Dresser le profil sensoriel des pommes : une roue des arômes pour objectiver le goût
Des profils sensoriels permettraient de mieux guider les consommateurs dans le choix des variétés lors de l'achat et garantir la tenue de la promesse gustative et donc augmenter les chances de réachats et de re-consommation. Ronan Symoneaux, chercheur à l'ESA, explique la méthodologie pour dresser ces profils.
Des profils sensoriels permettraient de mieux guider les consommateurs dans le choix des variétés lors de l'achat et garantir la tenue de la promesse gustative et donc augmenter les chances de réachats et de re-consommation. Ronan Symoneaux, chercheur à l'ESA, explique la méthodologie pour dresser ces profils.
Ronan Symoneaux, chargé de Recherche et Valorisation en Evaluation Sensorielle et Sciences du Consommateur au laboratoire Grappe de l’ESA d’Angers, est notamment en charge du projet de caractérisation des variétés Kissabel. Pour FLD, il explique la méthodologie des profils sensoriels.
Typologie des consommateurs, acceptabilité et critères d’appréciation
Rendre compte de la qualité sensorielle d’un produit se fait par deux procédés complémentaires. Le premier consiste à dresser les critères d’appréciation du fruit et à identifier les segments de consommateurs : ceux qui aiment les pommes croquantes et juteuses, ceux qui préfèrent les chairs farineuses… Il s’agit de prendre en compte les comportements variés et changeants des consommateurs.
« Pour cela, nous interrogeons des consommateurs naïfs, 100 minimum (à Angers, 1 500). C’est ce qu’on a fait pour les débuts du projet Ifored. Nous avons aussi vérifié l’acceptabilité des consommateurs face à la couleur de chair rouge : est-ce attirant ? est-ce que cela évoque des manipulations génétiques ? etc. »*
Profils sensoriels : « il faut objectiver le goût »
Ensuite, pour décrire la diversité de profils des variétés des obtenteurs ou des producteurs, il faut des panels entraînés à la caractéristique sensorielle. « On ne demande pas à ces dégustateurs entraînés s’ils aiment ou non, mais ce qu’ils perçoivent, afin d’objectiver la description. » Le Grappe dispose de 18 panelistes recrutés -parfois depuis 10 ans- et entraînés -deux fois par semaine-, payés à la session, sur tous produits.
Quatre sessions d’entraînements sont réalisées avec ce panel déjà entraîné afin de fixer le cadre et les protocoles. Puis la ou les sessions d’évaluation ont lieu. Le protocole d’évaluation est proposé par l’équipe du Grappe et le panel leader, et négocié avec le client : faut-il une ou plusieurs sessions, en fonction de la maturité et de la disponibilité des fruits ? Des fruits coupés en 8 ou en deux ou entiers ? Pelés ou avec peau ? etc. « La peau peut amener un peu d’arômes, un peu de résidus dans la mastication, de la texture. » En période Covid, la session de dégustation évaluation a dû se faire au domicile avec donc un protocole spécifique (mise en sac, livraison, préparation à la maison…). « C’était intéressant à faire, un challenge enrichissant. »
Le triptyque texture, saveur et arômes
L’appréciation d’un fruit se fait d’abord sur sa texture, puis sa saveur et enfin seulement sur les questions aromatiques. Le consommateur va d’abord chercher des fruits parfaits visuellement et ensuite il va segmenter, « j’aime telle ou telle couleur ». Les questions aromatiques sont secondaires mais peuvent intéresser le consommateur, exciter ses papilles et générer le réachat.
Première étape donc de la dégustation : évaluation de la texture (croquant, juteux farineux) et des saveurs et sensations (sucré, acide, amer, astringent, umami) et intensité aromatique. Ces critères doivent obligatoirement tous être évalués par chaque paneliste, qui les place sur une échelle linéaire de 15 cm.
Ensuite viennent les questions aromatiques. Si les saveurs peuvent être “définies” comme étant le goût perçu par les papilles, les arômes sont dus à l’odeur rétro-nasale, ce sont les notes aromatiques en bouche.
Les chercheurs ont créé la roue des arômes de la pomme, à l’image du vin
Pour cela, Ronan Symoneaux et son équipe ont développé une méthodologie originale, le HRata (hierarchical rate all that apply), basés sur les travaux de thèse de Mathilde Charles et plus récemment de Léa Koening. Des listes d’attributs spéciales pommes sont générées depuis 10 ans et enrichies au fur et à mesure par le Grappe et les panélistes. Ces listes ont été présentées dans la roue des arômes de la pomme : des grands ensembles (notes de fruits exotiques, notes gras verts, etc.) chacun se déclinant en divers attributs encore plus précis (noisettes, herbes fraîches, boisées…).
Cette roue a été bâtie pour des consommateurs français mais pourrait facilement être utilisable aux Européens. En revanche, pour des consommateurs plus spécifiques comme les Asiatiques, plus sensibles à certains arômes, il faudrait l’adapter.
« Ensuite, le HRata consiste, pour le dégustateur, à ne choisir que les attributs qu’il reconnaît, il peut en choisir autant qu’il veut ou aucun, du ou des mots précis à la ou les grandes familles. Ensuite, nous avons mis en place des stratégies de recoupement statistique. »
Et la couleur dans tout ça ?
Un profil sensoriel d’une variété va donc prendre en compte le profil gustatif, textural et aromatique, indépendamment de la couleur des fruits. « On ne peut cependant pas exclure des interactions cognitives liées à la couleur. Les fruits rouges ont-ils réellement des notes de fruits rouges ou la chair rouge induit-il ce goût ? On a vu dans des études qu’un vin blanc teint en rouge était perçu par les dégustateurs comme un vin rouge. Il faudrait des études de dégustation sous lumière rouge pour s’affranchir de ce biais. »
Profil sensoriel et marketing : à exploiter seulement si la promesse est tenue
Et une fois ces profils mis en place ? Comment communiquer auprès des consommateurs ? « Les promesses sensorielles sont généralement construites sur les textures et les saveurs car ce sont des notions plus simples et mieux comprises des consommateurs qui les identifient bien. Ce sont aussi des caractéristiques qui sont plus stables d’un fruit à l’autre, le long de la saison, d’une campagne à l’autre, donc une promesse tenue. Qu’on rajoute les arômes dans la promesse marketing, comme ce qui se fait souvent sur les étiquettes de bouteilles de vin, oui ! ça pourrait être intéressant. Mais avec la prise de risque d’assurer la stabilité de ces caractéristiques. Il faut que la promesse soit tenue et reconnaissable. »
On peut même aller plus loin avec ces profils, en proposant des usages adaptés. Une pomme qui va s’oxyder vite une fois coupée en deux ne sera pas conseillée pour faire des tartes. Un fruit présentant d’exotiques va pouvoir être recommandée en cuisine, etc. « Au Grappe, nous avons notamment fait des travaux sur des mini-légumes. En nous basant sur les profils de texture et sur les caractéristiques visuelles, nous avons proposé différents usages. Pour cela, nous faisons venir des consommateurs et/ou des chefs pour échanger, tester, et mettre en évidence des usages et utilisations parfois originales. »