Quand tout un village de l’Aude facilite une installation caprine
À 38 ans, David Bertelli vient de s’installer sur un fermage communal à Paziols-des-Corbières (Aude) avec cinquante chèvres du Rove.
À 38 ans, David Bertelli vient de s’installer sur un fermage communal à Paziols-des-Corbières (Aude) avec cinquante chèvres du Rove.
« Depuis tout petit, je voulais m’installer en chèvre », confesse David Bertelli, le regard azuré et la peau hâlée par ses journées sur la garrigue. Pourtant, ce Toulousain aura attendu 38 ans pour devenir chevrier fromager. Et la liste des métiers de son ancienne vie est digne d’un film : il a tenu une boutique de luxe au Mexique, a eu un bar à Bayonne, a été auditeur interne dans l’entreprise multinationale Bonduelle, a longtemps vécu dans la jungle du Pérou et, enfin, dans sa dernière vie en Guyane britannique, a été chef d’entreprise, consul honoraire de France et nommé par le Premier ministre du pays « conseiller du commerce extérieur de la France ». Vertigineux non ? « J’avais une vie frénétique, mais la pandémie est arrivée, mes parents vieillissaient et j’ai décidé de faire ce qui me plaisait vraiment », confie-t-il.
« Le village m’a donné toutes les opportunités pour m’installer »
David rentre donc en France en direction de la Lozère où un chevrier le forme à la production de pélardons. « Ça a confirmé que je voulais m’installer en chèvre. J’ai donc passé mon BPREA à Carcassonne, là où vivent mes parents. Puis pour chercher du foncier, j’ai écrit à soixante-neuf mairies du département pour présenter mon projet », explique-t-il.
800 ha en fermage pour cinquante chèvres
David reçoit plusieurs propositions et choisi celle d’une commune de « 250 habitants l’hiver, 500 l’été », à la frontière entre l’Aude et les Pyrénées-Orientales. « La mairie m’a proposé un fermage de 800 hectares pour trente-cinq ans à 816 euros par an, pour faire pâturer les chèvres dans la garrigue et un terrain de 6 hectares à acheter pour m’installer », détaille-t-il. À Paziols (Aude), où le chanteur Claude Nougaro possédait une maison, il est le seul éleveur de la commune. « Il y a soixante-dix ans, tout le monde avait des chèvres et un berger communal s’en occupait. Là, toute la garrigue n’était plus pâturée, seuls les chasseurs ouvraient des chemins », rapporte-t-il.
Des roves, adaptées à la garrigue
À son installation, David a pu compter sur le soutien de ses anciens salariés guyaniens qui lui ont chacun offert une chèvre, et sur l’aide de nombreux villageois pour monter son tunnel de 200 m2 qu’on lui a donné. « Ce village m’a donné toutes les opportunités pour m’installer. Une agricultrice à la retraite m’a prêté un tracteur et des terres, et un éleveur à la retraite m’a offert un lot de cloches à accrocher à mes chèvres. Je ne cherche pas à faire une grosse production, le village est très animé par la présence des chèvres, je ne m’inquiète pas pour la vente », révèle-t-il.
Pour créer sa fromagerie, il est en train d’acheter une cave au centre du village. « Je vais faire un quai de traite près du tunnel et je transporterai le lait jusqu’à la fromagerie. J’envisage une organisation simple : pâture la journée, séparer la mère des chevreaux le soir, tirer le lait le matin et faire du fromage tous les deux jours. Mes parents sont à la retraite, ils m’aident beaucoup, ils font partie du projet », précise-t-il. Et si David a choisi la chèvre rove, cette race rustique, c’est parce qu’elles « sont adaptées à la garrigue. Il y a des piquants partout et une végétation basse, j’aurai trop de problèmes avec les mamelles sinon. Elles se contentent de peu et valorisent la végétation méditerranéenne. »
Un empoisonnement mortel au « redoul »
Si David se méfiait de l’if ou de la férule, deux plantes mortelles, ou du séneçon du Cap qui provoque des avortements, il a mis du temps à trouver la plante responsable de plusieurs décès dans son troupeau. Le surnommé « redoul » (corroyère à feuilles de myrte, coriaria myrtifolia) est un arbrisseau commun du Midi aux baies noires « très appétissantes pour les chèvres mais très toxiques ». « À la suite du décès de trois petites chèvres, j’ai réalisé une autopsie où l’on a vu que la panse était pleine de ces baies. Maintenant, je ne les empêche pas d’en manger, mais je les amène dans des zones où il y en a moins. Normalement, une immunité doit se créer dans le troupeau. Puis un autre éleveur m’a dit qu’il donnait de l’eau mélangée à du bicarbonate de sodium pour les aider à évacuer le poison, j’essayerai », assure-t-il. Les symptômes de cette intoxication : des yeux exorbités, de la bave mousseuse blanche et un gonflement important de la panse.
« Ce sont les chèvres de tout le monde : des enfants et de tout le village. On est tous un peu solidaire ici, et c’est là que prend le sens de la vie. Je pense que c’est en s’impliquant localement qu’on redonne du sens à nos vies », conclut David Bertelli.
Une placette d’équarrissage naturel collective
Depuis l’an 2000, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de l’Aude a ouvert des placettes d’équarrissage naturel pour les éleveurs du département afin de contribuer à la sauvegarde des vautours en voie de disparition. Plus de vingt-trois placettes existent et concernent soixante-douze élevages, dont celui de David Bertelli. « Les éleveurs sont autorisés à déposer toutes les mortalités d’élevages extensifs sur ces placettes d’équarrissage naturel sans limite de poids ni d’âge pour les élevages ovins et caprins. Mais ils ont l’obligation toutes les vingt-cinq mortalités d’en envoyer une au service d’équarrissage pour savoir s’ils sont porteurs de la tremblante », explique Yves Roullaud, référent équarrissage naturel à la LPO de l’Aude.
40 % de la CVO équarrissage
« C’est un investissement de départ qui pourrait coûter environ 1 500 euros pour l’installation d’une placette, et que les éleveurs peuvent faire à plusieurs, mais comme nous avons des financements pour la protection des espèces, certains ne paient pas cette somme ». Les éleveurs autorisés à déposer leurs mortalités sur les placettes à vautours payeront seulement 40 % de la contribution volontaire obligatoire (CVO).
« Nous voulions réinstaller des élevages dans le village »
« La municipalité avait très envie de réinstaller des élevages dans le village, témoigne Jonathan Oakes, maire du village de Paziols-des-Corbières (Aude). Lorsque David Bertelli nous a écrit, nous avons répondu tout de suite, puis nous l’avons reçu à plusieurs élus. Nous avons été séduits par son ambition limitée pour le troupeau, et parce que c’était quelqu’un de sérieux avec de l’expérience en gestion. » La municipalité n’a pas du tout hésité et l’a beaucoup accompagné pour le travail de recensement des propriétaires des terres.
Limiter les risques d’incendies
« Il était également important pour nous qu’il rencontre les vignerons et les chasseurs et qu’il y ait une bonne entente. Les chasseurs sont les premiers occupant de la garrigue, de bonnes relations sont indispensables. Il y a eu tout de suite un bon échange, d’ailleurs David vient de passer son permis de chasse. Ça ne pouvait pas mieux se passer. Par ailleurs, avec la déprise agricole que l’on connaît depuis vingt ans et la sécheresse, nous sommes de plus en plus exposés au risque d’incendies. Plus la végétation est entretenue basse, plus on limite les risques incendies. »