Inflation
Banane : comment réinvestir la valeur dans le durable ?
Denis Loeillet, expert Banane et responsable de l’Observatoire des Marchés et des Innovations au Cirad, revient pour FLD* sur les tendances du marché et les enjeux de durabilité.
Denis Loeillet, expert Banane et responsable de l’Observatoire des Marchés et des Innovations au Cirad, revient pour FLD* sur les tendances du marché et les enjeux de durabilité.
Denis Loeillet, expert Banane et responsable de l’Observatoire des Marchés et des Innovations au Cirad, revient pour FLD* sur les tendances du marché et les enjeux de durabilité.
* Interview réalisée le 19 janvier 2023.
FLD : Quels ont été les faits marquants sur le marché de la banane ces dernières années ?
Denis Loeillet : La flambée des coûts à tous les stades de la filière, exacerbée par la guerre en Ukraine, a été le sujet de 2022. Cette hausse, observée dès 2021, n’avait pas été suffisamment anticipée dans les négociations. Certains distributeurs ont revalorisé les prix en cours d’année 2022. Cela s’est largement accéléré en 2023 – les longues négociations de cette fin d’année vont dans cette tendance. Alors qu’on observait une baisse tendancielle des prix depuis 2015, en 2022 on a commencé à recréer de la valeur. Le baromètre Cirad indique une moyenne prix vert de 14,10 euros le colis (contre 11,40 euros le colis en 2021, le niveau le plus bas depuis 2015). Alors, ces quelques euros en plus négociés vont-ils compenser les coûts ? Et à quelle échelle ? Selon les données de la place publique que j’ai compilées, les marges brutes évoluent positivement pour le stade production export (+23 %), mais stagnent pour le maillon intermédiaire que sont les mûrisseurs. Ils sont la variable d’ajustement. Les marges brutes s’effritent modestement pour l’aval (-2 %). Et le stade import serait à +11 %, à mettre en parallèle avec les bonnes annonces financières des grands groupes mondiaux, qui attribuent une grande part de ces bons résultats au produit banane.
FLD : Cela semble donc être le bon moment d’investir cette valeur retrouvée dans la durabilité de la banane qui devient essentielle, non ?
D. L. : Certaines filières doivent se réformer en termes de phytos, de main-d’œuvre. Par exemple, le fongicide mancozèbe, largement utilisé dans toutes les zones de production pour l’exportation sauf aux Antilles françaises pour traiter contre la cercosporiose, et interdit en Europe depuis 2021, bénéficie d’une dérogation à l’importation en termes de LMR. Nous nous attendons à ce que cette dérogation tombe en 2023, ce qui obligera les producteurs concernés à revenir à des traitements raisonnés. C’est beaucoup plus complexe à mettre en œuvre qu’un traitement systématique et sans doute plus coûteux. Mais indispensable si l’on souhaite s’inscrire dans une démarche visant à réduire l’impact de la production de banane sur l’environnement. Au Cirad, nous rêvons que plus aucune banane ne soit importée en France et en Europe si elle a été produite avec des nématicides et des insecticides. Car aujourd’hui les techniques sont matures : jachères, piégeages, vitro-plants sains, etc. Ce n’est pas une question technique, mais financière et de volonté. L’agroécologie, c’est un nouveau système de pensée, une révolution agronomique et de mentalités et qui doit se penser à moyen et long terme.
FLD : Alors que les coûts flambent chez tous les opérateurs de la chaîne, à qui de prendre le poids financier de cette transition ?
D. L. : C’est d’abord une affaire collective qui doit en partie sortir du champ concurrentiel et c’est sur cette base collective entre toutes les parties prenantes que de nouveaux standards doivent être négociés. Par ailleurs, les producteurs ne doivent pas -et ne peuvent pas- être les seuls à supporter financièrement ces transitions tant environnementale que sociale. Il faut une réelle valorisation des efforts qui sont faits. L’idée serait de proposer une hausse des prix relative à la hausse des coûts et aux bénéfices de ces transitions. Le Cirad appelle à la mise en place d’une méthodologie multicritères d’évaluation des impacts sociaux et environnementaux de ces transitions, ces critères pouvant porter sur les matières actives, le carbone, etc. Le Cirad et l’Inrae s’apprêtent d’ailleurs à sortir Neighbour, une méthodologie d’évaluation des impacts sociaux. J’ai envie d’être optimiste. Je sens une réelle volonté des opérateurs, amont et aval, de changer.
FLD : Et le consommateur, tiraillé par son pouvoir d’achat, peut-il et veut-il prendre sa part ?
D. L. : Le prix de vente détail de la banane a légèrement augmenté en France, +6 % de 2021 à 2022, selon le RNM, alors que l’inflation a augmenté de même (+6 %). Il n’y a donc pas de relation entre une hausse des prix détail et une déconsommation : aucun consommateur ne regarde le prix de la banane en faisant ses courses -bien que des opérations de promotion ponctuelles à des périodes clés soient efficaces, la banane servant bien de produit d’appel. Et la demande pour la banane a continué d’être forte. Elle a été le fruit plébiscité durant la période Covid, les distributeurs en période de confinements recentrant leurs gammes sur les grands produits, dont la banane.
Une offre déficitaire en banane. L’offre mondiale a été déficitaire en 2022, en raison des aléas climatiques mais surtout du contexte inflationniste, en particulier dans la zone dollar : les producteurs ont changé leur fusil d’épaule. Les coûts ont flambé et la banane, ce n’est “que” de la main d’œuvre et du pétrole -plastique, carton, engrais, transport maritime (ce dernier pouvant compter jusqu’à 30 % du prix final). Et les prix spot ayant étant plus intéressants que ceux contractualisés, les grands groupes ont eu du mal à contractualiser pour 2023. « On peut se poser la question de l’intérêt de la contractualisation de produits agricoles qui subissent des aléas (climatiques, géopolitiques, réglementaires…) », glisse Denis Loeillet. Début 2023, la tendance pourrait perdurer : la Colombie est plutôt en retrait, l’Equateur annonce des volumes en baisse de -10 % sur son bilan 2022, les mauvais retours en production les ayant poussés à acheter moins d’engrais, à moins traiter contre la cercosporiose… A ceci s’ajoute la météo : luminosité défavorable, phénomène Niña… Donc ceux qui auront des volumes en 2023, notamment les groupes intégrés, seront les grands gagnants.