En Corrèze, il crée sa retenue collinaire pour sécuriser les revenus de son exploitation
Didier Lagrave, pomiculteur et éleveur en Corrèze, a décidé de créer sa propre retenue collinaire, après plusieurs années de réflexion. « Disposer d’une ressource en eau est désormais, pour moi, la seule façon de sécuriser mes récoltes et donc mes revenus. »
Didier Lagrave, pomiculteur et éleveur en Corrèze, a décidé de créer sa propre retenue collinaire, après plusieurs années de réflexion. « Disposer d’une ressource en eau est désormais, pour moi, la seule façon de sécuriser mes récoltes et donc mes revenus. »
« Cela fait près de vingt ans que je suis installé et je n’ai jamais connu une telle situation de sécheresse », déplore, en cette fin d’été 2019, Didier Lagrave, installé au lieu-dit Les Maisons Rouges, à Saint-Sornin Lavolps (Corrèze). « Les choses n’ont fait que s’aggraver au fil des années mais c’est la première fois que je vois des pommiers de vingt ans jaunir. Les pommes, cette fois-ci, sont de tout petit calibre. Certaines sont même à la limite de pouvoir être cueillies et vaudront à peine le coût de ramassage. Une partie de ma production va sans doute partir à l’industrie. »
Ouvrir le champ des possibles
Celui qui est aussi adhérent à Cooplim (Coopérative fruitière du Limousin) se rappelle, pourtant, non sans quelque fierté, que le calibre de ses pommes, jusque-là, était toujours supérieur à la moyenne. « Cette année, je serai au fond du panier. Et pourtant, le verger a bénéficié de 250 heures d’éclaircissage, à 15 euros de l’heure. L’an dernier, les choses s’étaient plutôt bien passées mais la charge était de 25 t/ha. En 2019, elle est plus importante. Résultat : ça ne passe plus ». Il faut dire également que la Corrèze a subi deux sécheresses consécutives sans que les pluies de l’hiver n’aient été suffisantes pour correctement recharger les réserves en eau, souligne Michel Baffet, chef du service agronomie-environnement-eaux et forêts à la Chambre d’agriculture de la Corrèze. « Ce département a d’ailleurs battu, cette année, le record absolu de sécheresse des sols du Limousin, selon les données de Météo France. »
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Cela faisait plusieurs années qu’il y réfléchissait et en cette année 2019, Didier Lagrave a choisi de ne plus avoir à subir et donc de pouvoir disposer de ses propres ressources en eau afin d’irriguer son verger d’une surface de 8,5 ha dont 2 ha en bio. Et de pouvoir également abreuver aisément son troupeau de 80 mères allaitantes « sans avoir à traîner l’eau ». Ce qu’il fait depuis cinq ans. Une retenue collinaire d’une capacité de 37 000 m3 a été ainsi aménagée sur son exploitation, occupant une emprise d’1,2 ha, au cœur d’un bassin-versant d’environ 15 ha. « Disposer d’une ressource en eau est pour moi, aujourd’hui, la seule façon de sécuriser mes revenus et donc mes récoltes. » Et d’envisager l’avenir. La retenue collinaire, dont la taille est dictée par la nature du projet et la configuration du site, a été volontairement surdimensionnée par rapport aux besoins actuels en eau d’irrigation de l’exploitation. Didier Lagrave souhaite en effet, doubler sa production arboricole, se diversifier vers le noisetier ou le châtaignier et augmenter ses surfaces en bio. Pour ces dernières, l’eau étant un facteur assurantiel encore plus important de la bonne santé des arbres et donc de la qualité des fruits. « Cela m’ouvre le champ des possibles », assure-t-il.
Ruissellement du bassin-versant
Le montage du dossier, dans toutes ses phases administratives et techniques, a duré deux ans avant de pouvoir obtenir l’autorisation nécessaire et l’arrêté préfectoral correspondant, sans lequel rien n’aurait été possible. « Il est vrai que c’est long et compliqué. » Mais rien n’aurait été possible, non plus, sans les aides financières dont Didier Lagrave a bénéficié. « Sans celles-ci, économiquement, cela n’était pas réalisable. » Sur un investissement total de quelque 100 000 euros, Didier Lagrave a perçu 60 % de subventions en provenance de la Région Nouvelle-Aquitaine et de l’Union européenne, via les crédits Feader. Il y avait, néanmoins, une condition sine qua non pour s’en prévaloir : être engagé dans une démarche de respect de l’environnement en l’occurrence, être certifié HVE niveau 3 (Haute valeur environnementale) et en plus, en conversion biologique. « Si je n’étais pas dans cette dynamique, je n’aurai pu prétendre à aucune aide. » Didier Lagrave va devoir encore investir dans le matériel d’irrigation au goutte-à-goutte ; les 100 000 euros d’investissement, qui seront amortis sur 30 ans, ne comprenant que la création de la retenue collinaire, la station de pompage et le réseau primaire. A charge pour lui d’amener l’eau au pied de chaque pommier. Le Conseil départemental prévoit toutefois une aide égale à 35 % du montant de ces travaux mais limitée à 15 800 euros. A la mi-septembre, Didier Lagrave obtenait le feu vert de la Police de l'eau pour fermer les vannes et permettre ainsi à la retenue collinaire d’accueillir toutes les eaux de ruissellement du bassin-versant. Maintenant, il n’y a plus qu’à espérer la clémence des cieux. Si ces derniers veulent bien se montrer généreux, six mois seront tout de même nécessaires pour que cette nouvelle retenue collinaire se remplisse et soit enfin opérationnelle.
De l’eau pour développer des cultures de diversification
Tony Cornelissen, président de la Chambre d’agriculture de la Corrèze, explique qu'« avec la création de cette retenue collinaire, Didier Lagrave va vivre un véritable bouleversement, une révolution à l’échelle de son exploitation. Alors qu’il y a trente ou quarante ans, la disponibilité en eau n’était pas le sujet, aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, c’est devenu un élément incontournable. Nous devons changer nos pratiques et nous avons aujourd’hui la certitude que la ferme Corrèze ne peut exister qu’avec les seuls bovins et qu’il nous faut développer des cultures de diversification comme les noix, les châtaignes ou les petits fruits rouges mais celles-ci ont besoin d’être irriguées. Sans cette garantie de pouvoir irriguer, il n’y aura plus d’agriculture et on laissera la porte ouverte à des produits importés. Ce qui serait d’autant plus dommageable que nos productions fruitières sont de très haute qualité et n’ont aucun problème de débouchés. Cela fait plusieurs années que nous pensons que l’avenir de nos productions végétales passe par la création de retenues collinaires, étant sur un territoire qui n’a pas d’eau souterraine. Nous voulons profiter de l’annonce faite par le ministre de l’Agriculture relative à la création d’une soixantaine de retenues d’eau en France, entre 2019 et 2022, pour promouvoir en Corrèze, la notion de stockage avec ces retenues constituées d’eau de pluie excédentaire. Notre devoir, en tant que Chambre d’agriculture, est de montrer que la révolution que va connaître Didier Lagrave est accessible à presque tous les agriculteurs de Corrèze. »
« Créer une retenue collinaire augmente la valeur patrimoniale d’une exploitation »
Michel Baffet, chef du service agronomie-environnement-eaux et forêts à la Chambre d’agriculture de la Corrèze, assure que son institution « veut promouvoir la création de retenues d’eau multi-usages. Avec le réchauffement climatique et ces périodes de sécheresse qui s’accumulent, la situation devient critique pour les agriculteurs. L’eau est, désormais, un facteur limitant. Se priver de la mise en place de ces unités de stockage revient à mettre en cause l’agriculture de demain. Avoir l’assurance de disposer d’une ressource en eau, c’est, en effet, garantir à un jeune agriculteur de pouvoir s’installer. Nous recevons des demandes d’installation en bio et la première chose que veulent savoir les candidats est s’ils pourront créer une ressource en eau. Faute de quoi, les projets avortent. Le fait de se brancher sur le réseau d’eau potable n’étant pas concevable pour un agriculteur bio. Aujourd’hui, c’est très clair : avoir la possibilité de créer une retenue collinaire augmente la valeur patrimoniale de l’exploitation. Certaines associations environnementales se montrent critiques à l’égard de ces retenues. Rappelons que celles-ci ne font que stocker l’eau de pluie de l’hiver tombée en excédent, qu’elles sont déconnectées, ce qui signifie qu’aucun cours d’eau ne les traverse et qu’enfin, elles ne peuvent être mises en place qu’après publication d’un arrêté préfectoral obtenu après toute une série de phases administratives et techniques. »
Création de la retenue collinaire en août 2019
Volume : 37 000 m3
Emprise : 1,2 ha
Coût : 100 000 euros
Subventions : 60 % du montant des travaux financés par la Région Nouvelle-Aquitaine et l’Union européenne
Durée d’amortissement : 30 ans
Mise en eau : mi-septembre 2019