questions foncières doivent être prises en compte. En cas de sortie d’un associé, la société peut de perdre des baux et les aménagements qu’elle a réalisés, avertit Éric Mastorchio. C’est trop souvent mal défini. Il y a un réel intérêt à mettre en place une convention qui établira les règles de mise à disposition du foncier. »
La question des bâtiments doit également être anticipée dès la constitution de la société. « Il faut éviter avant tout les situations potentiellement conflictuelles, comme la construction d’un bâtiment sur un terrain appartenant à un associé, illustre Hervé Carré. Dans ce cas, on a tendance à dire que l’immeuble appartient au propriétaire du terrain. »
Faire le point sur les contrats de commercialisation
Avant toute séparation il est bon de faire le point aussi sur les contrats commerciaux. « Si le contrat est au nom de la société, il est possible que les associés perdent leurs contrats », avance Hervé Carré. Et lorsque la société disparaît, les accords ne sont pas forcément reconduits. « D’où l’importance des clauses de contrats permettant leur transmission", ajoute Éric Mastorchio.
Arrive aussi le moment d’évaluer la valeur de l’exploitation. « C’est souvent le principal sujet de discorde. La séparation entre associés relève de l’humain, fait remarquer Antoine Ramond. On n’est pas sûr des décisions rationnelles, et un associé peut s’arrêter sur un matériel sans valeur numéraire, mais qui en a à ses yeux. Il est donc important que l’évaluation soit faite par un expert indépendant qui ne prend pas parti. » Soit les associés trouvent un accord de volonté sur le prix, soit sur la méthode d’évaluation. « La méthode peut être simple et prendre en compte le résultat de l’exploitation ou l’actif et le passif du bilan, illustre Hervé Carré. La prise de valeur de l’exploitation peut aussi être évaluée selon le niveau de résultat dégagé, le niveau d’emprunt ou les créneaux commerciaux. » « Si le choix de la personne désignée pour évaluer l’exploitation est divergent, l’article 1843.4 du Code civil prévoit une conciliation, explique Éric Mastorchio. Dans ce cas, les associés peuvent demander au juge de nommer un expert. En contrepartie, les associés doivent s’engager à respecter l’estimation du prix qu’il va fournir. » Quant à la rémunération du travail, les experts s’accordent à dire qu’il faut que la clé de répartition soit inscrite dans le règlement intérieur. Et d’ajouter, « dans la situation d’une séparation, il existe une infinité de points sur lesquels on peut ne pas être d’accord. C’est autant de zones d’affrontements. Il est donc préférable de prévoir le pire dès le début. »
Être pragmatique pour choisir entre une dissolution ou une séparation
En cas de séparation, la société peut être dissoute ou conservée par l’un des associés :
Conserver la société est fiscalement plus intéressant : les conseillers ont de ce fait tendance à promouvoir cette solution. Mais « il faut prendre en compte l’aspect psychologique de cette désunion, fait remarquer Antoine Ramond, juriste au Cerfrance hampagne-Nord Est-Île de France. Les associés, selon la situation, peuvent attendre une solution plus égalitaire, en cassant la société afin que chacun reparte de son côté avec la même situation. »
La dissolution permet par ailleurs de partager. « C’est la voie utilisée lorsque l’un des associés veut reprendre contre l’avis des autres un élément que la société a créé, comme un magasin de vente directe par exemple », illustre Éric Mastorchio, directeur adjoint chez Gaec & sociétés.
Dans tous les cas, il est important d’avoir en tête les vraies raisons du départ. « Les associés doivent avoir leurs projets en tête afin d’arbitrer entre la dissolution ou la séparation », ajoute Hervé Carré directeur de l’AS Ille-et-Vilaine.