Des vins de Maury façonnés pour le marché américain
Fasciné par le terroir de Maury, le winemaker star de la Napa Valley David Phinney a parié sur la capacité des vins à séduire les palais américains. Il y investit à partir de 2008 pour constituer un domaine de 125 hectares de vignes. Rencontre avec Richard Case, le régisseur du domaine.
Fasciné par le terroir de Maury, le winemaker star de la Napa Valley David Phinney a parié sur la capacité des vins à séduire les palais américains. Il y investit à partir de 2008 pour constituer un domaine de 125 hectares de vignes. Rencontre avec Richard Case, le régisseur du domaine.
Le terroir de Maury, il faut y venir pour y croire. C’est ce que le winemaker star de la Napa David Phinney a fait, il y a une douzaine d’années, au départ pour un voyage d’agrément. Là, au pied du synclinal du Fenouillèdes, dans les Pyrénées-Orientales, mais loin de Collioure et de Banyuls, le paysage l’a fasciné : une vallée étroite et chaotique, encadrée de deux lignes de falaises calcaires à peine mitées de maquis ou de garrigue, où se succèdent des collines hérissées de vignes dès que c’est possible. C’est aussi un secteur où les vendanges sont souvent les plus tardives dans le coin, altitude oblige.
Du voyage d’agrément à l’investissement
À l’origine de cette histoire, il y a Richard et Sarah Case, un couple d’Anglais installés là depuis le début des années 2000. En cherchant des vignes à acheter, ils ont fini par découvrir Maury, après avoir prospecté l’Espagne, sans rien trouver qui colle avec leur budget de départ. Ils se sont installés sur une douzaine d’hectares, au domaine de la Pertuisane. C’est une importatrice de vins aux États-Unis, qui les connecte avec David Phinney et le persuade de venir découvrir le terroir. L’Américain commercialise alors leurs vins avec sa société Orin Swift Cellars. En ce mois d’avril 2008, le coup de foudre est total entre le winemaker de la Napa aux collines policées et la franchise du paysage des alentours de Maury. « Il est venu, il a goûté mes vins, ceux d’autres vignerons, ceux de la cave coopérative… Puis il est reparti. »
À la recherche de très vieilles vignes de grenache
Quelques semaines plus tard, Richard Case reçoit la mission de prospecter pour trouver des vieilles – voire très vieilles – vignes. Et surtout de grenache. À 10 000 euros l’hectare, on est loin des prix stratosphériques des vignes californiennes de Saint-Helena ! Pour la première vendange, 65 hectares constituent le domaine dont Richard Case devient le régisseur. Départment 66, le nom du domaine, évoque à la fois le département des Pyrénées-Orientales et la fameuse Route 66 qui traverse huit États américains. « L’idée de David, c’était de profiter du réseau de distribution qu’il possédait aux États-Unis pour commercialiser les vins qu’il faisait à Maury. Il a vraiment été bluffé par la qualité du vignoble et des vins qu’on pouvait y faire », explique son régisseur. À tel point qu’il a gardé le projet secret aux États-Unis jusqu’au moment où il a mis les premières bouteilles en vente, pour qu’on ne tente pas de lui souffler l’idée et le lieu !
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La puissance du fruit et du terroir pour des vins riches
L’exigence est grande. « Vendange en vert, grappillons, effeuillage… on est attentif à tout. On ne vendange les parcelles que lorsque c’est le moment », indique Richard Case, qui à cette période doit jongler entre son exploitation et Départment 66. David Phinney vit en Californie mais il est présent aux moments cruciaux de l’année viticole. « Pendant les vendanges, il vient trois fois et ne reste que 24 heures à chaque fois mais nous passons par toutes les parcelles pour goûter le raisin. Il conçoit ses vins presque plus à la vigne qu’au chai », ajoute Richard Case. « Nous essayons autant que possible de vinifier à la parcelle. Le chai est équipé de 30 cuves de 60 hectolitres et 14 cuves de 30 hectolitres, pour avoir la plus grande latitude possible dans nos assemblages. » La crise du Covid est venue bousculer cette organisation millimétrée en empêchant les voyages. « Mais maintenant cela fait douze ans que nous travaillons ensemble, c’est une chance, nous avons pu continuer de travailler presque à l’identique, avec Fedex pour la circulation des échantillons. ».
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Une gamme resserrée autour d’une cuvée phare
Le domaine élabore une gamme de 5 vins. L’essentiel de la production constitue la cuvée D66 (vendue autour de 40 $-35 €). S'y ajoutent, dans l’entrée de gamme, Others (18 $-15 €), le rosé Fragile, et Façade, un blanc de grenache gris composé en récoltant les différents pieds disséminés dans les parcelles de grenache. Une cuvée de prestige, Pharaon (170 $-144 €) n’est mise en bouteille qu’à partir du moment où il trouve des barriques exceptionnelles. Le vin passe 18 mois en barrique et patiente encore 5 mois en bouteille avant son expédition.
Alors comment fait-on du vin pour le marché américain ? Selon Richard Case, « en faisant du vin français ! David Phinney a adoré ce qu’il a goûté ici, les rendements faibles, les grenaches très foncés, la puissance et la richesse, donc on ne fait pas dans le style américain, bien au contraire ! Le temps est à la valorisation des terroirs. Nous travaillons avec des barriques de chêne français et 20 % de barriques neuves. » Seuls les degrés marquent peut-être cette destination. D66 affiche 15,5°, Others 15,2°…
Des replantations pour remonter les rendements
Au début, Richard Case a cherché des vieilles vignes de grenaches, 60 ans et plus, sur schistes, sans irrigation, propres à « faire de vrais vins » entre Maury et Saint-Paul de Fenouillet. Puis, les recherches ont pris un peu d’altitude pour déborder sur Lansac et Lesquerde, un peu plus haut et surtout avec du granite et de la syrah. Le domaine possède aussi d’autres parcelles du côté de Rasiguère et jusqu’à Tautavel. Mais certaines des vieilles vignes sont arrivées au bout de leur chemin… « À moins de huit hectos hectares, même si tu vends cher, c’est compliqué économiquement. Alors on arrache et on replante en apportant un soin particulier au porte-greffe et au clone », explique Richard Case. Les bonnes années, les rendements sont modestes sur l’ensemble des parcelles. Les nouvelles parcelles apportent un peu plus d’équilibre selon le régisseur, à la fois dans les vins mais aussi économiquement. « Avec les grenaches, quand on a fait 15 hectos à l’hectare on est content. » Le prix de la qualité recherchée.
David Phinney, de la Napa Valley à Maury
En une vingtaine d’années de travail acharné, David (ou Dave) Phinney est devenu une star de la viticulture américaine. Une star doublée d’un solide sens du business. Entre ses débuts chez Mondavi, puis la création de sa propre marque Orin Swift Cellars en 1997 dans la Napa Valley, l’eau a beaucoup coulé sous les ponts. Il a eu un coup de génie, une marque devenue emblématique : The Prisoners (zinfadel, cabernet sauvignon, syrah et bornarda). Elle a été vendue quelques années plus tard à Huneeus Vintner (qui l’a revendu 285 M$-242 M€) à Constellation Brands, tout comme Orin Swift Cellars, pour qui il travaille toujours mais dont il a cédé la propriété au géant E.J. Gallo en 2016 pour une somme tenue secrète. Outre ces emplois chez d’autres et Départment 66, David Phinney a aussi créé Locations wines, un concept qui lui permet d’explorer des assemblages « nationaux » transcendant les appellations et les vignes qu’il exploite dans la Napa Valley.
Un travail important de commercialisation
Du fait de leurs degrés, les vins ont échappé à la première vague de la taxe Trump, mais pas à la seconde, dégainée début janvier avant d’être suspendue le 6 mars pour trois mois. « On profite de la suspension pour faire partir un peu de vin parce que nous stockons tout ici et c’est d’autant plus difficile que nous sommes en train de reconstruire le réseau de distribution aux États-Unis. Ce sont des vins qui n’ont pas d’image, personne ne connaît le Roussillon ou encore Maury aux États-Unis, alors pour les vendre, il faut les faire goûter. Cela demande beaucoup de travail. » Si les vins plaisent, le seul nom de leur propriétaire ne les fait pas vendre tous seuls.
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repères
Départment 66
Superficie 125 hectares en 92 parcelles
Cépages Grenache principalement mais aussi syrah et carignan
Appellations IGP côtes catalanes
Commercialisation Essentiellement export vers les États-Unis
Production 25 000 caisses (3 000 hectolitres).