Les bons choix pour piloter le couvert des interrangs de vigne
Enfouir, broyer, rouler… En ce qui concerne la destruction du couvert hivernal il n’y a pas de mauvaise solution, simplement des choix agronomiques. Voici des conseils pour intervenir au bon moment et avec le bon outil.
Enfouir, broyer, rouler… En ce qui concerne la destruction du couvert hivernal il n’y a pas de mauvaise solution, simplement des choix agronomiques. Voici des conseils pour intervenir au bon moment et avec le bon outil.
Réussir un beau couvert hivernal, que ce soit dans un but de fertilisation ou d’agroécologie, n’est pas facile. Mais une fois que l’on a réussi, que faire avec ces végétaux ? « Le type de destruction, c’est là où il y a le plus de progrès à faire », remarque Nicolas Dubreil, animateur au Civam bio des Pyrénées-Orientales.
Le mode de destruction dépend des objectifs du couvert
La tendance actuelle véhicule d’idée que l’itinéraire idéal, quand on réalise des couverts végétaux, est de maximiser la biomasse du couvert pour ensuite le rouler afin d’obtenir un mulch qui évitera la levée des adventices et protégera le sol de la sécheresse. Mais tout dépend de l’objectif que l’on se fixe : le broyage et l’enfouissement peuvent être tout aussi pertinents que le roulage. « Les services rendus par le couvert ne sont pas les mêmes, explique Léo Garcia, enseignant-chercheur à l’unité mixte de recherche ABSys de Montpellier SupAgro. Un enfouissement du couvert par travail du sol accélère la minéralisation des résidus. Une tonte uniquement est une destruction plus rapide, mais avec une mise à disposition des éléments plus lente. Et l’idée du roulage est de créer un véritable paillage avec le végétal, qui se décomposera et minéralisera plus lentement encore. »
Les objectifs agronomiques peuvent varier selon les parcelles
Pour Éric Maille, conseiller à AgroBio Périgord qui s’intéresse aux couverts temporaires depuis près de vingt ans, il n’y a pas de règle absolue en ce qui concerne la destruction des couverts, juste des objectifs agronomiques à atteindre. « Cela répond à une question, ça se pilote en fonction des parcelles, des observations, des problématiques rencontrées… », souligne-t-il.
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Le conseiller illustre volontiers son propos à l’aide de trois exemples très différents. Dans un cas, le viticulteur fait face à une parcelle qui manque de vigueur. « Le plus pertinent ici est de broyer le couvert puis de l’enfouir une fois sec en l’incorporant lors d’un travail du sol, au cultivateur par exemple », commente Éric Maille. Dans un autre cas, le viticulteur fait face à une parcelle ayant une vigueur acceptable, mais aux teneurs en azote assimilable dans les moûts trop faibles. L’idéal est alors de faucher sans incorporer, pour avoir une libération de l’azote plutôt au moment de la maturation des baies. « Et si c’est à un problème de matière organique que le viticulteur fait face, mieux vaut qu’il essaie de faire un mulch, poursuit-il. Dans le cadre d’une bonne gestion des couverts temporaires, on ne peut pas juste faire la même chose que le voisin. »
S’adapter aux données climatiques locales et annuelles
Dans la région du Périgord, les viticulteurs détruisent généralement les couverts vers la mi-avril. « Mais il ne faut pas perdre de vue que la date de destruction adaptée dépend des conditions pédoclimatiques de la région et de l’année », relate le conseiller. Sous ces genres de climat, si tout se passe bien, que le printemps n’est pas trop humide, qu’il n’y a pas de risque de gel, le viticulteur peut aisément laisser le couvert jusqu’à ce que les plantes fleurissent. C’est à ce moment qu’elles contiennent le maximum de leurs richesses.
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Mais il est parfois nécessaire et pertinent d’intervenir plus tôt, si la pression parasitaire de la vigne est importante, par exemple, et qu’il faut traiter. Ou bien si le risque de gel devient trop important. « S’il travaille de façon adaptée, un viticulteur ne fera jamais la même chose dix ans de suite », ironise Éric Maille.
Dates et type de destruction à l’étude
À Montpellier SupAgro, Léo Garcia a lancé une expérimentation plus poussée afin de mieux comprendre l’impact de la date de destruction et de l’outil utilisé. Il compare depuis l’an dernier, sur une syrah du Domaine du Chapitre à Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), l’effet d’une destruction précoce, début février, ou bien plus tardive, au débourrement. Et cela pour trois modalités de destruction différentes : un broyage suivi d’un travail du sol pour enfouir, une tonte ou bien un roulage. Le chercheur a prévu toute une batterie de mesures pour lui permettre de tirer des conclusions pratiques : il contrôle sur le couvert la biomasse, l’azote et le carbone des tissus, la repousse des adventices en juin. Mais il regarde aussi la teneur en eau du sol sur un mètre de profondeur tout au long de la saison, la teneur en azote des 20 premiers centimètres, tout comme le potentiel hydrique de la vigne, le rendement, la qualité des baies et le poids des bois de taille. « Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais les premières observations de l’an dernier montrent qu’a priori il y aurait moins d’eau sur la modalité roulée, contrairement à ce que l’on pourrait penser, relate l'enseignant-chercheur. Cela vient peut-être du fait que certaines espèces résistent au rouleau et continuent de pousser. » À terme, l’idée de cette expérimentation est de pouvoir utiliser les données pour élaborer des règles de décision, afin d’aider les viticulteurs à piloter la destruction du couvert hivernal.
Les besoins évoluent avec le temps
Un pilotage précis de la gestion du couvert et une adaptation au contexte, c’est aussi le credo de François Dargelos, viticulteur du Gers avec quinze ans d’expérience, devenu également formateur. « Il y a beaucoup de facteurs qui entrent en jeu : la disponibilité en eau, le climat, l’organisation du travail, l’objectif agronomique…, dit-il. Il n’y a donc pas de recette. » Il a observé également que les besoins changent avec le temps. Car le potentiel du sol est souvent faible au départ, il faut le temps « d’amorcer la pompe ». Le viticulteur pointe qu’il y a aussi une notion d’acceptabilité qui entre en compte : pour certains une baisse des rendements n’est pas grave au vu des services écosystémiques rendus, pour d’autres le contexte économique ne permet pas de se priver de quelques hectos. Chez François Dargelos, les sols sont plutôt nerveux et n’ont pas vraiment besoin d’azote, ça n’aurait donc aucun sens d’enfouir des légumineuses. Généralement, il n’utilise plus que des céréales qu’il fauche à l’aide d’une petite faucheuse de montagne frontale, pour créer un paillage. Ce fauchage intervient entre le 20 mars et le 20 avril en fonction de la température et de l’humidité de l’année, ainsi que du risque de gel. « Parfois les conditions font que le couvert pourrait rester, mais il faut bien l’enlever si l’on veut passer avec un pulvérisateur à panneaux récupérateurs. »
Une forte contrainte régionale
La nécessaire adaptation de la stratégie de gestion du couvert à la région et au climat a été vécue de très près par les viticulteurs du GIEE des Couvreurs de vigne dans les Pyrénées-Orientales.
Certains viticulteurs du GIEE des Couveurs de vigne se sont lancés avec l’idée de créer un mulch épais en réalisant du roulage, mais ont été obligés d’en revenir. Car cela fonctionne si l’on a beaucoup de biomasse, et un roulage tardif. « Or chez nous la concurrence, si l’on détruit trop tard, n’est pas un mythe », affirme Nicolas Dubreil, qui anime le GIEE. « Bien sûr que l’on aimerait faire comme ce que l’on voit sur les vidéos dans le Gers, créer un énorme couvert que l’on couche au rouleau et qui tient tout l’été, commente Mickaël Sire, viticulteur du Roussillon. Mais nous n’avons pas le même contexte. Chez eux le couvert sert aussi à pomper l’excès d’eau en hiver, alors qu’ici la pluviométrie est parfois à peine suffisante pour couvrir les besoins de la vigne. » Certes, le couvert retient l’eau et améliore l’infiltration, mais en contexte méditerranéen les précipitations utiles sont majoritairement en automne.
S’adapter à la contrainte hydrique de chaque année
En sortie d’hiver, les précipitations sont moindres et le couvert pousse fortement, « ce qui peut assécher complètement le profil, remarque Nicolas Dubreil. Il faut être extrêmement vigilant sur la période de février à avril. » Le conseiller donne en exemple ses expérimentations de 2019 et 2020. En 2019, la sortie d’hiver a été particulièrement sèche. Les modalités conduites en engrais vert, où le couvert a été détruit au débourrement, ont montré une baisse de rendement significative par rapport au témoin. Alors qu’en 2020 l’année a été assez humide, même au printemps. Et il n’y a eu aucun souci avec les modalités couvertes, alors que la destruction a eu lieu également au débourrement. « Dans le premier cas nous avons entraîné un déséquilibre hydrique, analyse Nicolas Dubreil. En année sèche, détruire au débourrement c’est déjà trop tard dans notre région. » Le conseiller a tout de même poussé l’analyse en utilisant des tensiomètres et en réalisant des fosses pédologiques. Il a noté que sur les périodes de mi-avril à mi-juin, il n’y avait déjà plus d’eau à 30 cm de profondeur, mais qu’il en restait à 60. Inutile donc de créer un paillage pour garder l’humidité car il n’y a plus d’évaporation au niveau du sol. Pire, sur les modalités où le couvert avait été roulé, le sol était plus sec sous le mulch que sur le témoin. « Car en théorie le roulage stoppe l’activité des plantes, mais dans la pratique il y a toujours des plantes qui continuent à respirer », dit-il. Mais le conseiller s’est aussi rendu compte que les sols étaient davantage humides là où il y avait eu un couvert hivernal, même après destruction. Ce qui montre que l’effet du système racinaire des plantes (infiltration et rétention de l’eau, structure du sol, matière organique…) est bénéfique même si le couvert ne reste que l’hiver.
Quand et comment détruire ?
Représentation schématique de la minéralisation de la matière organique sur une année
« L’enherbement permanent est une gestion simple et efficace du rang de vigne mais il est très concurrentiel. Avec le temps ce sont les graminées qui sont les plus résistantes au sec, et donc qui consomment le plus d’eau, qui prennent le dessus », regrette David Marchand, conseiller au FiBL, institut de recherche de l’agriculture biologique en Suisse. Sur la chaîne YouTube du FiBL, il présente ses travaux sur les couverts végétaux. Il explique notamment grâce à ce graphique que le pic de minéralisation observable dans les sols à l’automne n’est pas utilisé par la vigne. C’est donc le bon moment pour implanter un couvert, d’autant plus que l’azote
sera lessivé si l’on travaille les sols. Le conseiller a suivi de nombreux essais en terrasse depuis 2018, où le succès est au rendez-vous. Pour lui, partir sur un roulage, et donc un mulch plus durable, est la meilleure option dans le contexte suisse.