Tester les bienfaits de la biodiversité
L’atelier de pomme bio de Michel Reigne se base sur l’optimisation de la biodiversité pour assurer la gestion des principaux ravageurs.
L’atelier de pomme bio de Michel Reigne se base sur l’optimisation de la biodiversité pour assurer la gestion des principaux ravageurs.
« Depuis le départ, ma démarche est de comprendre comment fonctionne la nature et d’utiliser ses mécanismes pour améliorer la production », annonce Michel Reigne. Arboriculteur expérimentateur à Monflanquin (Lot-et-Garonne), il a trouvé cette approche dans l’agriculture biologique. « Cette vision globale d’un système de culture, et non pas compartimentée comme j’ai pu le voir pendant mes études, je l’ai appréciée pour la première fois pendant mon expérience au Rwanda, se remémore l’ancien volontaire du progrès. Leur mode de production mélangeant plusieurs cultures sur de petites parcelles était très productif. » Aujourd’hui, il la met en application sur son verger de pomme bio. « Installé hors cadre familial, j’ai dû attendre plusieurs années pour avoir la capacité financière de lancer un atelier pomme bio », relate le quadragénaire d’origine agricole. C’est finalement la destruction d’une partie de son verger de prune d’Ente lors d’une tempête en 2006 qui lui donne l’opportunité de réaliser son ambition en plantant 2,5 ha de pommier en bio.
Equilibre entre ravageurs et auxiliaires
Tirés de ses années en tant qu’expérimentateur, ses choix techniques ont été mûrement réfléchis. « J’ai combiné des techniques afin de limiter la sensibilité de mes pommiers aux maladies et ravageurs, et favoriser la faune auxiliaire. » Choix variétal, goutte-à-goutte enterré, système sandwich et augmentation de la biodiversité sont les quatre piliers de sa conduite. « J’ai réussi à trouver un équilibre entre ravageurs et auxiliaires. Je n’utilise même pas d’huile de neem sur les Goldrush. Et finalement le principal problème phytosanitaire, ce sont les frelons sur les variétés tardives », annonce-t-il. Ravageurs qu’il gère avec des pièges contenant du jus de pomme, du sirop de fruits rouges et du vinaigre pour ne pas attirer les abeilles. Il a réussi à augmenter son potentiel de tonnage entre 50 et 60 t/ha avec une très bonne qualité à la récolte. Pour autant, le producteur sait que cet équilibre est toujours précaire. « Cette année n’a pas été favorable aux auxiliaires avec un climat très pluvieux. Du coup, les attaques de pucerons sont plus visibles », fait-il observer.
Bandes florales et nichoirs
Ils attirent les auxiliaires avec les fleurs sauvages des bandes sandwichs. « Les deux premières années j’ai travaillé avec un outil intercep sur le rang. Le travail était lent et coûteux et j’avais de gros problèmes de puceron lanigère sur Goldrush. » Dès la troisième année, il commence à faire des essais de semis de légumineuses sur l’alignement des troncs avec un travail du sol sur les deux côtés : la méthode sandwich. « Les arbres en sandwich étaient plus verts que ceux désherbés totalement ! J’ai donc généralisé la méthode à tout le verger de pommier. Depuis cette année, je fais aussi des essais dans mes vergers de pruniers d’Ente en PFI. » Sur ses bandes enherbées naturellement, des fleurs sont présentes dès février, favorisant syrphes et autres auxiliaires. Le problème des pucerons lanigères s'est régulé dès leur mise en place. Il a aussi aménagé des bandes florales en bout de parcelle, installé huit nichoirs à mésanges et quatre gîtes à chauve-souris pour lutter contre le carpocapse. « Je ne pensais pas que les mésanges s’installeraient sous les filets. Or même les nichoirs en milieu de parcelles sont occupés », s’exclame le producteur passionné. Dans son assolement de grande culture, il essaye d’avoir des féveroles non loin de ses vergers car elles sont très attractives pour les prédateurs de pucerons. « Le mieux serait de les avoir directement dans le rang, fait remarquer l’ancien expérimentateur. C’est pourquoi j’envisage un semis sur la partie désherbée sur quelques rangs de Prune d’Ente. » Pour compléter sa panoplie de naturaliste, il a disposé six nichoirs à abeille sauvage. « C’est surtout dans un souci d’observation dans le cadre de l’Observatoire national de la biodiversité », précise-t-il.
Des variétés spécifiques à la bio
Son choix variétal participe aussi à la régulation des problèmes phytosanitaires. « Mais je voulais tout d’abord des variétés avec une bonne qualité gustative. Dans les essais au Cirea, j’avais vu l’évolution des variétés de pêche de plus en plus belles mais avec une qualité gustative se dégradant. Et j’ai toujours pensé que pour justifier le prix du bio, il fallait conjuguer bio et qualité gustative ». Goldrush a été son premier choix : « elle est excellente, résistante tavelure et tolérante puceron. C’est pour moi une des meilleures variétés au niveau gustatif mais hélas alternante ». Il a ajouté Dalinette qui a l’avantage d’être rouge, plus douce mais moins typée en goût que Goldrush et facile à produire en bio. Et il complète son choix avec Chantelou, un mutant de Pinova. « Elle est tolérante tavelure, pas trop alternante, elle peut être russetée et a un goût anisé. Son avantage par rapport à Goldrush est de pouvoir se consommer dès la cueillette, dès fin septembre, début octobre. » Ces trois variétés ont été plantées sur Pi80 pour son système racinaire plus important. Ces techniques développées sur pomme, Michel les transfère par touche sur prune. « Mais le passage en bio n’est pas encore envisagé, car le système d’irrigation du vieux verger n’est pas adapté au travail du sol et nécessiterait un coût important pour l’adapter. De plus, avec une seule variété, pas particulièrement adaptée au bio, il faut prévoir une baisse de la productivité du verger de prunier d’Ente de 50 %. »
A savoir
Parcours1993 : diplôme ingénieur techniques agricoles
1993-1995 : volontariat au Rwanda et Mali en développement agricole
1995-1999 : Ingénieur responsable d’expérimentation au Cirea (47)
2000 : installation sur 60 ha en location dont 12 ha de prunier d’Ente. Conversion des 40 ha de céréales en bio
2002 : reprise de 10 ha de prunier. Embauche d’un salarié permanent.
2006 : plantation 2,5 ha de pommier bio
2014-2016 : plantation de prunes américano-japonaise
2016 : début d’activité complémentaire de conseiller
Echanger pour progresser
Cette soif de comprendre et d’apprendre, le producteur l’a toujours recherchée avec les autres. Les échanges techniques et économiques avec d’autres producteurs sont un des fils conducteurs de son parcours. « J’ai toujours voulu m’inscrire dans une démarche commune de commercialisation mais aussi d’échanges techniques », précise Michel Reigne. Ses choix de structures de commercialisation se sont donc portés sur des coopératives qui valorisent sa production bio mais qui possèdent aussi un groupe de producteurs prêt à échanger. Il participe toujours au groupe technique bio, issu de sa première coopérative, aujourd’hui intégré à Bluewhale, et aux réunions d’un Ceta. Longtemps en lien avec le Cirea et le Bip, il a souvent été sollicité pour essayer de nouvelles techniques. Le prolongement est sa participation au réseau Dephy ferme prune et pomme du département. « Après avoir appris en tant qu’expérimentateur, puis créé en tant que producteur, j’ai eu besoin de transmettre, résume Michel Reigne. J’ai donc commencé depuis peu une activité de conseil auprès de producteurs qui m’ont sollicité. »
Valoriser toute sa production
Si la majorité de sa production de pomme est vendue à la coopérative « Les trois domaines », membre de Bluewhale, Michel Reigne essaye de valoriser au mieux toute sa production. « Quand mon ex-femme s’est installée avec moi, nous avions développé un peu de vente directe. Elle vendait nos pommes sur des marchés et dans un magasin sur la ferme. » Aujourd’hui, étant seul actionnaire sur l’entreprise, cette activité est réduite à deux magasins de producteur et un « drive » à la ferme. « On me passe les commandes par SMS, je les prépare et les mets à disposition dans un local », détaille le producteur. Pour garder le lien avec ses clients, Michel Reigne leur propose une visite par an de ses vergers, pour leur expliquer son métier et ses choix. Pour valoriser ses fruits abîmés, il les presse chez un voisin pour en faire du jus vendu à ses clients en vente directe. « Je rêvais aussi de faire du cidre, avoue-t-il en souriant. Mon grand-père déjà allait de ferme en ferme presser des pommes pour faire du cidre. » Il transforme donc deux tonnes de pommes chez un prestataire agréé en bio et produit ainsi 1 500 bouteilles de cidre par an.