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L’agriculture gagne la ville

Agriculture à vocation marchande ou non marchande, professionnelle ou citoyenne, low-tech ou high-tech, en extérieur ou à l’intérieur, dans des espaces délaissés ou des bâtiments neufs : l’agriculture urbaine présente de très nombreuses facettes.

Alors que Montréal, Singapour, Berlin s’intéressent depuis longtemps déjà à l’agriculture urbaine, la France et sa capitale en tête soutiennent de nouveaux projets chaque année. La mairie de Paris a dévoilé en juillet dernier, les lauréats de la troisième édition des Parisculteurs, l’appel à projets destiné aux agriculteurs urbains. Les lauréats devraient produire jusqu’à 92 tonnes de fruits et légumes, 271 tonnes de champignons et 4,2 tonnes d’aromates sur 5 ha. L’opération « Parisculteurs » doit consacrer 30 ha à l’agriculture urbaine d’ici 2020. Cette année, la mairie a mis en place des partenariats avec les Conseils départementaux de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, portant sur des espaces situés à Montreuil, la Courneuve, Aubervilliers, Fresnes, Ivry-sur-Seine et Vitry-sur-Seine.

Entre agriculture low-tech et high-tech

En France et dans le monde, on assiste à l’émergence de projets d’agriculture urbaine à fort degré de technicité et d’innovation comme les projets en milieu fermé. Cette forme d’agriculture, hors-sol, éclairée souvent à la verticale et indoor connaît un gros essor dans les métropoles asiatiques (Singapour, Hongkong, Japon…). Dans certains cas, elle se développe avec l’aquaponie (en association avec des poissons). Les projets low-tech tendent à exploiter des espaces urbains disponibles (friches, jardins…). Souvent périurbains, ils développent en s’inscrivant ainsi dans une économie circulaire (recyclage des déchets). Aux Etats-Unis, cette agriculture urbaine permet de faire face « aux déserts alimentaires » de produits frais auxquels sont confrontées les populations les plus démunies. Avec la crise économique, Détroit a vu sortir de terre 1 500 fermes et jardins urbains. Les fermes sur les toits et les productions contre les murs sont des formes « ultra-citadines » de l’agriculture urbaine. La production de légumes et de fruits constitue un aménagement paysager d’espaces aussi dédiés au lien social, parfois avec d’autres fonctions rémunératrices (formation, accueil…).

A lire aussi : La serre urbaine, plus qu’une serre de production

Guillaume Morel, de l’Astred’hor, travaille sur le programme Techn’au, du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (Casdar Recherche et transfert) qui s’intéresse aux solutions innovantes pour lever certains verrous technologiques et garantir la qualité des produits de l’agriculture urbaine. « Ce programme a pour objectif de répondre à des problématiques identifiées par les agriculteurs urbains professionnels, à savoir de trouver les végétaux et les méthodes de production permettant d’offrir de bons rendements dans des situations urbaines à faible ensoleillement. Il s’agit aussi d’intégrer la réutilisation de déchets urbains pour les substrats et la fertilisation dans les systèmes de production », explique l’ingénieur. « Nous avons aussi analysé la perception sociétale de ces systèmes de production et de leurs produits ». Les résultats de ces expérimentations confirment la multifonctionnalité de l’agriculture urbaine par sa capacité à valoriser les produits résiduaires urbains pour la création de substrats de culture et pour l’utilisation de solutions nutritives en hydroponie, même si certains aspects sanitaires, réglementaires et d’acceptabilité sociétale interrogent encore.

Répondre à la transition écologique

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’est aussi penché sur le sujet et a adopté le 12 juin dernier son avis « L’agriculture urbaine : un outil déterminant pour des villes durables » (voir encadré). Le CESE formule plusieurs préconisations pour adapter la réglementation, notamment l’intégration, dans la future réforme du droit foncier rural, d’une réflexion sur des dispositions spécifiques à l’agriculture urbaine dans le cadre du statut du fermage, et l’adaptation des règles d’urbanisme. Le rapport, voté à l’unanimité, insiste sur la nécessité d’aller vers une complémentarité entre agricultures urbaine, périurbaine et rurale en généralisant les Projets alimentaires territoriaux (PAT) et en veillant à leur articulation avec les outils de planification foncière (PLU, Scot). L’introduction d’une nouveauté agricole et alimentaire urbaine semble questionner les cadres établis des modèles alimentaires. Ces nouvelles productions en ville transforment les idées que l’on se fait des filières alimentaires et agricoles en général (« productions locales de saison ? ») et posent la question de leur avenir : les campagnes seraient-elles idéalisées ? Dans ce contexte, l’agriculture urbaine peut devenir un pont entre le rural et l’urbain, pour développer des « orientations de confiance » et accompagner les communications (médiatiques, marketing, politiques, scientifiques) dans la chaîne alimentaire. Ainsi, la production de fraises en conteneur pose la question du « naturel » pour la majorité des consommateurs interrogés (66 %). Des études montrent qu’à l’échelle mondiale le caractère « naturel » des aliments est considéré comme crucial pour définir la qualité et par-delà la « comestibilité ». Même si l’analyse sensorielle des fraises produites en conteneur (Agricool) indique une qualité sensorielle et un taux de sucre élevé (11 à 12 meq/100 g), cette production va à l’encontre des exigences sociales et culturelles françaises et questionne en quelque sorte la « qualité socioculturelle ». Cette production ultra-locale et sans pesticides est perçue par certains comme « non naturelle », car « de toute saison » et « hors-sol ».

Connaître ces nouveaux agriculteurs

En France, l’Afaup, Association française d’agriculture urbaine professionnelle, compte 80 adhérents. Aucune structure ne présente le même modèle. Même si 75 % des adhérents ont une production agricole, l’importance de l’activité varie, selon la structure. Les porteurs de projets ont souvent développé leur propre système d’installation. Les premiers résultats (70 répondants) montrent que de nombreux porteurs de projet sont en reconversion professionnelle. Ce sont des personnes très engagées qui cherchent du sens dans leur travail, avec une majorité d’hommes, plutôt surdiplômés. Les aides à l’installation (la dotation au jeune agriculteur – DJA) ne sont en général pas connues de ces nouveaux profils. A ce jour, Théophile Champagnat est le seul à avoir obtenu la DJA. Sa société, Cycloponics, produit des endives, des champignons et de jeunes pousses sur 8 000 m² d’anciens parkings souterrains situés dans le XVIIIe arrondissement, à Paris. Il apparaît, d’autre part, une difficulté à s’affilier à la MSA, et à se rapprocher des Chambres d’agriculture. Aussi l’Afaup, en partenariat avec Sciences Po et des acteurs du monde agricole (JA, Driaaf, MSA, les Chambres d’agricultures et diverses structures agricoles), a réalisé une enquête avec comme objectif de concilier l’agriculture classique et l’agriculture urbaine et connaître le parcours de ces nouveaux agriculteurs. Elle sera complètement dévoilée à l’automne. Enfin pour la première fois, une licence professionnelle propose une spécialisation en agricultures urbaines et périurbaines. C’est un parcours de la licence pro "Métiers de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme" qui sera enseigné par l’université de Nantes, en partenariat avec le lycée agricole du Grand Blottereau et le CFA Formasup des Pays de la Loire, dès la rentrée 2019. Il s’agit d’une formation d’un an, uniquement accessible en alternance. Elle s’adresse à des titulaires d’une licence de géographie, BTS/DUT agricoles ou à des personnes en reconversion. Cette licence vise à former des techniciens spécialisés (bac +3) dans la conception et la mise en œuvre de projets d’agricultures urbaines et périurbaines.

En pratique

800 millions de personnes sont concernées par l’agriculture urbaine et périurbaine à l’échelle mondiale

73 hectares sont cultivés en zones urbaines ou périurbaines en Ile-de-France. 100 hectares sont envisagés à Paris d’ici à 2020.

2 000 personnes de Montréal (Québec) sont approvisionnées par la serre urbaine commerciale Lufa.

50 kg par m2 et par an est la quantité de produits frais, fruits et légumes, qu’il est possible de produire en milieu urbain.

Ferme urbaine au collège

Au Collège Pierre Mendès France (Paris XX), l’association Veni Verdi jardine sur un terrain morcelé de 4 500 m2 en pleine terre. Veni Verdi a contribué, en lien avec une équipe pédagogique engagée, à revaloriser l’image de l’établissement. Une cinquantaine d’arbres fruitiers, plus de 500 rosiers, des petits fruitiers, des plantes aromatiques, une mare aux canards, une serre bricolée, un poulailler, un potager géré par la classe Segpa, 700 m2 de forêt comestible. Veni Verdi est également engagé au Collège Flora Tristan (Paris XX).

Roubaix réhabilite ses friches

Dans le cadre de sa stratégie « Ville nourricière », adoptée en octobre 2017, Roubaix- ville la plus dense des Hauts-de-France, avec plus de 7 000 habitants/km2 -a lancé un premier appel à projets sur l’agriculture urbaine. Aujourd’hui, plus de 8 ha, une trentaine de sites et 350 parcelles de jardins familiaux sont répertoriés sur le territoire roubaisien. « 23 hectares pourraient ainsi être cultivés à Roubaix et fournir 50 % des besoins en fruits et légumes de 10 % de la population », selon les protagonistes.

L’aquaponie à Asnières

Halle Flachat à Asnières, les installations de la société Aquaponic Management Project (AMP) produiront 2 tonnes de truites et 4 tonnes de fruits et légumes par an. L’espace végétal compte des cultures sur radeau et des « bacs à marée » de culture des fraises, capucines et autres fleurs comestibles, tomates… Deux personnes assurent à la fois la production et la commercialisation des fruits, légumes et poissons. Des visites avec les scolaires sont prévues, dans un but éducatif.

Des revenus de neuf millions de dollars

Au Québec, on dénombre 50 exploitations agricoles situées hors des zones agricoles, en milieu urbain (selon les données publiées en juin par le Carrefour de recherche, d’expertise et de transfert en agriculture urbaine Creteau). Sur ces 50 entreprises, 28 sont spécialisées en production maraîchère et 8 en micropousses. On retrouve également des apiculteurs, des fermes d’insectes, des producteurs de champignons et de fleurs. 18 exploitations fonctionnent à l’intérieur (en serre notamment), tandis que 14 autres sont installées sur des toits. Plus de 70 % des entreprises agricoles urbaines québécoises sont implantées à Montréal. En dehors de la métropole, les villes de Laval, de Québec et de Sherbrooke comptent chacune deux fermes urbaines. « Ce créneau vit d’ailleurs une forte croissance depuis quelques années », observe le directeur du Creteau, Éric Duchemin. Par ailleurs, il est important de souligner que la première ferme urbaine, la ferme Pousse-menu, a vu le jour en 1997 et que la première serre commerciale sur toit a été inaugurée par Lufa en 2006. Les coauteurs estiment à plusieurs millions de dollars le marché puisqu’en 2014, les neuf entreprises alors existantes déclaraient déjà des revenus de neuf millions de dollars.

Un pont entre la ville et la campagne ?

« En reconnectant les citadins et citadines avec leur alimentation et en faisant le lien avec des exploitations agricoles périurbaines et rurales, l’agriculture urbaine peut jouer un rôle essentiel pour construire des systèmes d’alimentation durable », soulignent les deux rapporteurs du Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans un avis du 12 juin dernier. Toutefois, selon Etienne Gangneron, vice-président de la FNSEA et président du groupe de l’agriculture par Pascal Mayol, de FNE et président du groupe environnement et nature, tous les projets d’agriculture urbaine ne répondent pas aux enjeux de la transition environnementale. Le Conseil recommande ainsi de privilégier ceux qui s’inscrivent dans des perspectives d’alimentation territoriale, ayant des fonctions environnementales mais aussi sociales et sociétales.

 

 

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