Le marché bio va-t-il reprendre en 2025 ?
Les Bio N’Days, la convention d’affaires des produits bio le 6 juin, ont permis de mettre en exergue quelques signes de reprise du marché bio, dans un contexte toujours compliqué. Analyse du Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes et estimation du marché pour cette année, pour 2025 et pour 2026 par Xerfi Spécific.
Les Bio N’Days, la convention d’affaires des produits bio le 6 juin, ont permis de mettre en exergue quelques signes de reprise du marché bio, dans un contexte toujours compliqué. Analyse du Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes et estimation du marché pour cette année, pour 2025 et pour 2026 par Xerfi Spécific.
« Vers un nouveau souffle des filières bio ? » C’est la question à un million et c’est celle que se sont posés les intervenants de la 8e édition des Bio N’Days, la convention d’affaires pour les produits bio organisée par le Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes, à Valence le 6 juin cette année.
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« Ce thème 2024 des Bio N’Days est plus enthousiasmant que celui de l’année dernière [Quelles clés pour relancer la croissance du bio ?], dans un contexte plus rassurant pour le bio et le conventionnel, se réjouit France Bédouin, de la Biscuiterie de Provence et présidente du Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes dans son allocution d’ouverture. Le bio en Espagne et en Italie reprend des couleurs. »
Le marché du bio a réussi à se maintenir à 12 milliards d’euros en 2023, selon les derniers chiffres de l’Agence Bio présentés quelques jours après les Bio N’Days, le 13 juin. Selon Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, « cette quasi-stabilité est la résultante de plusieurs facteurs que sont la hausse des prix des produits alimentaires bio de 7,7 % et la baisse des volumes d’environ -7% ». A lire : Crise du bio : « Nous sommes beaucoup trop dépendant de la consommation à domicile »
« Le bio commence à aller mieux à l’étranger, on le voit. En France ça reste encore discret mais ça va venir », estime lui aussi Franck Soulignac, 1er vice-président du Conseil Départemental de la Drôme, chargé de l'attractivité, de l'économie, de l'emploi et de l'insertion, des politiques agricoles et alimentaires, du numérique et des fonds européens.
Et de poursuivre : « Les Bio N’Days sont une plateforme unique pour renforcer les liens entre les acteurs de la filière et discuter des perspectives et stratégies. On en a besoin tant le contexte du bio a été inédit. »
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Un bio en crise, une rupture après 10 ans de croissance
Un contexte inédit, en effet. Après avoir fait x3,5 en 10 ans et flirté avec 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2020 puis en 2021 (pour le marché bio alimentaire de la consommation à domicile), tirant son épingle du jeu pendant les confinements du Covid, le bio a dévissé.
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Le marché du bio (en valeur, consommation alimentaire à domicile) est violemment passé d’une période de croissance à deux chiffres (+69,2 % sur la période 2012-2016) à une rupture à partir de 2021 (-12,1 % sur la période 2021-2023), selon les chiffres traités par le département d'études Xerfi Spécific. « Cette baisse était statistiquement prévue mais nous ne l’avions pas anticipée aussi forte », confie Jérémy Robiolle, directeur du développement chez Xerfi Spécific. Depuis 2021, le parc de magasins se réduit en termes de nombre de magasins (autour de -10 %) mais la surface de vente se maintient (phénomène de concentrations dans le secteur).
Une crise de confiance dans le bio, à laquelle s’ajoute l’inflation
« Tout le monde se souvient du 9 juin 2021 : le jour de la réouverture des restaurants après le Covid et la fin des mesures de confinement. Les consommateurs ont repris leurs anciennes habitudes et on a vu un arrêt de la fréquentation des magasins bio et de la GMS. Depuis, il y a eu en plus la guerre en Ukraine et la crise énergétique. Peut-être y avait-il des signes avant le Covid d’une crise de la bio qui ont été masqué. Mais plus dure a été la chute du bio », relate Adrien Petit, directeur du Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes.
Pour la première fois depuis 10 ans, le marché bio est en baisse et on observe une crise de confiance du bio. En outre, en 2023, la situation économique a continué d’être marquée par des records d’inflation, et les marchés bio en circuits conventionnels et spécialisés ont persisté dans leur recul, maintenant la consommation bio en deçà de la barre des 5 %.
Une consommation alimentaire à l’arrêt
Comme le souligne le département d'études Xerfi Spécific, la consommation des ménages est à l’arrêt depuis fin 2022, avec une désinflation plus lente que qu’initialement envisagée. Or les ménages arbitrent plutôt défavorablement les produits alimentaires dont font partie les produits bio.
Selon les différentes enquêtes Insee, les ménages ont tendance à moins consommer, à changer de catégories d’achat en allant vers les catégories les moins chers, à multiplier le nombre de magasins fréquentés et à consommer à domicile. Cette situation est particulièrement vraie pour les ménages ayant le moins de revenus.
« Pour un vrai reflux de l’inflation, nous allons devoir attendre 2026, et c’est encore plus vrai pour l’alimentaire » - Jérémy Robiolle de Xerfi Spécific
En outre, « le consommateur est de plus en plus schizophrène. Il ne l’est pas toujours mais au moins partiellement. Les consommateurs déclarent qu’ils continueront à faire attention au local et à l’origine mais sont sensibles au prix », relate Jérémy Robiolle, citant le sondage de l’Observatoire E. Leclerc des Nouvelles Consommations.
« Pour un vrai reflux de l’inflation, nous allons devoir attendre 2026, et c’est encore plus vrai pour l’alimentaire. »
« Des effets de rattrapage incertains à horizon 2025 » pour le bio, estime Xerfi
Analysant les chiffres de l’Agence Bio, Xerfi Spécific estime le marché alimentaire bio pour la consommation à domicile à 11,3 milliards d’euros en 2023, une nouvelle baisse après les 11,6 milliards d’euros en 2022 également en baisse. Et pour 2024 ?
« Nous nous attendons à une stabilisation du marché alimentaire bio à 11,4 milliards d’euros en 2024 et 11,6 milliards d’euros en 2025, encore loin des niveaux d’avant crise (12,8 milliards d’euros en 2020 et 12,7 milliards d’euros en 2021) », dévoile Jérémy Robiolle. Ces chiffres ne concernent que la consommation à domicile. La restauration hors domicile est concernée par la loi Egalim (20 % de produits bio dans les menus), donc « le bio devrait logiquement augmenter à ce niveau », estime Jérémy Robiolle, regrettant ne pas avoir de données RHF.
« Nous nous attendons à une stabilisation du marché à 11,4 milliards d’euros en 2024 » - Jérémy Robiolle de Xerfi Spécific
Des signes économiques, agricoles et politiques de reprise du bio
De son côté, le Cluster Bio Auvergne-Rhône-Alpes note quelques signes encourageants, confirmant une reprise probable du bio.
1) Le commerce tiré par les magasins spécialisés
Les réseaux spécialisés bio, malgré 552 fermetures pour 142 ouverture en deux ans, semblent retrouver des couleurs. La progression du chiffre d’affaires est constante depuis six mois (+7 % de chiffre d’affaires à date) et la confiance est retrouvée (pour 88 % des magasins bio). Les rayons fruits et légumes performent (en hausse dans 94 % des points de vente).
En magasin spécialisé bio, les rayons fruits et légumes performent et sont en hausse de chiffre d’affaires dans 94 % des points de vente
En GMS, c’est plus compliqué. Avec 5,6 milliards d’euros en 2023, le chiffre d’affaires du bio en GMS a continué de baisser (-5,3 % en valeur et -12,6 % en volume). Le référencement aussi (de -11,3 % à -25 %). La part de marché du bio, autour des 4,2 %, a réatteint un niveau semblable à celui de 2018.
« En revanche, et c’est plus positif, on note aujourd’hui des ventes moyennes hebdomadaires en croissance de 3% en GMS, souligne Adrien Petit. Les MDD et marques historiques bio résistent mieux que les “bio-conventionnels”. Et certaines enseignes -Coopérative U, Intermarché, Carrefour- se sont engagées dans Bio Réflexe. »
Avec 5,6 milliards d’euros en 2023, le chiffre d’affaires du bio en GMS a continué de baisser.
2) Baisse des surfaces bio mais des néo-arrivants, surtout dans le maraîchage
Côté agricole, certes les déconversions sont massives en lait, la filière viande bio traverse une forte crise et la récolte de céréales bio est attendue en baisse de 20 à 40 % en raison de la baisse des surfaces. « MAIS on voit arriver de nouveaux agriculteurs hors cadre familial, notamment en maraîchage et dans le cadre de la vente directe principalement, se réjouit Adrien Petit. Il faut les accompagner. » Il estime également que de nouveaux débouchés existent et qui restent à travailler, comme la RHF.
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« On voit arriver de nouveaux agriculteurs bio hors cadre familial, notamment en maraîchage » - Adrien Petit du Cluster Bio
3) La politique est plus ou moins présente pour le bio
Côté politique, la loi Egalim, le lancement d’Origin Info et la directive européenne Green Claim (obligation de certification sur les allégations environnementales attendue pour 2025), la campagne Bio Réflexe (5 millions d’euros depuis 2022) et surtout des aides d’urgence en France passées de 50 à 90 millions d’euros pour les agriculteurs bio (plus 15 millions d’euros supplémentaires annoncés le 13 juin 2024)…
Autant de signes positifs qui s’opposent à d’autres plus pessimistes, comme un plan Ecophyto « en pause », ou bien des objectifs sur le bio tels que 21 % de la SAU en bio et 10 % en légumineuses d’ici 2030 « qui ont été maintenus au forcing dans la loi d’orientation agricole », met en balance Adrien Petit.
4) Export : reprise sur certains marchés
Selon l’exposé d’Adrien Petit, sur les marchés scandinaves, le bio est toujours en baisse. Mais il est observé en hausse en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni. En Allemagne, la fréquentation des magasins observe une belle hausse de +4,1 % en octobre sur un an, et en Autriche la part de marché du bio se stabilise en hausse à 11,5 % ! Outre-Atlantique, le marché étasunien, en hausse de +3,4 %, représente 69 milliards d’euros, soit 5 fois le marché français.
Le marché bio aux Etats-Unis représente 5 fois le marché français
Enfin, la zone Asie et Etats-Unis présentent des perspectives pour les cosmétiques bio spécifiquement (+87 % de croissance entre 2018 et 2023 pour les cosmétiques).
5) Le consommateur, cet(te) inconnu(e)
En France, finalement, l’incertitude c’est le consommateur. L’environnement macroéconomique toujours dégradé pousse à la continuité de l’arbitrage des ménages, au moins jusqu’en 2026 (avec notamment une hausse des ventes de produits 1er prix). « Le bio est freiné par une perception prix souvent jugée prohibitive, parfois à tort, notamment par les ménages aux revenus plus faibles, avertit Jérémy Robiolle. Mais le marketing et la communication peuvent prendre le pas sur ces valeurs traditionnelles accordées au bio. »
Le bio est freiné par une perception, souvent fausse, de prix prohibitif.
Au-delà du prix, « c’est le local qui séduit de plus en plus les consommateurs. On a aussi une réorientations vers d’autres produits “écolo”, “santé” ou responsables, comme le sans sucre ajouté, la marque C’est Qui Le Patron ou le label ZRP (Zéro Résidu de Pesticides) qui a séduit 7,8 millions de consommateurs en 2022 avec 50 % de notoriété spontanée et une présence dans 25 % des foyers français », regrette Adrien Petit.
Les consommateurs réorientent leurs achats vers d’autres types de produits “écolo” comme le Zéro Résidu de Pesticides.
« Il y a une vraie tendance de fond : la priorité accordée aux produits respectant l’environnement et la santé, dont le bio, nuance Jérémy Robiolle. Et l’accès aux produits bio est de plus en plus facilité avec le développement de l’offre, dans tous les circuits de distribution et une multiplication des innovations. » En 2020, selon un sondage CSA, 73 % des sondés (dont 86 % pour les CSP+ et 70 % pour les inactifs) ont déclaré avoir consommé au moins une fois un produit bio au cours des 12 mois précédents. Xerfi Spécific estime que ce taux pourrait passer à 80 % en 2025.
« Aujourd’hui même si la bio est une nécessité pour les hommes et la terre, on a tous compris qu’être bio ne suffit pas. Le consommateur, souvent mal ou peu informé, veut donner un sens à ses achats mais se laisse berner par des fausses promesses ou se laisse tenter par des arguments plus sociaux. On a compris et aujourd’hui on retrouve la croissance. Après une crise d’adolescence, c’est désormais en adulte mature que nous [le bio] avançons », conclut France Bédouin.