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En Argentine, cherche gaucho désespérément

Pour les propriétaires et gérants d’estancias, pas facile de trouver le gaucho idéal. Dur et mal payé, le métier peine à attirer les jeunes générations, plus attirées par les lumières de la ville.

Même si elle représente une partie de l’"âme » argentine, un peu à l’image de ce que fut le cow-boy dans le Grand Ouest des États-Unis, le métier de gaucho fait de moins en moins recette auprès des jeunes ruraux argentins. La pénurie de personnel qualifié connaissant bien le bétail et sa conduite est même devenue un véritable problème dans les fermes d’élevage du pays, lesquelles fonctionnent le plus souvent avec une part importante de main-d’œuvre salariée compte tenu de leur dimension.

Repenser les relations entre employeurs et salariés

L’évolution de la société argentine et l’attrait des grandes agglomérations font qu’il est de plus en plus difficile d’attirer des jeunes en leur proposant ces emplois de salarié agricole. C’est une évidence, ce métier ne les fait plus rêver. L’isolement des fermes d’élevage au beau milieu de la campagne où la première agglomération est parfois située à plusieurs dizaines de kilomètres, le culte du cheval remplacé par celui du smartphone, les routes en mauvais état quand elles existent, les déserts scolaires et médicaux, les bas salaires, les conditions de travail précaires… Différentes causes expliquent cet état de fait. Elles sont désormais bien identifiées et obligent les chefs d’exploitation à repenser leurs relations avec leurs employés. État des lieux de la situation.

200 euros par mois, hébergement inclus

En sortant de sa voiture, une fois arrivé à la grande ferme d’élevage qu’il gère, près de Buenos Aires, cet Argentin d’origine allemande annonce la couleur : « Maintenant, tu vas comprendre les problèmes que nous avons avec nos gens », explique ce gestionnaire « On », ce sont eux, les gérants ou les détenteurs de ces immenses exploitations d’élevages telles qu’on les rencontre classiquement en Argentine. « Nos gens », ce sont leurs employés. En l’occurrence sur cette ferme deux frères trentenaires, typés Amérindiens, sont chargés de la conduite du troupeau et de ses soins au quotidien. Dans le dos du gérant de la ferme et en évitant de parler trop fort de crainte que ce dernier ne les entendent, ils se plaignent de leur salaire (200 euros par mois, hébergement inclus). « Comment veux-tu faire vivre une famille avec ça ? », dit l’un d’eux, dont on taira le nom ainsi que celui de la ferme, à la demande du gestionnaire. Ce dernier loue ces terres de cet élevage à un Allemand, directeur d’une multinationale agricole qui fait dans les OGM. Ça ferait mauvais genre, si cela se savait, en Europe… Aucun de ces deux jeunes salariés n’envisage de se mettre un jour à son compte, ni d’ailleurs de postuler dans une autre ferme, « puisque dans la région, de toute façon c’est partout pareil côté salaires et conditions de travail ».

Tout est là : un propriétaire des lieux absent, un gestionnaire insatisfait et décrié par des employés mal payés, résignés et exclus, d’eux-mêmes d’ailleurs, par leur appartenance ethnique. Ce schéma social est un classique dans la campagne argentine. Le hic est que la nouvelle génération de salariés l’accepte de moins en moins.

Situation chez un investisseur français

Autre cas d’éleveur en proie avec son personnel, celui de Serge Listello, dont l’élevage se situe à Charata, dans la province du Chaco à un peu plus de 1 000 kilomètres au nord-est de Buenos Aires. Ce Français a quitté sa ferme de 90 hectares dans le Tarn, en 1987, séduit par de vastes espaces boisés découverts au nord de l’Argentine qu’il a raisonnablement défrichés. Il sème 1 100 ha de cultures et de prairies et il engraisse des bovins de race à viande avec son fils, Nicolas, et l’aide de trois employés. « Nous leur fournissons le logement sur la ferme et l’électricité, plus 4 kg de bœuf par semaine, renseigne Serge. Ils touchent un salaire de 400 euros net, et une prime qui équivaut à deux mois de salaire. Ils ont une couverture sociale et cotisent à la retraite. Payer des gens au noir est trop risqué en cas d’accident », dit-il. Il se plaint de la nonchalance de ses employés, qui ONT eu raison de lui, mais il relativise : « c’est comme les politiques, tant qu’ils ne volent pas… »

 

 
Lorsque Nicolas est devenu, à 26 ans, le responsable de l’élevage, il a intensifié le pâturage de leur cheptel de 200 mères de race britannique croisées zébu dont ils vendent la progéniture à un abattoir exportateur qui s’appelle… Mercosur. « Chacune de nos parcelles de 100 hectares est divisée en quatre, explique le jeune homme. Et nous utilisons la clôture électrique pour les subdiviser en lots de 3 à 5 hectares pâturés pendant deux ou trois jours. La charge animale est de 1,5 UGB/ha. On pourrait la doubler, mais la main-d’œuvre est un facteur limitant lorsque l’on veut modifier son système. Elle ne suit pas toujours », sourit Nicolas.

 

Leur chargé de troupeau, Carlos Ruiz, 53 ans dont vingt passés sur cette ferme, est natif du coin et père de trois enfants qu’il emmène à l’école à moto, laquelle « par chance, n’est qu’à 8 kilomètres d’ici, se réjouit-il. La plupart des vachers de la région sont de la province de Corrientes où la culture du travail rural à cheval reste forte. C’est une vocation qui devient rare », précise-t-il.

Lui travaille du lundi au samedi, 8 heures par jour, davantage pendant les vêlages. Il a 28 jours de vacances par an. Son fils lycéen, qui veut être informaticien, pourrait gagner de l’argent de poche en l’aidant à surveiller les animaux, mais cela ne l’intéresse pas.

Le collège est à 40 kilomètres

Un troisième cas de patron préoccupé par sa main-d’œuvre est celui de Tomás Prezzavento. Ce dernier vit à Buenos Aires, tout en gérant un cheptel de 100 vaches angus sur 320 ha à Ayacucho, un bourg situé à 370 km au sud de la capitale argentine. Il s’estime surtout chanceux d’avoir trouvé un employé de 25 ans encore en poste après deux campagnes de vêlage. « Le personnel tourne beaucoup dans les fermes avoisinantes, informe Tomás. Les postulants ne manquent pas, mais peu sont fiables. Le manque de services, comme la connexion à internet, les rebute. » Une école primaire est à côté de sa ferme, mais le collège le plus proche se trouve au bourg, à 40 km de là. Le moment venu, la compagne de son vacher devra y déménager avec leurs enfants. Pas sûr que le souvenir d’un père absent, car trop occupé au suivi de « ses » vaches, les incite à suivre sa voie.

 

 

Trois questions à Fernando Preumayr, université de Rosario

"La pénurie de main-d’œuvre est un phénomène culturel"

Fernando Preumayr dirige le projet Facteur humain à la faculté d’agronomie de l’université Austral, à Rosario, créé en 2015 en partenariat avec un groupe d’éleveurs laitiers Crea (1).

Y a-t-il réellement pénurie de main-d’œuvre dans les élevages ?

Fernando Preumayr - "Oui, il est de plus en plus difficile de recruter. Certaines exploitations laitières ont même disparu faute d’avoir renouvelé leur personnel. Et l’automatisation des tâches, que ce soit la distribution des aliments ou la traite, ne résoudra pas le problème. Il s’agit d’un phénomène culturel. Les coutumes rurales, comme le travail à cheval, sauf exception, sont délaissées. Les jeunes sont très influencés par les médias qui font peu de place aux métiers agricoles."

Quelles sont les solutions envisagées pour y faire face ?

F. P. - "Il faut mieux aménager les horaires de travail et saisir l’importance fondamentale des congés. En Argentine, disposer de 25 jours de congés par an reste exceptionnel. Or, la routine devient vite pesante. La répartition des tâches parmi le personnel, son insertion sociale et les types de contrat sont également déterminants. Notre projet Facteur humain propose un diagnostic et un plan de travail pour que les entreprises soient attractives, notamment en planifiant les vêlages en hiver et au printemps pour alléger la charge de travail hors saison. C’est aussi un espace de débat."

Quel message adressez-vous aux producteurs de bœuf pour améliorer la performance de leurs employés ?

F. P. - "S’en plaindre ne mène à rien. Le capital le plus important de l’entreprise agricole est le personnel. Il faut donc s’assurer de son accès à l’éducation et aux soins, et se soucier de son logement. Au lieu de vouloir le contrôler, chose à la fin inefficace, le patron doit collaborer avec son personnel. Malheureusement, nos patrons, même les plus jeunes, manquent parfois d’empathie vis-à-vis de leurs employés. Pour obtenir d’eux de bons résultats, le premier pas est de se mettre à leur place et de comprendre que leurs besoins sont identiques à ceux des patrons : avoir du temps libre, sortir le soir, disposer d’un meilleur pouvoir d’achat, acheter des vêtements…"

(1) Équivalent argentin des groupes Ceta.

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