Franck Baechler : être autonome et construire mon sol
Installé depuis trois ans en agriculture de conservation des sols dans le Loir-et-Cher, Franck Baechler a introduit dans son système céréalier un petit troupeau de bovins et d’ovins viande.
Installé depuis trois ans en agriculture de conservation des sols dans le Loir-et-Cher, Franck Baechler a introduit dans son système céréalier un petit troupeau de bovins et d’ovins viande.
À Dhuizon dans le Loir-et-Cher, au cœur de la Sologne, Franck Baechler met en place depuis trois ans un système d’exploitation bien loin des clichés. Ancien conseiller à la chambre d’agriculture, il a animé des groupes de développement sur la qualité des sols et met en pratique désormais l’agriculture de conservation, tout en gérant une structure privée de conseil aux agriculteurs. « Le cœur du système est la gestion de la matière organique dans les sols. Le bétail, en consommant les couverts et déposant ses déjections, fait baisser le rapport carbone sur azote (C/N) de la biomasse initiale, débloque le système et aide à redynamiser les flux de carbone », présente Franck Baechler. Pour ce spécialiste, placer des animaux dans un système de cultures, c’est ce que faisaient nos aïeux. Y revenir avec des connaissances agronomiques et des systèmes de clôtures et de contention du 21e siècle, c’est la façon la plus efficace de faire progresser la qualité des sols.
« Pour que cela fonctionne, il faut que les pattes viennent au champ », considère Franck Baechler. Si on exporte la biomasse pour la redistribuer à l’auge, le coût de l’opération est trop important par rapport à ce que l’on peut espérer en résultat zootechnique. Et même, il va jusqu’à considérer l’animal comme un outil à part entière. Un outil qui ne perd jamais de valeur au contraire d’un tracteur qui s’amortit, et qui permet de capitaliser grâce au renouvellement. Le principe de base dans cette logique est d’accepter de laisser une part de la ration fourragère revenir au sol pour le nourrir. Cette part étant particulièrement importante si l’état du sol est dégradé, comme c’est le cas sur les parcelles qu’a repris Franck Baechler.
Il dispose en effet de 70 hectares sur des sols sablo-limoneux sur argiles, très humides en hiver et très séchants l’été. Le taux de matière organique est de 0,5 à 1,5 %, le pH entre 5,5 et 6, la réserve utile de 35 à 40 mm. Cet état résulte d’une exploitation de logique « minière », où les rendements baissaient d’année en année, toutes les pailles étaient exportées. « Si un sol ne donne pas un bon rendement en blé, il ne permettra pas non plus à une prairie de donner 6 tMS/an. Donc implanter de grandes surfaces en prairies en espérant devenir autonome sur le plan fourrager n’est pas une bonne idée. » Et des prairies grillées à partir de début juin, qui ne repartiront qu’à partir de mi-octobre, ne sont pas fonctionnelles et ne stockent que très peu de carbone.
Le bon équilibre entre sol, céréales et animaux
Sur la partie cultivée, Franck Baechler a arrêté le labour, diversifié l’assolement, et mis en place des couverts sur toutes les surfaces 365 jours par an. « Il s’agit de trouver le bon équilibre entre la production de biomasse pour notre sol, la production céréalière, et la production de viande. » Pour l’instant, la production céréalière est faible. Les animaux consomment parfois les parcelles dont le rendement n’est pas estimé suffisant pour être récolté. Mais l’objectif est bien, quand le système progressera, de vendre aussi des céréales. Les prairies temporaires (fétuque, ray-grass, plusieurs trèfles blancs et un trèfle violet) font l’objet d’une MAE et occupent une bonne moitié des surfaces. Il pratique une rotation dite « deux deux » : deux années successives avec deux cultures par an. Un méteil d’automne est suivi d’un couvert de printemps. Ce couvert de printemps est soit un sorgho fourrager multicoupe semé vers le 10 mai (qui peut être pâturé trois fois), soit un couvert que Franck Baechler appelle un « biomax » semé vers le 20 avril (tournesol, pois fourrager, radis, phacélie, colza oléagineux, lin oléagineux….) de valeur fourragère moyenne, qui est pâturé. Ensuite est implanté un maïs destiné à la production de grain, qui sera suivi d’un autre maïs. L’an passé, le maïs a connu un stress très fort, avec une température de 42 °C en période de floraison et Franck Baechler ne l’a pas récolté. Il a été pâturé par les vaches pleines. « Quand mon sol sera prêt, je pense que ce type de stress pourra être mieux supporté par le maïs, estime Franck Baechler. Les animaux permettent de valoriser un échec de production céréalière en produisant de la viande à des prix défiant toute concurrence. » Elles participent en plus à la gestion de la pyrale en éclatant avec leurs sabots les tiges de maïs au sol.
Ensuite, il est possible de faire un méteil grain qui sera peu sali. Ce méteil grain est composé de triticale, vesce (velue et/ou commune) et pois fourrager, et reçoit 40 à 50 unités d’azote et 50 unités de soufre. Cette année, le rendement du méteil grain a été de 15 quintaux. Après le méteil, un triticale, un seigle ou un blé viendra boucler la rotation. « Le sol est trop hydromorphe pour de l’orge ou du colza pour encore un certain nombre d’années. Ce serait pourtant des cultures intéressantes, car on peut faire pâturer de l’orge à l’automne ou du colza avant de laisser monter la culture pour la récolter. Cela l’oblige à taller et s’enraciner et ne contrarie qu’à la marge le rendement en grain. » Pour l’instant, Franck Baechler n’a pas trouvé la fenêtre pour recourir au plantain et à la chicorée, mais il considère ces deux espèces très intéressantes pour compléter sa flore d’été.
Un système à très faible niveau de charges
Dans son système, les terres et le matériel sont en location, il n’y a pas de bâtiment, donc le niveau de charges ne rend pas obligatoire d’aller chercher un niveau minimum de chiffre d’affaires. « C’est un système, et je ne pense pas que ce soit le seul modèle possible. » Franck Baechler a construit un groupe d’entraide avec ses voisins qui sont céréaliers, éleveurs de brebis, éleveurs de chèvres et ensemble ils vont même plus loin en construisant des systèmes de production d’intérêt commun. Les outils de l’un sont loués par un autre, l’un vend un méteil de légumineuses à un éleveur, les brebis pâturent chez le voisin, du petit lait de chèvre entrera dans la ration des poulets de chair d’un autre… « Chacun est souverain sur son système, mais la logique est commune. »
Vaches angus et brebis solognotes
Franck Baechler a choisi des races rustiques et précoces : il élève une dizaine de vaches angus et une cinquantaine de brebis de race Solognote.
Leur petit format ouvre plus de possibilités de pâturage en cas de portance des sols limitante. Pour les Angus, il cherche un type de vache proche du modèle écossais d’origine, avec de la profondeur. Le chargement est très faible en nombre d’UGB ramené à l’hectare, de l’ordre de 0,4 UGB/ha. Le chargement instantané peut au contraire être très important sur de petites surfaces dans le cadre du pâturage dynamique, où quand l’éleveur veut faire nettoyer une parcelle.
Franck Baechler s’est équipé d’un réseau enterré de distribution de l’eau pour toutes ses parcelles. Il a commencé à clôturer ses parcelles en high tensile adapté pour pouvoir contenir vaches et brebis, avec quatre fils, et utilise aussi des filets de 50 mètres. L’année prochaine 90 % de ses surfaces seront organisées en couloirs de 48 m de large (largeur calibrée sur le passage du pulvé). Les animaux y sont conduits la plupart du temps au fil avant. Pour la contention, il est équipé d’une cage et d’un ratelier avec cornadis.
Chez Franck Baechler, les animaux ont un régime pour le moins varié. « Ce sont les mères qui apprennent à leurs veaux et leurs agneaux à consommer les différentes espèces qu’on leur propose. Si elles ont été élevées comme ça, les vaches mangent des tournesols (feuilles et têtes avant maturité), des phacélies… des chénopodes aussi, dont la valeur fourragère n’est pas nulle. Mes vaches et mes brebis ne sont pas encore ouvertes à toutes ces espèces mais mon objectif est de faire leur éducation », explique l’éleveur. Cette année, les vaches ont bien pâturé une zone de chénopodes, ce qui a évité un passage de broyeur et au passage a réduit en partie le stock grainier du sol.
Bale grazing et pâturage de chénopodes
L’hiver les animaux sont affouragés en foin et pâturent les regains d’automne. Par exemple fin septembre, le lot de neuf vaches suitées était sur une longueur de 30 m dans un couloir de 48 m en fil avant avec du foin à disposition. « J’estime qu’environ 30 à 40 % du foin est restitué au sol, et cela au lieu d’être un problème fait partie du système : c’est ce qui nourrit le sol pour le dynamiser. Les bouses peuvent représenter aussi un apport équivalent à 30 unités d’azote. » Ces balles de foin n’ont pas été déplacées depuis leur fabrication. Elles sont disposées soit en damier, soit en ligne le long du couloir, pour être ouvertes au fur et à mesure de l’avancée des animaux. Franck Baechler a aussi recours aux stocks sur pied. « On laisse pousser et au pied, on a du vert. Mais toutes les prairies ne sont pas capables de le faire. »
La rotation des lots d’animaux est adaptée en permanence au cours de l’année au développement des couverts et à la note d’état corporel des animaux. Franck Baechler a en tête une rotation et normalement un plan B. Les brebis sont parfois placées dans les mêmes parcelles que les vaches, mais le plus souvent les deux espèces pâturent en alternance, en fonction du niveau de leurs besoins. Les agnelages sont en mars et les vêlages en fin d’hiver.
Pour l’instant, Franck Baechler n’engraisse que des veaux mâles, jusqu’à l’âge de 24 à 28 mois. La viande est vendue en direct à des particuliers et des restaurateurs. L’éleveur démarre en ce moment un poulailler de volailles de chair en pâturage dynamique, qui est déplacé tous les trois ou quatre jours en suivant le lot de vaches. « Je superpose les productions, toujours en fonction du potentiel des sols. »
Partenariat éleveur céréalier : rester souverain chez soi et s’engager sur la durée
Franck Baechler a commencé son métier d’éleveur en plaçant ses animaux chez un céréalier. Son activité de conseiller lui donne également une certaine expérience sur le partenariat entre éleveurs et céréaliers. « Mettre à disposition d’un éleveur un couvert de façon ponctuelle a très peu de chances de se solder par un bilan positif pour les deux parties. C’est beaucoup trop aléatoire, car trois années sur cinq, il y aura des échecs dans le développement du couvert vu ce qu’est devenu notre climat, constate Franck Baechler. Il peut y avoir une aubaine une année donnée, mais pour construire un système solide avec un céréalier, il est nécessaire de s’engager dans la durée. » Il faut par ailleurs que les objectifs de chacune des deux parties soient partagés. Parfois des bovins seront là alors qu’une forte biomasse aurait pu être convertie en céréales de vente. Dans l’organisation, chacun doit rester souverain sur sa partie. Un coût journalier de pâture par animal est à définir et il y a autant de références que de fermes. Un contrat sécurisera les relations et évitera d’un point de vue juridique de tomber dans la sous-location.
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