Météo - Emmanuel Buisson de Weather Measures : « vers un été un peu plus chaud que la normale avec une grande instabilité »
La pluie est revenue mais suffira-t-elle à éloigner le spectre d’une sécheresse ou d’une canicule pour 2020. Comment se présente la situation pour l’agriculture française en 2020 ? Le point avec Emmanuel Buisson, expert en météorologie de précision chez Weather Measures.
La pluie est revenue mais suffira-t-elle à éloigner le spectre d’une sécheresse ou d’une canicule pour 2020. Comment se présente la situation pour l’agriculture française en 2020 ? Le point avec Emmanuel Buisson, expert en météorologie de précision chez Weather Measures.
Comment se présente la situation agrométéorologique pour l’agriculture en 2020 ? Peut-on craindre une sécheresse ?
E. Buisson - Vous m’auriez interrogé il y a 15 jours, je n’aurais pas eu le même discours. Les 10 derniers jours vont changer la donne. Il y a une très grande hétérogénéité de l’état de sécheresse en France. Il y a des régions qui sont déficitaires, d’autres pas. Météo France n’a pas levé son avis pour les régions Nord-Est et Centre-Est. Il faut attendre la fin du mois de juin pour savoir si les niveaux ont remonté un peu et poser un diagnostic. Tout dépend de la quantité d’eau qui va tomber et du rechargement des nappes phréatiques. La situation n’est pas critique mais elle est alarmante. D’août 2018 à octobre-novembre 2019, un bon quart nord-est, du Massif Central à l’Alsace, en passant par la Bourgogne, a subi de plein fouet une sécheresse longue et durable. A partir de la fin octobre, novembre-décembre, il y a eu de l’eau mais pas dans cette partie de la France. Dans une grosse partie sud - Sud-Ouest, façade Atlantique, pourtour méditerranéen - il n’y a pas de problème pour les nappes phréatiques. Dans le quart nord-est, en revanche, la situation est encore déficitaire et s’il n’y avait pas eu de pluie en mai, cela aurait été catastrophique.
Heureusement qu’il y a cette "goutte froide" qui tourne depuis 10 jours. Même s’il y a des gens qui râlent parce qu’il ne fait pas beau, c’est un vrai bonheur pour les régions Centre-Est et Est. Ce qu’il faut c’est de la pluie nette, qui reste dans les premiers mètres du sol. C’est mieux que la pluie résiduelle qui s’en va dans les cours d’eau.
Peut-on craindre une canicule ?
E. Buisson - Nous connaissons le 11 ou 12e mois consécutif le plus chaud des 30 dernières années de référence de Météo France, c’est-à-dire 1980 à 2010. Chaque mois, on regarde les moyennes mensuelles et ce phénomène observé sur une si longue durée, c’est la première fois. Et ces températures en augmentation ont aussi été constatées en 2018 et 2019. Nous avons connu un gros coup de froid fin mars début avril mais l’hiver a été plutôt doux sur l’ensemble du pays. Il n’y a qu’à observer la récolte de miel, exceptionnelle cette année. Ce n’est pas en raison du confinement, comme on l’entend, mais en raison de l’hiver très doux. Pas de mortalité hivernale chez les abeilles, une végétation qui a repris très tôt, l’explication est là. En avril-mai, chaleur et pluie ont aussi entraîné des attaques de pucerons et des maladies, notamment le mildiou sur la vigne dans le Sud-Ouest.
Les prévisions saisonnières, sur 4 à 6 mois, affichent en général deux tendances : celles données par un modèle américain et celles données par un modèle européen. Pour cet été, l’un parlait de canicule-sécheresse, l’autre d’un été chaud. Début juin, les deux modèles se sont alignés sur le même scénario. Ils sont d’accord pour dire que l’été va être plutôt chaud, un peu au-dessus de la normale (basée sur les années 1980-2010), mais avec une très grande instabilité. Nous devrions connaître un temps chaud et orageux.
L’effet caniculaire est moins présent mais le scénario est celui d’un été marqué par différents orages, notamment dans les régions connues pour être statistiquement des couloirs à grêle. Il y a potentiellement une très grande instabilité autour des Pyrénées, dans le Sud-Ouest, le Massif Central, le Nord-Est. Il y a un front orageux qui traverse le pays et à cela s’ajoutent des convections locales, montagneuses notamment, qui peuvent provoquer des situations très orageuses et parfois des épisodes violents. C’est ce temps chaud et instable qui est prévu pour juillet. Ensuite, les prévisions tablent sur un mois d’août assez classique, avec peu de précipitations.
Peut-on se projeter au-delà de trois mois ?
E. Buisson - Il y a les prévisions météorologiques qui permettent de se projeter sur une période de 10-15 jours. Ces prévisions sont établies à partir notamment des données fournies par les satellites. Sur 4 – 5 jours, la fiabilité est bonne, ensuite ce sont des tendances.
Les projections météorologiques jusqu’à 6 mois ne sont pas précises. A 60 % de fiabilité, on est plutôt contents. Une des manières de juger de la probabilité d’un scénario est de modifier ses conditions initiales. Si en changeant différents paramètres d’entrée, on aboutit aux mêmes prévisions, cela augmente la fiabilité de la probabilité.
Les modèles de prévisions saisonnières sont basés sur des réponses lentes du système atmosphère – océans. La météo générée au quotidien est basée sur l’action-réaction entre ces deux éléments. Les informations analysées par les modèles sont la température de l’eau des océans, les précipitations, le positionnement des anticyclones et celui des grosses masses d’air. Les modèles calculent les anomalies de l’océan et des masses d’air. Récemment, par exemple, il s’est passé quelque chose dans l’Atlantique nord qui a donné la "goutte froide" que nous connaissons actuellement.
Il y a également des études de climatologie qui étudient les évolutions sur quelques années, voire quelques décennies. Et Il y a les projections climatiques, qui analysent le climat du passé, généralement sur plusieurs siècles, pour prévoir les grandes tendances de l’avenir. C’est ce que fait le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui dégage des tendances à horizon 2030, 2050.
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