Mangues, avocats : les arboriculteurs siciliens jouent la carte de l’exotisme
Depuis une décennie, la culture de fruits tropicaux connaît une montée irrésistible dans le sud de l’Italie, Sicile en tête. Selon une étude de Coldiretti, principal syndicat agricole italien, la production a été multipliée par 60 en cinq ans.
Depuis une décennie, la culture de fruits tropicaux connaît une montée irrésistible dans le sud de l’Italie, Sicile en tête. Selon une étude de Coldiretti, principal syndicat agricole italien, la production a été multipliée par 60 en cinq ans.
Acquedolci. Sur la côte est de la Sicile, à quelques kilomètres de la mer Tyrrhénienne, non loin de Messine, Alfonso Collura marche parmi ses champs. Astrophysicien de formation, l’intérêt pour l’agriculture lui vient de son héritage familial : une tradition centenaire. Mais le type de culture qu’il pratique aujourd’hui n’a rien de traditionnel. Car ici désormais, mangues et avocats sont venus remplacer citrons et mandarines. C’est le cas d’une partie importante de l’île. Sur les côtes, de Palerme à Messine, et de Messine à Catane, les plantations de fruits exotiques remplacent peu à peu les agrumes. « En Sicile, des plantes exotiques existaient déjà au XXe siècle, explique Luigi Tripodo, agronome pour l’entreprise Collura. Mais leur fonction était plutôt esthétique et non pas commerciale. » Les premières recherches universitaires sur la culture de fruits tropicaux en Sicile remontent aux années 60. Mais c’est il y a une quinzaine d’années que les implantations ont commencé à se multiplier. Le plus souvent en remplacement de vergers d’agrumes à renouveler. Au moment du choix, la possibilité de créer un type de culture alternative, et plus lucrative, s’est vite imposée à ces arboriculteurs.
Une production qui explose
C’est ce qui a motivé par exemple Vincenzo Amata, qui, après avoir reçu en héritage un terrain de 8 hectares à Sant’Agata di Militello, toujours dans la région côtière autour de Messine, a eu l’idée d’y tester la culture de fruits tropicaux. Anciennement commercial dans le secteur de la mode, il se dédie aujourd’hui entièrement au secteur agricole avec une installation de 2 300 plants de mangues. Il cultive plusieurs variétés – Kensington-Pride, Kent, Keitt, Sensation, Glenn, Maya e Irwin – ce qui lui a permis de tester les variétés selon ses conditions agronomiques et de prolonger la période de récolte, allant de juillet à octobre. Cependant, ces dernières années les implantations ont nettement accéléré. Selon une étude de Coldiretti, principal syndicat agricole italien, il s’agit certainement d’une dynamique accélérée par le changement climatique. La production a été multipliée par 60 en cinq ans et représente aujourd’hui 15 000 tonnes de mangues et 24 000 tonnes d’avocats. Le secteur reste toutefois encore une niche, qui continue d’expérimenter.
De l’eau douce et un terrain sablonneux
Même dans la douceur de l’île sicilienne, il faut bien sélectionner l’endroit où implanter sa culture de fruits tropicaux. Pietro Cuccio le savait très bien. Architecte sicilien habitant aux Etats-Unis, il a choisi de se lancer dans cette culture, il y a quinze ans. Originaire de Palerme, il a acheté un terrain à Acquedolci, non loin de l’entreprise agricole Collura. Il y produit plusieurs variétés de mangues, litchis, avocats et chicozapotes (ou sapotes). Touchant presque la mer Tyrrhénienne, les conditions climatiques et pédologiques de la zone sont optimales : les températures restent raisonnables, sans jamais descendre en-dessous de 0°C.
Les vents venant du Nord, même froids, sont adoucis par le passage sur la mer et les vents trop chauds, du Sud-Ouest, comme le Sirocco et le Libeccio, traversant les montagnes de l’arrière-pays, ont le temps de refroidir de 4 à 5°C. Pour ce qui concerne les qualités du terrain, il est préférable que ce soit sablo-limoneux et bien drainé. « Mais les plantes nécessitent de l’eau douce, ou à faible salinité », souligne Vittorio Farina, professeur d’arboriculture à l’Université de Palerme. Pour cela, tous les producteurs agricoles ont des sources d’eau douce arrivant souvent des montagnes de l’arrière pays pour l’irrigation des vergers par micro-irrigation. Cela permet des économies d’eau importante. En témoigne Antonio Collura, qui affirme utiliser au moins 20 % d’eau en moins qu’avec la précédente culture d’agrumes.
Le choix d’un marché haut de gamme
Au sein de l’entreprise Collura, les premières implantations se sont faites à proximité d’un immense avocatier d’une cinquantaine d’années, comme l’explique Luigi Tripodo. Un moyen de garder un lien avec l’histoire des lieux, et de respecter le plus possible le rythme naturel des plantes. Quelque chose de fondamental pour l’entreprise, qui a récemment obtenu le label AB pour cibler un marché haut de gamme. « On a besoin de produire des fruits de qualité, faute de ne pouvoir se démarquer sur un marché qui est déjà très bouché », explique le professeur Antonio Farina. Outre le bio, les producteurs optent donc pour une cueillette manuelle et surtout à maturation. Un vrai plus, par rapport à la concurrence tropicale qui doit composer avec la distance par rapport au marché européen. « On cueille les fruits le matin et ils se retrouvent au marché le soir même, pour être mangés dans les jours qui suivent », explique Antonio Amata. Le transport, fait en camion, peut atteindre la Suisse ou l’Allemagne... mais pas vraiment au-delà. Pour le moment.
Le changement climatique comme « allié » ?
Si la tendance au réchauffement semble plutôt favorable au développement des cultures tropicales en Sicile, il n’en est pas pour autant un garant. Antonio Farina, professeur à l’Université de Palerme et coordinateur national du projet de travail « Fruits tropicaux et subtropicaux », pointe notamment le risque d’évènements violents et erratiques. « Les changements climatiques peuvent être trompeurs, explique-t-il. Il suffit d’une gelée ou d’une “trombe d’eau” pour mettre en risque toute une culture. Les plantes tropicales sont bien plus délicates que des agrumes ». Pour ces plantes venant de zones tropicales, même une baisse de températures de 48 heures peut être mortelle.
Par conséquent, les nouvelles structures agricoles en train de se développer en Sicile prennent en compte ces nouveaux enjeux afin de protéger au mieux les plantes ainsi que leurs fruits. Une des solutions testées est la culture en serre froide. Cela permet de protéger davantage les plantes dans la période hivernale, en anticipant aussi la maturation. En revanche, il n’est pas possible de laisser ces cultures en serre froide pendant l’été parce que « cela pourrait affecter l’activité végétale et, en conséquence, déterminer un ralentissement de l’activité photosynthétique », notamment dans les périodes de fortes chaleurs. Pour cela, pendant les périodes les plus chaudes, il faut assurer un changement d’air et une ouverture des côtés de la serre.
Chiara De Martino
Deux projets financés par la région Sicile
Depuis deux ans environ, l’île sicilienne finance deux nouveaux projets de recherche sur la culture de fruits tropicaux, menés par l’Université de Palerme. Grâce au projet INNOMAM il a été possible de placer des stations météo dans chaque entreprise agricole partenaire du projet, afin de vérifier les conditions climatiques et d’étudier les évolutions phénologiques des plantes, en lien avec le changement des températures. Le deuxième projet, Team Fruit, s’intéresse davantage à la phase post-récolte et notamment à maximiser la qualité des fruits. Un des objectifs clés du projet serait de créer un label commun afin de certifier et standardiser la production de fruits tropicaux en Sicile.
En chiffres
- 51 % des exploitations orientées sur des cultures permanentes
- 60 % de la SAU consacrés aux agrumes
- 500 ha dédiés à la production de fruits tropicaux
- 26 % de la SAU est en bio soit plus de 360 000 ha