L’intelligence artificielle peut-elle révolutionner la filière fruits et légumes ?
Medfel 2024 a mis en débat cette question brûlante : à quoi donc pourrait servir l’IA dans les entreprises de fruits et légumes ? Deux panelistes présentent leur innovation. Comment se former à ces technologies ? Quelle est la place de la France ? Autant de questions qui ont été abordées.
Medfel 2024 a mis en débat cette question brûlante : à quoi donc pourrait servir l’IA dans les entreprises de fruits et légumes ? Deux panelistes présentent leur innovation. Comment se former à ces technologies ? Quelle est la place de la France ? Autant de questions qui ont été abordées.
ChatGPT a remis l’intelligence artificielle au cœur du débat. Pourtant, l’IA existe depuis déjà très longtemps, comme le rappelle Franck Berthu, expert Transformation digitale chez AD’OCC, à l’occasion d’une conférence dédiée sur le salon Medfel 2024.
Notre société est passée des systèmes experts, c’est-à-dire des moteurs de règles qui automatisent le système afin de prendre les décisions les plus rapides avec le plus d’informations possibles au machine learning où la machine est auto-apprenante, et à l’IA générative qui créée de la donnée à partir d’une base comme le fait ChatGPT. « Dans le cas de nos filières, il s’agit d’outils d’aide à la décision. Les flux de données par capteurs fournissent parfois trop de données à traiter et l’IA peut aider à le faire. Il peut aussi s’agir de la prédiction par exemple en analysant des images satellite pour prédire l’évolution de la culture… »
Lire aussi : IA : comment l’intelligence artificielle peut aider les maraîchers de Savéol
Main d’œuvre, phytos, rentabilité : l’IA pourra répondre aux problématiques de la filière fruits et légumes
Gildas Guibert, chargé de développement chez le grossiste Mouneyrac, abonde en ce sens : « Grâce à l’IA, on peut objectiver la prise de décision. Et sur les autres problématiques de la filière fruits et légumes que sont la main d’œuvre, les phytos et la rentabilité des entreprises, je pense que l’IA a de nombreux atouts à nous apporter. »
Le consultant évoque la possibilité, dans un monde où la main d’œuvre est de plus en plus rare et moins qualifiée, de la faire monter en compétence grâce à l’IA. Il est aussi persuadé que l’IA facilitera la recherche de nouvelles molécules plus durables. « L’IA c’est aussi gagner du temps : par exemple hier, l’IA m’a permis de me résumer, en français, un document de 1 500 pages rédigé dans une autre langue, pour me sortir une liste de matières actives utilisées par nos voisins sur la punaise diabolique. Je vois aussi le même genre d’application pour les formulaires qualité, à la condition de toujours bien relire ce que sort l’IA bien sûr ! »
Et de conclure : « L’IA c’est très excitant : les entreprises ont plein de jeux de données dormantes qu’ils vont pouvoir utiliser pour objectiver les décisions. Il existe plusieurs [technologies d’]IA pour plusieurs problématiques, il va falloir apprendre à jongler entre toutes. »
Franck Berthu précise : « L’IA assez nouvelle pour les usages. On a davantage de retours d’expérience de la part des fournisseurs de matériau que de retours de terrain. »
Exemple concret n°1 : le logiciel Arboflow
Fondée il y a un an par Mathieu Gazeau, producteur de fruits dans les Deux-Sèvres et la Vendée, et Anicet Prod'homme, ingénieur cyberdéfense, la jeune entreprise Arboflow est spécialisée dans l'optimisation des tâches dans le domaine de l'arboriculture.
Pour résumer simplement, en verger ou en station le logiciel prend des photos des palox de pommes (ou de poires ou de kiwis) avec une balle de golf pour étalon et en déduit le calibre et la coloration des fruits. « Avant le logiciel, il fallait échantillonner 15 pommes pour chaque palox, ça prenait 20 min. Avec le logiciel l’échantillonnage se fait en quelques secondes, explique Anicet Prod'homme. Ça permet aussi de faire des palox prétriés pré calibrés, ce qui permet en station d’organiser ses chambres en fonction. Et côté producteur, il sait à l’avance ce qu’il envoie à la station ce qui peut le tranquilliser par rapport à son revenu à venir. »
Temps gagné donc mais aussi un meilleur résultat d’échantillonnage. « Et la machine s’affranchit un job pas sympa à faire ! »
Exemple concret n°2 : l’entreprise DAC ADN pour la vigne
L’entreprise DAC ADN développe des solutions techniques pour améliorer la rentabilité des exploitations viticoles en optimisant la protection phytosanitaire. Ces solutions s’appuient sur la capture de spores des pathogènes de la vigne mildiou, oïdium et black rot, puis la modélisation du risque épidémique, et enfin un accompagnement et un conseil personnalisé.
Antonin Douillet, directeur général de DAC ADN, a créé cette entreprise avec son frère suite à sa thèse sur le suivie du mildiou et de l’oïdium de la vigne. « Le principe ? On capture des spores des pathogènes que l’on analyse au labo et on implémente la donnée dans des modèles météo et d’évolution de la maladie pour obtenir un outil qui va nous dire s’il faut traiter ou non. L’IA a une meilleure mémoire, calcule plus vite et on parle de bases de données énormes donc la prédiction est meilleure. »
Parmi les freins : la cherté du matériel de capture de spores. Les jeunes entrepreneurs s’en sont affranchis en développant « nos propres stations pour lesquelles nous avons enlevé tout ce qui est superflu pour maîtriser les coûts ».
« L’IA a une meilleure mémoire, calcule plus vite et on parle de bases de données énormes donc la prédiction est meilleure » Antonin Douillet, directeur général de DAC ADN
Le modèle semble efficace : en 2022, les règles de décision sur la date du premier traitement mildiou ont permis d’économiser 2,2 traitements en moyenne. Ce chiffre est monté à 3 en 2023 (avant le moins de juin qui a ensuite été compliqué). En parallèle, aucune diminution de rendement n’a été observé. « On estime permettre entre 25 et 30 % d’économie d’IFT mais il faut des surfaces de 20 à 30 ha pour que le service soit rentable. Pour l’avenir nous allons essayer de numériser pour les plus petits producteurs. »
A date, DAC ADN est plutôt orienté sur la vigne mais précise rechercher tout partenariat, d’autant plus que Antonin Douillet avoue avoir étudier la tavelure du pommier dans sa thèse. « Mon modèle peut être copié-collé pour toutes problématiques cryptogamiques en maraichage et arboriculture, même si il faudra le calibrer avec des experts de ces cultures », affirme-t-il.
Comment se forme-t-on sur l’IA ? Des métiers vont-ils être repositionnés ?
Anicet Prod'homme estime que l’on « peut bidouiller » pour se former, qu’il y a de nombreux articles et tutos (en anglais) accessibles depuis LinkedIn, Twitter…
« En revanche, l’IA c’est un métier et ça prend du temps, donc une entreprise doit spécialiser un poste ou l’externaliser », met-il en garde.
Autre mise en garde : face à trop de données il peut être difficile de prendre une décision. « L’IA reste un outil, relativise Antonin Douillet. Si tous mes outils convergent dans la même direction alors la décision est facile. Mais si c’est moitié-moitié -par exemple mes capteurs météo indiquent un risque de mildiou mais mes captures de spore tranchent pour l’inverse – alors c’est l’expertise de l’opérateur qui tranchera. »
Au-delà du champ et de la station, un usage pour l’aval de la filière ?
Quid de l’IA pour l’aval de la filière : en rayon, en consommation ? A cette question de Didier Carbos, directeur général de Cofruid'Oc, Gildas Guibert estime qu’il est envisageable d’intégrer la donnée météo aux données commerciales pour estimer la consommation. « On peut aussi acheter de la donnée -par exemple Orange capte les flux de personnes sur les téléphones ou bien suivre les déplacements des consommateurs par les flux en stations essence. »
Franck Berthu précise que dans le secteur de l’industrie on est déjà dans l’offre personnalisée. C’est un sujet sur lequel la filière pourrait travailler, afin de toujours mieux répondre à la demande du marché.
Quelle est la place de la France dans l’IA ?
A cette question posée par FLD, Antonin Douillet répond que le Canada et les Etats-Unis sont précurseurs dans la capture de spores. « Ils sont inspirants, là-bas ils travaillent sur le concombre, l’oignon, les grands cultures, l’arboriculture avec kiwi, framboise… Ils n’ont pas la barrière de l’innovation. »
Anicet Prod’homme, lui, estime que la Nouvelle-Zélande a un an d’avance pour les applications dans l’arboriculture. « Un an ça se rattrape. En France nous ne sommes pas les premiers mais nous ne sommes pas les derniers non plus. »
« Aux Etats-Unis et au Canada, ils n’ont pas la barrière de l’innovation » Antonin Douillet (DAC ADN)
Et Franck Berthu de conclure : « Il y a un changement du paradigme entre l’homme et la machine alors ne prenez pas du retard, prenez le train quand il est encore sur le quai ! »