Le vin de demain
Cinq pratiques viticoles pleines d’avenir
Autres temps, autres mœurs. Le changement du climat et l’avènement de l’agroécologie vont faire évoluer petit à petit le quotidien du viticulteur. Voici cinq pratiques qui pourraient bien se généraliser dans les années à venir.
Autres temps, autres mœurs. Le changement du climat et l’avènement de l’agroécologie vont faire évoluer petit à petit le quotidien du viticulteur. Voici cinq pratiques qui pourraient bien se généraliser dans les années à venir.
1 Mettre les vignes à l’ombre
Avec l’augmentation constante de l’ensoleillement et les températures caniculaires de plus en plus fréquentes, une des premières idées pour protéger la vigne d’un soleil parfois cuisant a été de mettre les vignes à l’ombre. Plusieurs expérimentations ont ainsi été réalisées, et montrent que cela pourrait être un levier d’adaptation au changement climatique à moyen terme. L’IFV Rhône-Méditerranée et la chambre d’agriculture du Vaucluse ont testé ces dernières années des filets d’ombrages. Ceux-ci ressemblent très fortement à des filets antigrêle verticaux, à la différence qu’ils sont de couleur noire et ne laissent passer, en fonction du maillage, que 30 à 75 % de la lumière. « Les résultats sont encourageants », assure Jean-Christophe Payan, à l’IFV. Les filets ont été mis en place après floraison et jusqu’à la récolte. Si 25 % d’ombrage se révèle trop faible pour lutter contre les effets de la canicule, 50 à 70 % de lumière en moins ont permis de décaler la date de récolte jusqu’à 11 jours. « Nous avons enregistré une petite perte de polyphénols et anthocyanes, qui se traduit par 1 à 2 points de couleur en moins, sans pour autant que les vins paraissent plus légers à la dégustation, expose Silvère Devèze, à la chambre d’agriculture. Il n’y a par ailleurs pas eu de perte côté olfactif, les vins ont été globalement bien appréciés. » En revanche, les tests par chambre à pression ont démontré que ce type de dispositif ne permet pas de réduire le stress hydrique. Au cours de ce projet de recherche, les ingénieurs ont également noté que la brumisation de la canopée permet de rafraîchir significativement la vigne, mais ils n’ont pas observé de décalage de maturité. Les essais se poursuivent. Le domaine expérimental de Piolenc, dans le Vaucluse, teste également un protocole d’ombrage plus lourd à l’aide de panneaux photovoltaïques.
2 Adopter des modes de taille différents
Depuis déjà une dizaine d’années, avec la montée en puissance des problématiques de maladie du bois, les viticulteurs utilisant la taille guyot se sont de plus en plus tournés vers des modes de taille respectueux du flux de sève, comme le guyot Poussard ou la méthode Simonit et Sirch. Une dynamique s’est depuis enclenchée et de plus en plus de viticulteurs souhaitent aller vers des tailles plus « douces » pour la plante, moins mutilantes. « Je n’arrive plus à couvrir toutes les demandes, je songe à former des formateurs », illustre Marceau Bourdarias, consultant ayant développé une méthode de taille-douce de la vigne. Il travaille d’ailleurs aussi bien avec des coopératives que des petits vignerons ou encore des grands crus. « Les gens souhaitent de plus en plus comprendre la physiologie quand ils taillent », remarque le formateur. La question du climat nous amènera sans doute également à repenser certains modes de taille. Dans un rapport sur l’adaptation au changement climatique, le scientifique Kees van Leeuwen, de Bordeaux Science Agro, identifie clairement la conduite en gobelet comme un levier pour s’adapter à la sécheresse. « La résistance à la sécheresse des gobelets peut être expliquée par la surface foliaire par hectare, qui est relativement faible et qui limite les pertes d’eau par transpiration », écrit l’ingénieur, qui regrette de voir ce système abandonné pour faciliter la mécanisation.
3 Travailler des vignes moins denses
C’est un fait que l’on observe généralement de façon empirique : plus on descend vers le sud, moins les vignes sont plantées densément. Cela trouve une logique dans le fait que plus le nombre de pied par hectare est élevé, plus la concurrence pour l’eau est grande. Le réchauffement du climat et les périodes de sécheresse estivale plus intenses vont peut-être changer la donne dans nos vignobles. Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) travaille depuis déjà de longues années sur l’éventualité d’exploiter des vignes larges en Champagne, afin de s’adapter au nouveau climat. Et il s’avère que les expérimentations, affichant des densités comprises entre 4 000 et 5 500 pieds/ha (contre 8 000 habituellement), vont dans le sens d’une compatibilité avec les objectifs de l’appellation. Ces vignes montrent un degré légèrement moins élevé et un peu plus d’acidité, mais aussi une meilleure résistance à la contrainte hydrique et une moindre sensibilité au gel. Côté gustatif, les dégustations à l’aveugle montrent la plupart du temps qu’il n’y a aucune différence. Le dossier est sur la table, il ne reste qu’à donner une réponse politique. Dans le Sud, la chambre d’agriculture du Vaucluse s’est également penchée sur la question de la densité, dans une expérimentation comparant des vignes à 4 444 pieds ou 10 000 pieds/ha, et depuis l’an dernier à seulement 2 222 pieds/ha. L’augmentation de la densité a rendu la vigne plus sensible au stress hydrique. Et le comportement de la modalité à faible densité a interpellé les chercheurs, du fait du fonctionnement physiologique très différent de la vigne. « Elle a été moins stressée et active plus longtemps, les apex sont tombés plus tard, les analyses par chambre à pression ont montré une contrainte hydrique plus faible, relate Silvère Devèze. Du coup nous l’avons récolté plus tôt. Mais les analyses de moût ne présentaient pas de grosse différence par rapport au témoin. Nous y verrons plus clair dans les années qui viennent, quand nous aurons modulé la charge par cep pour s’adapter au rendement. »
4 Utiliser des produits qui réduisent l’activité de photosynthèse
Certains produits permettant d’améliorer le fonctionnement de la vigne pourraient arriver dans nos vignobles. Des chercheurs espagnols de la Rioja et Castilla-La Mancha ont par exemple testé l’effet d’applications foliaires d’extraits de sarments de vigne sur une parcelle d’airén, un cépage blanc autochtone. Ils ont observé que cela avait provoqué une réduction de la teneur en sucre dans les moûts de 0,5 à 2 % du TAVP, ainsi qu’une hausse d’un composé phénolique, le GRP, impliqué dans la réduction du brunissement des moûts. Cela serait dû à la présence de composés bioactifs aux activités biostimulantes dans les extraits aqueux de sarments. D’autres études montrent que le pinolène, un terpène issu de résine de conifère, agit comme un film antitranspirant pour la vigne. Des essais préliminaires menés en 2013 et 2014 par des chercheurs italiens ont conclu que l’utilisation d’un tel produit à véraison avait réduit la photosynthèse, la conductance stomatique, l’accumulation de sucre dans les baies et ainsi la teneur finale en alcool du vin, de 0,9 à 1,6 % vol. De même, en Australie, des tests menés en 2017 et 2018 ont montré une baisse du taux de sucre dans les moûts et une réduction générale du flétrissement des baies. Toutefois, les essais menés à l’IFV Sud-Ouest entre 2016 et 2019 sur tannat et gros manseng n’ont pas permis de retarder l’accumulation de sucre dans les baies. « Cela dépend peut-être de la période et de la méthode d’application », suggère Fanny Prezman, en charge de l’essai. Affaire à suivre…
5 Revenir à l’utilisation d’un couvert végétal
Cela paraît paradoxal, étant donné que la contrainte hydrique devrait augmenter et que les couverts ont souvent été abandonnés à cause de la concurrence en eau et en azote. Et pourtant. Leur présence permet d’améliorer l’infiltration de l’eau, de faire baisser la température à la surface du sol et de protéger ce dernier des rayons UV. Mais aussi d’améliorer la rétention en eau, grâce aux propriétés de la matière organique, et d’entretenir la vie et le bon fonctionnement agronomique du sol. Le tout est de piloter cette couverture végétale assez finement pour qu’elle n’exerce pas ses effets négatifs pendant la phase végétative. Depuis quelques années, la mise en place de techniques d’engrais verts se multiplie dans toutes les régions viticoles : il s’agit d’implanter un semis de plantes annuelles à la fin de l’été et de le détruire au printemps, idéalement en le couchant afin de faire un mulch. Pour cela un maximum de biomasse est requis, ce qui implique de bien réussir son semis ! « La couverture des sols passera par une phase d’apprentissage et de connaissance des plantes », avertit le collectif de la plateforme collaborative La belle vigne. Si certains viticulteurs maîtrisent cette pratique et font office de référence, beaucoup de groupes régionaux tâtonnent et expérimentent encore pour trouver les périodes et outils optimaux pour l’implantation et la destruction du couvert. D’ici quelques années, la pratique devrait être mieux maîtrisée et se diffuser plus efficacement dans les vignobles.