Protéger les IGP et AOP, mission impossible ?
AOP et IGP, deux appellations qui permettent de protéger à la fois les consommateurs en leur garantissant un produit de qualité selon un cahier des charges précis dans une zone géographique précise, et les producteurs en leur assurant une meilleure valorisation de leurs produits sur des marchés de niche.
AOP et IGP, deux appellations qui permettent de protéger à la fois les consommateurs en leur garantissant un produit de qualité selon un cahier des charges précis dans une zone géographique précise, et les producteurs en leur assurant une meilleure valorisation de leurs produits sur des marchés de niche.
“IGP/AOP, véritables outils de protection des producteurs et des consommateurs” était justement le thème des 21es Assises de l’Origine, le 5 juin à Bordeaux (cf. FLD Hebdo du 13 juin et lire ici). Si on y a bien parlé consommateurs et producteurs, la plupart des interventions ont tourné sur les différentes usurpations des AOP et IGP. Car le meilleur moyen de les protéger, c’est de prendre conscience des risques de copie.
De nombreux détournements possibles interdits par la loi
Le piment d’Espelette AOP a expérimenté de nombreux types de détournements, en raison de sa double spécificité. « Nous sommes une toute petite filière, avec à peine 200 producteurs, sur une aire géographique très limitée mais avec une notoriété exceptionnelle en France et à l’étranger. Cette différence de taille aiguise des appétits. Et nous sommes aussi un ingrédient », explique Martine Damois, productrice et ancienne présidente du Syndicat du piment d’Espelette AOP. Du détournement de logo pour jouer sur l’image (Michel et Augustin qui avait repris l’ancien logo) au détournement de la variété et de l’aire géographique (conflit avec le piment basque) en passant par le détournement du conditionnement, le piment d’Espelette en a vu de toutes les couleurs. « Face à cela, nous faisons beaucoup de veille, y compris nos producteurs qui ont été sensibilisés », précise Pauline Champon-Urrizaga, en charge de la protection au syndicat.
Plusieurs modes d’actions pour l’Inao
« Déclinaisons, usurpations, évocations, détournements de notoriété…, il y a une très grande diversité des actes frauduleux observés. Et ces actes sont en hausse, estime Fanny Hennequin, responsable du Service juridique et international de l’Inao. Mais cela est sûrement à mettre en parallèle avec la hausse des moyens de détection – le digital, les consommateurs qui nous remontent directement les informations, etc. – et la hausse des budgets qui permet plus d’actions, notamment sur le contentieux. »
Alors que fait l’Inao ? En France et à l’international, beaucoup de veille, avec un dispositif spécifique pour la surveillance des enregistrements de marques. L’institut peut aussi lancer des procédures à l’amiable face à une utilisation illicite (non-respect du cahier des charges, étiquetage illégal…) ou bien aller au contentieux par des actions civiles (avec l’ODG (1) concernée), des actions pénales (à l’initiative de la DGDDI (2) ou de la DGCCRF avec l’Inao en partie civile) ou des actions devant les juridictions étrangères (Inao avec ou sans l’ODG). « Nous recherchons la résolution non contentieuse car les gens sont souvent de bonne foi, ils ne savent pas, donc un courrier suffit souvent à régler la situation, précise Fanny Hennequin. Si nous allons au contentieux, il faut être sûrs de créer une jurisprudence, car ce genre d’actions coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros. »
Se protéger en accroissant la notoriété
Autre moyen de protection : la communication. Après avoir réglé un dépôt du nom “Piment d’Espelette” à l’Inpi (3) pour une marque de bijoux, l’Inao a fait une grande campagne de communication et de pédagogie dans la presse en guise de dissuasion.
La sensibilisation des opérateurs est aussi une solution. Ainsi, face à des industriels qui utilisent un pourcentage insignifiant de piment d’Espelette dans leurs produits tout en communiquant de manière exagérée sur sa présence, le syndicat doit se référer aux seules lignes directrices de l’UE de 2010 précisant que « l’ingrédient doit être utilisé en quantité suffisante afin de conférer une caractéristique essentielle à la denrée alimentaire ». Le syndicat a donc lancé une “expérimentation ingrédients” avec le lycée hôtelier de Biarritz et le lycée agricole de Montardon afin de fixer des seuils de perception et de dosage du piment d’Espelette dans cinq produits phares (poulet basquaise, pâté de porc, piperade, axoa, chocolat…). Les résultats ont été diffusés dans une note de préconisation aux opérateurs et sur le site internet.
Nouveaux dangers : mondialisation et digitalisation
Lors des interventions, Lionel Lalagüe, directeur affaires publiques et internationales du Bureau national interprofessionnel du cognac, a insisté sur l’importance de la protection à l’étranger. Pour le cognac, cela passe par des représentations nationales permanentes (en Chine notamment), une stratégie d’influence et de réseau avec les autorités compétentes à l’international (échanges, voyages, accords de coopération…) et par du lobby au niveau de l’UE lors des négociations d’accords commerciaux bilatéraux, afin d’intégrer la reconnaissance de l’IG.
Erik Thévenod-Mottet, chargé des relations commerciales internationales à l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (Ipi Suisse), a fait le point sur l’appropriation de noms de domaine ou adresses internet. Afin d’éviter le cybersquatting (déposer une adresse internet pour obliger l’organisme officiel à la racheter) et parce que les indications géographiques ne peuvent accéder aux mécanismes réservés aux marques de “cleaning house” (qui évitent le cybersquatting) ou aux mécanismes correctifs d’arbitrage de l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), Erik Thévenod-Mottet rappelle que « des IG ont réussi dans certains pays à se faire enregistrer comme une marque ».
Mais internet peut présenter aussi des avantages. L’information est diffusée plus largement, plus vite. Siegmar Reiss, Enforcement Expert au sein de l’EUIPO (Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle), a présenté l’Enforcement DataBase, l’EDB, une base de données gratuite visant à aider les services de police et douaniers à mieux identifier les contrefaçons. « Enregistrez-vous dans EDB pour protéger vos marques ! », a-t-il appelé.
(1) ODG : Organisme de défense et de gestion.
(2) DGDDI : Direction générale des Douanes et Droits indirects.
(3) Inpi : Institut national de la propriété industrielle.
En cas d’utilisation frauduleuse, « nous recherchons la résolution non contentieuse car les gens ne savent pas. Un courrier suffit souvent ». Fanny Hennequin, responsable du Service juridique et international de l’Inao
Quand les IG ne disposent pas de leur nom : deux exemples
Tomate de Marmande : aire géographique contre variété
Lors des Assises de l’Origine, Patrick François, président de l’OP Sud Légumes en Lot-et-Garonne (Groupe Coopératif Terres du Sud), présent dans la salle, est intervenu : « Les 150 producteurs sur 700 ha de tomates de Marmande voudraient créer une indication géographique pour se protéger car on est mis à mal par l’import, notamment pour la tomate d’industrie. Nous avons un territoire, un climat, une qualité. Depuis deux ans nous travaillons sur le dossier : nous avons créé un collectif pour lancer une marque “tomate de Marmande”, fait un cahier des charges et défini l’aire géographique. Mais nous buttons sur le nom : nous ne pouvons pas déposer la marque puisque c’est le nom d’une variété historique alors que nous voulons protéger l’aire géographique. Nous avons besoin d’aide ! »
Piment d’Espelette : de la voiture au préservatif
Lors de son intervention, Martine Damois, productrice et ancienne présidente du Syndicat du piment d’Espelette AOP, a regretté que le produit « ne puisse pas disposer de son nom ». Et d’évoquer l’exemple d’un constructeur de voiture qui souhaitait utiliser le nom “piment d’Espelette” pour une de ses voitures. « Nous étions ravis, cela aurait était très bénéfique en termes de communication. Mais nous avons appris en parallèle qu’une marque de préservatifs s’apprêtait aussi à utiliser notre nom et nous n’étions pas d’accord. Mais nous ne pouvons pas dire oui à l’un et non à l’autre et nous avons dû refuser les deux projets. »
Lire aussi IGP et AOP doivent évoluer pour répondre aux nouvelles attentes sociétales