Flambée des coûts : un coup d’arrêt aux projets des producteurs français de tomates et poivrons
Communication au ralenti, diversification vers le poivron stoppée, un recentrage des missions entre AOPn et AOP de mise en marché pour trouver de la valeur... La crise de la flambée des coûts a de nombreuses conséquences, et pas seulement sur les volumes et les prix qui seront mis à disposition sur les marchés.
Communication au ralenti, diversification vers le poivron stoppée, un recentrage des missions entre AOPn et AOP de mise en marché pour trouver de la valeur... La crise de la flambée des coûts a de nombreuses conséquences, et pas seulement sur les volumes et les prix qui seront mis à disposition sur les marchés.
Face à l’inflation et la crise du coût de l’énergie et des matières premières, l’AOPn Tomates et Concombres de France a décidé de recentrer ses missions et de revoir ses budgets pour soulager un peu ses adhérents, notamment en termes de cotisations. La communication est notamment touchée (lire ci-après).
Une AOP de mise en marché en parallèle de l’AOPn et de ses missions institutionnelles
« Le recentrage des missions passe en premier lieu par la création des Maraîchers Français », confirme Laurent Bergé, président des deux structures. Fin 2021, l'Association d’organisations de producteurs "Maraîchers Français" créée par Solarenn, Kultive, Océane et Vitaprim, a été officiellement reconnue comme AOP de mise en marché. Alors que l’AOPn a des missions de valorisation des pratiques de la production et des producteurs et des actions de collaboration auprès des opérateurs et de lien très transversal, avec des interlocuteurs politiques, gouvernementaux, institutionnels…, la nouvelle AOP de mise en marché se dote de la mission de commercialisation que n’avait pas l’AOPn.
« L’objectif : mettre en avant la production française par la mise en marché et la valorisation de ces produits, explique Laurent Bergé. Regrouper l’offre et les négociations vont permettre de discuter de la valeur du produit avec la distribution, de planifier ensemble les mises en avant en rayon à la demande de l’aval, de mettre en place des actions de promotion. »
Flambée des coûts : une hausse d’au moins 15 % à répercuter sinon la production française va « disparaître »
Discuter de la valeur des produits semble plus que jamais un sujet essentiel en ces temps de crise. Laurent Bergé reconnaît : « Je n’avais encore jamais vu un tel niveau de hausse, sur tous les postes, et ça commence à durer. Les emballages ont pris + 40 % en 7 mois. Avant l’énergie était le troisième poste de dépenses après la main d’œuvre et l’emballage pour les tomates et poivrons sous serre, c’est désormais le premier : la molécule de gaz a bondi de +177 % ! »
Et encore, le président de l’AOPn s’était confié à FLD avant le début de la guerre en Ukraine [22 février], qui va aussi rebattre violement les cartes. « Il va falloir qu’une partie de cette hausse soit répercutée, sinon la production française va disparaître. » Laurent Bergé estime la hausse nécessaire autour de 15 % selon les produits.
Un retour de la concurrence marocaine ?
La hausse des coûts est mondiale, nos voisins belges et néerlandais sont aussi durement touchés (lire aussi sur notre site internet et encadré ci-dessous). Le Maroc, qui n’a pas besoin de chauffer, est un peu moins impacté et sera surtout une origine privilégiée dans un contexte de contrainte budgétaire des ménages. « Il faut convaincre les consommateurs d’acheter français. Car le Maroc a bâti sa forte concurrence sur les petits fruits 1er prix depuis des années, d’où notre offre française 200 g pour avoir un 1er prix français. Mais pourra-t-on tenir cette offre en termes de coûts de production, d’emballages ? », s’inquiète le président de l’AOPn et d’Océane.
Laurent Bergé estime que pour des questions de calendrier, l’Espagne était finalement peu présente. Les Belges envoient peu de volumes et sont plutôt présents dans le Nord de la France. Les Pays-Bas ont construit leur stratégie autour des petits fruits et des grappes. « Ils ont reporté les volumes de l’embargo russe sur la France et la main d’œuvre y est moins chère. Mais ils sont désormais durement touchés par la crise de l’énergie. »
Des projets de poivron origine France en stand-by
Il faut donc s’attendre à une « année très particulière », avec des surfaces moindres en production et surtout décalées car plus tardives, en France, en Belgique, aux Pays-Bas avec un risque de téléscopage de production et des mois de mai et juin très chargés. Mais aussi peut être une production qui s’arrêtera plus vite, en septembre-octobre si les coûts et les risques sanitaires deviennent insupportables pour les producteurs.
Le raisonnement est le même en concombre mais aussi en poivron et en aubergine, deux productions qui étaient pourtant en plein projet de développement face à la demande pour de l’origine France. « A l’AOPn on sentait depuis 3-4 ans des volontés émerger mais trop d’incertitudes depuis un an ont mis un coup d’arrêt -temporaire ?- à des projets presque aboutis, regrette Laurent Bergé. Car basculer de la tomate vers du poivron et de l’aubergine ou bien des projets de nouvelles serres nécessitent des investissements conséquents, en particulier pour adapter les emballages et les lignes de conditionnement. »
« La filière et les opérateurs vont faire le dos rond en attendant la fin de la crise pour reprendre les projets, en essayant de valoriser là où on peut valoriser. La seule “chance” que l’on a : nos concurrents sont concernés de la même manière, nous sommes tous dans le même panier », conclut Laurent Bergé.
Le poivron origine France, un fort manque qui s’accentue sur le marché
« A l’AOPn on se rend compte qu’il y a une demande des consommateurs -et donc des distributeurs- pour du poivron (et de l’aubergine) français, sûrement accentué par l’effet Covid et l’envie de consommer français, confirme Nadège Bottazzo, chargée de projet Communication. Nous avons l’outil de production : les serres. Même s’il s’agit de produits sensibles aux maladies, fragiles, on peut facilement basculer la production de la tomate vers le poivron car il y a une demande de la grande distribution et des grossistes. Comme il s’agit du même calendrier de production que la tomate et le concombre, il y aura des choix à faire, un cap à prendre de manière très réfléchie pour les producteurs. »
Selon le memento du CTIFL de juillet 2021, la consommation du poivron en frais représente près de 1,6 kg/personne/an et 68 % des ménages en achètent au moins une fois dans l’année. Le marché est alimenté pour plus de 80 % par des importations : 150 000 t importées par an (+20 % comparé à il y a 10 ans), en particulier l’hiver et au printemps avant la pleine période de la production française. Les volumes proviennent surtout de l’Espagne, du Maroc et des Pays-Bas. La production nationale, davantage concentrée dans le Sud-Est et le Sud-Ouest, est d’environ 24 000 t en moyenne depuis 3 ans sur environ 600 ha. Le poivron, comme l’aubergine d’ailleurs, est peu segmenté sur le marché français, note Nadège Bottazzo. « On reste majoritairement sur le poivron classique 3 couleurs, le mini poivron est une toute petite niche. A voir les innovations par les semenciers si le marché se développe. »
The Greenery témoigne aussi
The Greenery par la voix de Guilhem Flammen, sales manager France, témoigne aussi de perspectives difficiles. « L’avenir est incertain. Tous les produits sous serre nécessitent du gaz pour chauffer les serres. Le coût des intrants et des emballages aussi ont explosé. On a donc des produits de plus en plus chers. On risque d’avoir de moins en moins de volumes l’hiver car on perd en compétitivité face à l’Espagne, le Maroc… Mais les Hollandais ont toujours été très innovants avec toujours une longueur d’avance. Des solutions innovantes seront donc peut être trouvées pour conserver cette avance. »
Lire aussi le témoignage des veilings belges sur ce sujet sur notre site Internet.
Inflation et flambée des coûts : les producteurs belges aussi en souffrance
La crise actuelle du coût des matières premières et de l’énergie impacte aussi les producteurs belges, et la guerre en Ukraine risque d’accentuer les difficultés puisque productions de serre d’hiver sont chauffées au gaz naturel.
En parallèle, il y aussi le prix du carton qui a pris +35 %, celui des engrais +20 à 25 %... Maarten Verhaegen (BelOrta, responsable Légumes) estime que les produits tels que les tomates, les poivrons et les concombres coûtent désormais 35 % plus cher à produire. « Côté contrat, on va devoir monter les prix. Pour ceux déjà passés l’année dernière, ça va être dur de revenir dessus. Nos clients savent que tout est plus cher, mais ce n’est pas facile de faire passer des hausses. Mais la bonne nouvelle, c’est que le nombre de contrats n’a pas baissé. Sur les ventes au cadran, nous verrons bien comment se positionneront les prix. » Même constat pour Bart Van Bael (Hoogstraten) qui observe que les cultures sont 30 à 50 % plus chères à produire. « Les clients, que ce soit en Belgique, Allemagne, France… comprennent la situation. Pour le moment, une hausse des prix de 30 à 40 % voire même 50 % est accepté en tomate, concombre. Car en parallèle la demande est là. »
Des baisses de volumes mais une valeur en hausse sur les productions d’hiver…
Afin d’économiser sur le prix de l’énergie, cet hiver des producteurs ont choisi de ne pas ou de moins allumer l’éclairage, à moins d’avoir des obligations de contrats. Conséquence : des baisses en volumes sur la campagne d’hiver, observées chez toutes les coopératives belges. Chez BelOrta, on fait le constat pour les productions d’hiver (chiffres de décembre) d’une baisse en volume de -15 % en tomates et -35 % en concombres.
Conséquence : le prix est élevé pour les producteurs qui ont produit, autour de 3 €/kg produit nu, c’est-à-dire prix de cadran pendant semaine 9 pour les tomates grappes, selon REO Veiling. Ces volumes restent en Belgique pour assurer les contrats et les relations avec les clients.
… et des marchés chargés cet été
On s’attend aussi à des conséquences sur la tomate de printemps-été. « On parle d’un retard en production de trois semaines, car les producteurs pourraient ne pas ou moins chauffer. Les Hollandais aussi ont planté plus tard. Toutes les productions pourraient arriver en même temps, entraînant une pression sur les marchés, avec beaucoup de volumes en mai et juin », analyse Dominiek Keersebilck (REO Veiling, directeur commercial).
Un retour de la concurrence des producteurs du Sud
Autre conséquence de cette crise de l’énergie et de l’inflation : le retour d’une concurrence des pays du Sud sur le marché français. Ces origines n’ont pas besoin de chauffer, ce qui creuse encore davantage l’écart de prix et la compétitivité.
« L’Espagne et le Maroc avaient un peu disparu depuis 4-5 ans mais cet hiver, ils ont regagné leur place dans les rayons, observe Dominiek Keersebilck (REO Veiling). Même s’ils ont un positionnement plutôt 1er prix, le consommateur achète ce qui est disponible. Et entre une offre de tomates françaises ou belges 500 g à 4 € et une origine Espagne ou Maroc à 1 €, c’est vite choisi. Face à la problématique du pouvoir d’achat, je pense que le basculement de l’achat de Spécialités vers des produits de base est en cours. »
Plan d’investissements chez les producteurs : vers une diversification ?
« La grande question désormais des producteurs : que faire pour l’année prochaine ?, résume Maarten Verhaegen (BelOrta). C’est d’autant plus compliqué à se projeter avec la guerre en Ukraine et la Russie. Mais des décisions en termes de plans de cultures pour l’hiver prochain vont devoir être prise en juillet-août. Des producteurs risquent de ne pas planter ou seulement planter s’il y a des contrats rémunérateurs derrière. »
Dominiek Keersebilck (REO Veiling) estime aussi que cette crise pourrait entraîner une diversification des espèces cultivées, surtout chez les petits producteurs qui s’orienteraient davantage sur du concombre ou de la courgette. Ou le poivron, qui est une production non chauffée.