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Face au changement climatique, « le drainage peut réduire les pertes de 50% pour la production céréalière »

Florent Baarsch, fondateur de finres, entreprise experte des données climatiques, nous livre les données d’une étude économique sur le sujet de l’adaptation de l’agriculture française au changement climatique. Estimant que les années très humides comme 2024 risquent de se reproduire plus souvent, l’étude montre les bénéfices d’investir en amont notamment dans le drainage.

Portrait de Florent Baarsch, fondateur de finres, devant un paysage
Florent Baarsch, fondateur de finres, entreprise experte des données climatiques.
© finres

Reussir : finres dévoile ce jeudi 7 novembre une étude chiffrée analysant l’impact du changement climatique sur la production de blé et le ratio coût/bénéfice de l’adaptation du secteur. Pourriez-vous nous rappeler la raison d’être de votre société ?

Florent Baarsch : Avant de créer finres, il y a cinq ans, j’ai travaillé dans la recherche sur l’économie, le climat et l’agronomie puis à la Banque mondiale et aux Nations Unies à Rome pour le Fonds international des Nations Unies pour le développement agricole (FIDA), ma mission étant de mieux évaluer les risques climatiques au niveau des projets pour mettre en place les bonnes solutions d’adaptation pour les agriculteurs. Je travaillais sur des investissements allant de 10 millions d’euros à 1 milliard d’euros. A mon retour, j’ai eu envie de retourner à mes deux premières amours : l’investissement dans le secteur agricole - qui en a bien besoin - et la science. J’ai créé finres, entreprise experte dans l’adaptation au changement climatique, pour améliorer le dialogue entre la science, les agriculteurs, les financiers et les gouvernements autour de la résilience face au changement climatique. 

Et il y a un an et demi nous avons été sollicités par le gouvernement français pour alimenter la réflexion le volet agriculture du PNACC

Au départ nous avons beaucoup travaillé pour l’Afrique, l’Asie et l’Amérique du sud. Et il y a un an et demi nous avons été sollicités par le gouvernement français pour alimenter la réflexion le volet agriculture du plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), avec l’Institut de l’économie pour le climat, dans le cadre de la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) mise en place par Christophe Béchu.

A la suite de ce projet nous avons amélioré les données utilisées pour ce projet et décidé de les mettre gratuitement à disposition des agriculteurs à travers la plateforme Aghorizon. Accessible ici.

Lire aussi : Changement climatique : l’agriculture française aurait besoin de 1,5 milliard par an pour maintenir ses rendements

Réussir : Qu’offre cette plateforme aux agriculteurs ?

Florent Baarsch : Il suffit de renseigner son code postal, sa production pour connaître l’évolution climatique pour les 20 prochaines années et les conséquences potentielles sur le rendement avec une estimation des pertes sur le revenu. Ensuite l’application propose et évalue des technologies et pratiques à prioriser pour réduire les conséquences des aléas climatiques (comme l’agroforesterie, l’irrigation, les brises vent, le drainage, l’ombrage…). 

Nous avons beaucoup travaillé avec le syndicat des Jeunes agriculteurs pour améliorer l’application Aghorizon

Nous avons beaucoup travaillé avec le syndicat des Jeunes agriculteurs pour améliorer l’application par itération grâce aux retours sur la dernière partie. C’est la partie la plus importante qui permet aux agriculteurs de voir quel effet attendre en termes de rendement de leurs futurs investissements.

AgHorizon est actuellement disponible pour 9 cultures (betteraves sucrières, blé d’hiver, maïs irrigué, maïs non irrigué, pois chiche, pomme, soja, sorgho, tournesol) en France à une résolution de 8 km. D’autres cultures seront mises à disposition dans les prochains mois.

Réussir : Votre rapport analyse l’impact du changement climatique sur la production de blé et le ratio coût/bénéfice de l’adaptation du secteur, quelles sont vos principales conclusions ?

Florent Baarsch : Ce qui nous a le plus surpris, c’est de constater que les épisodes extrêmes humides ont des conséquences plus importantes que les extrêmes secs et chauds dans les six principales régions françaises productrices de céréales avec des pertes de rendements de 25 à 40%.

La probabilité que surviennent des épisodes de précipitations augmente de 30% à l’horizon 2030

Le deuxième enseignement c’est que la probabilité que surviennent des épisodes de précipitations excessives (supérieures à 500 mm sur la période de janvier à juillet) augmente de 15 à 20% à l’horizon 2025 et de 30% à l’horizon 2030 par rapport aux années 2001-2020. Ces évènements seront donc de moins en moins exceptionnels.

Lire aussi : [Météo] Pluies en France : d'un extrême à l'autre, quels effets sur l'agriculture ?

Réussir : Quelles solutions pour les agriculteurs face à cette menace ?

Florent Baarsch : Dans les zones qui pourraient être le plus affectées par des précipitations extrêmes nous trouvons que le drainage présente des bénéfices plus que significatifs, avec une réduction de plus de 50% des pertes.

Le rapport conclut aussi que sur la période 2020-2040, le drainage et d’autres technologies d’adaptation pourraient permettre de générer jusqu’à 1,9 milliard d’euros par an de bénéfices économiques (600 millions d’euros d’amélioration des rendements + 1,3 milliard de subventions évitées), contre des coûts estimés à 1,4 milliard d'euros par an. 

La prochaine révolution agricole consistera à rendre l’agriculture plus résiliente face au changement climatique

Soit 1,4 euro de bénéfice à court terme pour 1 euro investi. Ne rien faire risque de nous coûter beaucoup plus cher. Et plus on investit tôt mieux ce sera. La prochaine révolution agricole consistera à rendre l’agriculture plus résiliente face au changement climatique.

Lire aussi : Drainage : respecter la réglementation pour ne pas couler son projet

Réussir : Dans votre rapport vous expliquez que les modèles météorologiques sous-estiment ce phénomène de précipitations extrêmes, expliquez-nous…

Florent Baarsch : Les différents modèles climatiques suivent les rapports du Giec. Le modèle CMIP 5 (comprenant 40 modèles climatiques mondiaux, ndlr) évalué par le 5e rapport du Giec est encore utilisé par Météo France. On s’est rendu compte qu’il sous-estime l’ampleur des changements de précipitations et de températures sur l’Europe centrale et les régions méditerranéennes par rapport au modèle CMIP 6, sorti en 2021. Dans nos travaux nous utilisons CMIP 6 et ses données montrent des conditions plus humides pour les mois d’hiver et plus sèches pour les mois d’été que celles modélisées dans les modèles CMIP 5. Or cette donnée est très importante pour l’agriculture. C’est très complexe pour les agriculteurs de devoir faire face à des précipitations plus importantes en hiver, jusqu’à ne plus pouvoir aller dans les champs.

Lire aussi : « J'espère gagner 10 à 15 q/ha sur blés et maïs grâce au drainage »

Réussir : En France pour l’instant, les investissements soutenus face au changement climatique portent plus sur le stockage de l’eau pour irriguer que le drainage, une erreur selon vous ?

Florent Baarsch : On s’est posé la question. Pour stocker l’eau tombée au mois d’octobre il aurait fallu une piscine de la taille de la France de 25 cm de haut ! Nous travaillons dans beaucoup de pays très chauds surtout sur le moyen de réduire les pertes par évapotranspiration avec des brise-vents, de l’ombrage, de l’agroforesterie et des systèmes d’irrigation plus économes comme le goutte-à-goutte. On réfléchit à comment réduire au maximum les besoins en eau et réduire les pertes. 

Pour stocker l’eau tombée au mois d’octobre il aurait fallu une piscine de la taille de la France de 25 cm de haut !

C’est notre approche. Sur les pays semi-arides nous avons fait une simulation avec des brise-vents, la couverture du sol et des ombrages qui peuvent significativement baisser les besoins en eau pour l’irrigation. On doit s’adapter aux deux signaux très différents : la baisse des précipitations en été et la hausse des précipitations en hiver. 

Dans les modèles agronomiques, l’excès d’eau n’est pour l’instant pas assez pris en compte

Lors des quarante dernières années, la production française de blé est passée sous la barre symbolique des 30 millions de tonnes : en 2003 et 2020 (pour sécheresse) et en 2016 et 2024 (suite à de fortes précipitations). Aujourd’hui les agriculteurs nous posent de plus en plus de question sur la probabilité des fortes précipitations et comment s’y adapter. Dans les modèles agronomiques, l’excès d’eau n’est pour l’instant pas assez pris en compte, or dans les régions fortement productrices de céréales dans le nord de la France on pourrait s’acheminer vers un rendement de plus en plus variable ce qui va rendre la planification agronomique et financière très compliquée. 

Lire aussi : Comment les surfaces de céréales évoluent en France depuis dix ans ? 

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