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L’après néonicotinoïdes

Les producteurs de fruits et légumes ne peuvent plus compter sur les néonicotinoïdes pour protéger leurs cultures des ravageurs depuis le 1er septembre dernier. Un défi parfois compliqué à relever avec des solutions alternatives souvent encore à l’étude. Certaines filières sont très impactées, voire menacées.

« Les producteurs de légumes sont inquiets, l’interdiction des néonicotinoïdes laisse des dizaines d’usages vides sur des espèces comme les salades ou les cucurbitacées par exemple », observe Gérard Roche, président de la commission protection des cultures de Légumes de France. « Alors que notre filière compte plus de 40 espèces, nos producteurs ont à leur disposition pour protéger leurs légumes de moins en moins de molécules. La suppression des néonicotinoïdes sans distinction est un nouveau coup dur pour nos filières. Les insecticides à base d’acétamipride étaient incontournables pour le contrôle des aleurodes et pucerons ; le thiaméthoxame était également très utilisé pour gérer les pucerons sur salades », ajoute-t-il.

Moins de solutions et un risque d’apparition de résistances

En arboriculture, le thiaclopride et l’acétamipride, (et dans une moindre mesure, le thiaméthoxame) couvraient également de nombreux usages. « Les producteurs vont être confrontés ainsi à des usages n’ayant plus qu’une seule substance active peu ou pas efficace contre des problématiques majeurs comme le balanin de la noisette et la mouche des fruits ou du figuier ou des usages vides sur des ravageurs comme les capnodes (fruits à noyau). Et pour lutter contre les cochenilles et pucerons sur de nombreuses espèces, ils pourront compter seulement sur un nombre très limité de familles chimiques et avec le risque d’une généralisation de l’usage des pyréthrinoïdes, ce qui augmentera le développement potentiel de souches résistantes et donc d’inefficacité des solutions chimiques à moyen terme », observe Franziska Zavagli du CTIFL. Pour Luc Barbier, producteur de prunes dans l’est de la France et président de la FNPF, « la situation est critique pour certaines productions ». Ainsi, pour contrôler les cochenilles sur prunier, les producteurs avaient à leur disposition quatre matières actives (dont deux néonicotinoïdes). Il n'en reste que deux dont une avec des restrictions d’emploi (une seule application avant fleur pour le pryriproxifen). Or, en deux ans, les attaques de cochenilles peuvent tuer un arbre.

Des producteurs démunis et des filières en danger

Dans ce nouveau contexte, certaines filières sont en danger, comme la noisette, la figue ou encore le navet. Des dérogations d’usage sont attendues pour ces usages pour l’acétamipride (lire par ailleurs). Le ministère de l’Agriculture interrogé sur ce sujet n’a pas souhaité répondre. Pour d’autres cas, la situation est plus complexe à l’image de la filière aubergine où le retrait de l’acétamipride remet en cause la production biologique intégrée car cette matière active, qui était autorisée sur les usages pucerons et aleurodes, était aussi efficace sur les punaises. « Cet usage secondaire permettait aux producteurs de protéger leur production avec des produits compatibles avec la production biologique intégrée (PBI). Suite au retrait de l’acétamipride, ils disposeront du flonicamid limité à trois applications, du pyrimicarbe inefficace sur certaines punaises et de la pymétrozine avec un profil toxicologique moyen. L’usage punaises est certes couvert par de pyréthrinoïdes mais ces produits ne sont pas compatibles avec la PBI. Nous travaillons par ailleurs avec le CTIFL de Balandran dans le cadre du projet Impulse à la recherche de solutions alternatives contre les punaises en aubergine, tomate et chou », explique Cécile Delamarre, de la Chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne. Les producteurs de salades (4e gamme notamment) se sentent également démunis face aux attaques de pucerons. « Cette problématique était depuis dix ans gérée avec une graine inerte, traitée avec du thiaméthoxame et posée à proximité de la salade (Dummy Pills) », explique Bernard Guillard, producteur de salades. « Ce dispositif assurait une protection contre les pucerons pendant trois semaines à un mois avec seulement quelques grammes de matière active et sans laisser de résidu. Nous sommes inquiets car, l’objectif visé pour les consommateurs est zéro puceron, un objectif difficile à atteindre avec les méthodes alternatives qui sont à l’étude ».

Les solutions alternatives à l’épreuve et à l’étude

Pour relever le défi de la protection des fruits et légumes sans néonicotinoïde, les producteurs espèrent beaucoup des solutions alternatives, déjà opérationnelles depuis plusieurs années pour certaines comme la lutte contre le carpocapse par confusion sexuelle et produits à base de micro-organismes. Un appel à projets a été lancé en 2017 par les ministères de l’Agriculture et de l’Ecologie et les filières fruits et légumes sont très mobilisées (voir article ci-après). Mais regrette, Gérard Roche, « l’interdiction au 1er septembre de toutes les matières actives néonicotinoïdes n’a pas laissé suffisamment de temps aux producteurs pour expérimenter et valider ces nouvelles pistes ». Des pistes qui offrent souvent par ailleurs une efficacité partielle et qui peuvent nécessiter un complément insecticide, « comme les filets à carpocapse », remarque Franziska Zavagli. « Les solutions alternatives sont plus complexes à mettre en œuvre », note Bernard Guillard, « pour contrôler les pucerons sur les salades, on a testé les filets anti-insectes mais cela crée une atmosphère confinée et provoque des maladies. Et l’installation d’auxiliaires sur cette production est compliquée car la culture ne dure que six semaines ». Ces solutions alternatives sont parfois également plus compliquées à mettre en œuvre. « Pour lutter contre l’Hoplocampes du prunier, ravageur qui peut provoquer jusqu’à 90 % de perte et dont la lutte repose désormais sur une seule matière active, nous avons obtenu des résultats encourageants avec des écorces de Quassia amara », explique Quentin Hoffman de l’Association régionale d’expérimentation fruitière de l’Est, « mais la mise en œuvre au niveau des producteurs est difficile car il faut faire des décoctions ».

Au final, le retrait des néonicotinoïdes impose aux producteurs de nouvelles contraintes de production. S’ils sont prêts à s’orienter vers d'autres solutions, ils souhaiteraient avoir un peu plus de temps pour s’y préparer. Il faudra également que le consommateur accepte des fruits et légumes un peu moins parfaits ! Un autre défi à relever et des messages à faire passer.

Ils pourront compter seulement sur un nombre très limité de familles chimiques avec le risque d’inefficacité des solutions à moyen terme » Franziska Zavagli CTIFL.

Des cultures menacées

Trois usages sont en attente de dérogations pour l’acétamipride sur des cultures qui sont dans l’impasse face aux ravageurs

Le balanin de la noisette

Le balanin est un ravageur qui occasionne 80 % de dégâts sur noisettes. L’acétamipride et le thiaclopride permettaient de le contrôler. « Aucune solution alternative n’est disponible à court terme. La lambda-cyalothrine est autorisée mais son efficacité est très insuffisante. Nous travaillons sur de nouvelles pistes de contrôle mais le balanin est une espèce qui vit cinq à six ans, ce qui allonge les délais d’expérimentation », explique Jean-Luc Reigne, directeur d’Unicoque, opérateur majeur sur cette filière.

La mouche de la figue

La mouche de la figue est le principal ravageur de cette culture et peut occasionner jusqu’à 40 % de perte. « Environ quatre interventions insecticides sont nécessaires pour protéger les arbres. Avec le retrait des néonicotinoïdes, il ne reste plus qu’une molécule autorisée, la deltaméthrine sur laquelle pourrait reposer toute la protection. Nous travaillons aussi sur des pistes alternatives déjà utilisées en bio comme le piégeage massif mais les efficacités sont partielles avec des pertes qui peuvent malgré tout atteindre 20 à 25 % », observe Cyril Kointz, animateur du syndicat de la Figue de Sollies.

La mouche du navet

Les attaques de la mouche sur navet peuvent conduire à une perte totale de la récolte. La protection vis-à-vis de ce ravageur peut nécessiter trois à quatre interventions insecticides sur un cycle de production. « L’acétamipride était autorisée sur altise et pucerons du navet mais avait également un certain effet sur les mouches », remarque Bruno Pitrel du Sileban en Normandie. « La protection insecticide reste difficile sur cette culture. Des filets anti-insectes peuvent être mis en place mais ne sont sans poser d’inconvénients. Ils peuvent occasionner entre autres une recrudescence des maladies ou des défauts qualitatifs à la récolte ».

De nombreuses solutions alternatives à l’étude

Sur treize projets de recherche retenus « pour une protection durable des cultures sans néonicotinoïde », neuf concernent la filière fruits et légumes.

La filière fruits et légumes cherche des alternatives à l'après néonicotinoïdes, preuve à la fois de l’ampleur des problématiques à résoudre et de la volonté de trouver des solutions durables. Focus sur trois des neuf projets.

Lutter contre le puceron cendré du pommier par défoliation

« Le puceron cendré du pommier nécessite quatre à cinq traitements au cours de la saison. Le retrait des néonicotinoïdes restreint le nombre de matières actives disponibles face à ce parasite et fait craindre une perte d’efficacité des stratégies aphicides », explique Marion Curti, de la société Raison’Alpes. Le projet « DefoLAltPC » porté par cette société d’expérimentation vise à étudier l’impact de la défoliation des arbres à l’automne pour limiter les pontes et réduire la pression l’année suivante. La défoliation est réalisée en appliquant du chelate de cuivre sur les arbres à l’automne. Les résultats d’essais observés à la station de la Pugère par ailleurs sont prometteurs avec une baisse significative des attaques de pucerons dans le cadre d’une défoliation à 100 % . « Cette stratégie pourrait permettre de diminuer le nombre de traitements (1 à 2 IFT) et surtout de supprimer les traitements les moins sélectifs vis-à-vis de la faune auxiliaire », remarque Marion Curti.

Introduire des plantes de service face aux pucerons sur salades et aubergines sous abri

En cultures de salades, « la problématique pucerons est majeure car les niveaux d’exigence sont très élevés », souligne Sébastien Picault du CTIFL. « Ces ravageurs sont également vecteurs de virus en cultures d’aubergine », ajoute-t-il. Le projet Reguleg, développé par le CTIFL vise à introduire des plantes de service dans ces cultures, qui vont abriter des ennemis naturels de ces pucerons. « Ainsi, explique le chercheur, l’implantation de bandes fleuries par exemple, va attirer des pucerons spécifiques de ces plantes, pucerons qui favoriseront le développement des ennemis naturels. L’enjeu est que ces auxiliaires soient présents dans la culture au moment où les pucerons des salades et aubergines attaquent. Une stratégie prometteuse mais très technique car l’arrivée des auxiliaires doit être suffisamment précoce pour maîtriser les pucerons », précise-t-il.

Profiter des auxiliaires de l’artichaut pour protéger les salades des pucerons

Un autre projet est en cours pour lutter contre les pucerons des salades en Bretagne. Le principe serait de profiter de la proximité dans cette région des cultures d’artichauts (6 000 hectares) de celles des salades (600 hectares) pour bénéficier du transfert des très nombreux auxiliaires présents en cultures d’artichauts vers les cultures de salades. « Pour les cultures de salades au printemps, dans la mesure où les auxiliaires de l’artichaut ne sont pas encore présents, un relais pourrait être fait avec une protection physique », explique Michel Le Roux, du Caté, un des organismes porteurs de ce projet intitulé Agronicoleg. Durant la saison 2018, des salades ont été implantées à côté de champs d’artichauts, l’étude des transferts d’auxiliaires entre les deux cultures est en cours.

Aspects réglementaires

Depuis le 1er septembre, cinq matières actives de la famille des néonicotinoïdes sont interdites en France : l’acétamipride, la clothianidine, l’imidaclopride, le thiaclopride et le thiaméthoxame
Les trois néonicotinoïdes restreints aux usages sous serre au niveau européen (clothianidine, imidaclopride et thiaméthoxame) ne pourront bénéficier de dérogations. Pour l’acétamipride et le thiaclopride, la loi biodiversité autorise des dérogations jusqu’en 2020 mais seule l’acétamipride a vu son approbation renouvelée au niveau européen pour 15 ans à dater du 1er mars 2018.

 

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