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Nouveaux circuits commerciaux : les fromagers fermiers ont innové avec le Covid-19

Les fromagers fermiers ont rapidement dû se réorganiser pour faire face aux perturbations du Covid-19 et à la fermeture des marchés. Avec beaucoup d’inventivité et de débrouillardise, ils ont trouvé des solutions pour reporter du lait et trouver de nouveaux circuits commerciaux.

Lundi 23 mars, en réaction à des images d’attroupements dans certains marchés de grandes villes, le Premier ministre Édouard Philippe annonçait la fermeture des 10 000 marchés couverts et de plein air de France. Des dérogations ont pu être demandées par les maires et être accordées par les préfets. Mais peu de marchés ont été ouverts au début et les fromagers fermiers vendant sur les marchés ont vite dû se réorganiser.

« Ça a été difficile financièrement et moralement pendant les deux semaines où mes deux marchés ont été fermés », explique Anita Corbillon, fromagère et éleveuse d’une trentaine de chèvres dans la Sarthe. Elle a cru devoir jeter ses fromages, faute de clients. Mais depuis que les marchés ont rouvert, Anita manque maintenant de fromages. « Le marché du jeudi est d’habitude surtout fréquenté par les retraités. Maintenant, le jeudi matin, les gens ne sont plus au travail et ils viennent davantage faire leur course localement. »

Nombreux s’étaient élevés contre cette mesure arbitraire. À l’image des fédérations des éleveurs de chèvres, des fromagers ou celle des marchés de France qui ont œuvré pour assouplir cette interdiction grâce à l’édition d’un guide méthodologique d’ouverture des marchés. D’autres se sont interrogés sur le choix fait de privilégier la grande distribution. « Le risque de transmission du virus est bien plus important au supermarché qu’au marché », alertaient le docteur François Olivennes et le chef Bruno Verjus fin mars dans une tribune publiée dans Le Monde. « Les clients peuvent se croiser, être proches les uns des autres, toucher et reposer des produits, prendre un chariot qui vient tout juste d’être manipulé par un autre », listait le sénateur de la Loire Jean-Claude Tissot. Sans compter les personnes qui n’ont pas d’autre accès alimentaire près de chez elles, ni de moyen de déplacement.

Livraisons à domicile, points de collecte, drive fermier, précommande, cartes…

Début avril, un tiers des marchés avaient rouvert grâce à des dérogations accordées par les préfectures ayant jugé suffisantes les mesures de distanciation, ainsi que le respect des gestes barrières comme l’espacement des étals, la matérialisation des distances dans les files d’attente ou la limitation de la capacité du marché. Le 12 avril, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume appelait les maires et les préfets à favoriser la réouverture des marchés alimentaires quand les mesures de sécurité sanitaires sont respectées.

Avec la fermeture des marchés, certains circuits de vente directe ont été confortés. En ces temps confinés, un nombre important de consommateurs ont continué à s’approvisionner en produits fermiers de qualité et de saison. « Pour les Français, avoir recours aux producteurs locaux, c’est aussi montrer son attachement et son soutien à celles et ceux qui partout favorisent la richesse des territoires », explique Sylvie Pellegrin, présidente nationale du réseau Gîtes de France.

Une dizaine de jours de flottement avant de se réorganiser

Comme pour les drives des supermarchés, les drives fermiers ont connu une explosion de la demande. En plus des 85 points de retrait et 45 drives « Bienvenue à la ferme » existants, une vingtaine de nouveaux points de collecte a été créée par les chambres d’agriculture le temps du confinement. Près de 2 000 Amap ou les 400 magasins de producteurs ont connu une hausse des commandes. En Mayenne, Emmanuel et Sophie Hardy ont vu les demandes des magasins de vente de produits fermiers et les dépôts de proximité progresser fortement. « Je suis passé de 30 à 100 commandes par semaine, explique-t-il dans Ouest-France. C’est la même tendance dans nos dépôts à la Biocoop ou au U Express ». Bien sûr, chacune de ces structures a dû s’organiser pour limiter les risques de propagation du virus.

Dans les Bouches-du-Rhône, les éleveurs ovins, bovins et caprins ont décidé d’aller au-devant des consommateurs qui n’osaient pas sortir de chez eux. Ils ont créé la page Facebook les éleveurs du 13 d’abord pour proposer des points de retraits puis pour montrer où trouver fromages et viandes d’agneaux, de toros et de chevreaux. « Il y a eu une dizaine de jours de flottement avec la mise en place du confinement, reconnaît Audrey Seigner, l’animatrice du syndicat caprin. Maintenant, je n’en connais plus qui ont des difficultés pour vendre ». Le bouche-à-oreille et le regroupement avec des voisins ont aussi permis de faire découvrir ces producteurs à de nouveaux clients.

Commandes téléphoniques et paiement par chèque ou virement

Ceux qui n’étaient pas dans des structures collectives ont dû improviser. En Bretagne, la chèvrerie Kerlébik a proposé de commander les fromages avant 14 h et venir les récupérer entre 16 h et 18 h. Pour éviter de manipuler de la monnaie, le paiement par chèque (en venant avec son stylo) ou par virement a été privilégié. Pour simplifier l’achat, les fromagers ont proposé des assortiments à 10, 15 ou 20 euros. Un dépôt chez une ferme voisine proposant des légumes a aussi été mis en place. Même topo à la ferme du Bregalon où l’on s’est vite organisé avec créativité. Pour respecter les gestes barrières, la vente s’est faite à l’extérieur et les vendeurs portaient masques et gants. Des petites chèvres en bois indiquaient les distances à respecter tous les 1,50 m. Faute de temps des chevriers, les clients étaient invités à commander par mail plutôt que par téléphone.

En Seine-Maritime, Stéphanie Decayeux s’est essayée à la livraison de fromages après commande par SMS. Après une première tournée et des retours positifs de ses clients, elle pense pérenniser le dispositif. En Indre-et-Loire, Thibaut Gourinel a multiplié les livraisons à domicile et s’est fait connaître par le bouche-à-oreille, mais aussi sur Facebook et par le réseau La Ruche qui dit Oui. Et en cette période de confinement, l’éleveur peut également compter sur la solidarité de la filière agricole. « On a des copains éleveurs de vaches qui proposent nos fromages de chèvre à toute leur clientèle, en plus de leur colis de viande », se réjouissait-il sur France 3.

Promotions en Lozère et dons de fromages

En Lozère, la fromagerie des Cévennes s’est allié avec trois autres fromageries locales ont joué la carte régionale en contactant les magasins de proximité pour leur rappeler l’importance de promouvoir les fromages de Lozère. Des appels qui ont fait écho chez un grossiste et un Super U de Mende qui ont accepté de réduire leurs marges pour sauver les emplois locaux. Des promotions allant jusqu’à 30 % du prix ont également été mises en place avec le slogan « confinés mais gourmands, nos fromages de Lozère c’est maintenant ! »

Les dons aux associations ont aussi permis de désengorger les fromageries. « Nous continuons à donner des chèvres frais au Restos du Cœur, explique Jean-Philippe Bonnefoy, producteur fermier en Saône-et-Loire. Cette solidarité est importante pour nous car notre ferme avait brûlé en 2015. Nous avions bénéficié de nombreux soutiens à cette époque et c’est normal d’aider à notre tour ». Pour Anthony Paris de la ferme de Maillebois dans le Loiret, « en donnant 400 fromages fin mars au Restos du Cœur, nous avons pu contribuer à notre manière à l’aide alimentaire mais également faire de la place dans nos salles d’affinage ».

Un retour durable aux circuits courts ou un feu de paille ?

Dans le Morbihan, Emmanuel et Cathy Dousselin ont aussi préféré donner plutôt que jeter. Mais les dons ont été orientés vers leurs quatre salariés et vers les salariés des magasins qu’ils livrent habituellement. « Nous le faisons sans arrière-pensée et n’avons aucune attente en retour, expliquent-ils sur Actu Bretagne. Nous accompagnons ces dons d’un petit mot expliquant notre démarche ». 300 kg de fromages, de la raclette notamment, ont été distribués à environ 1 000 salariés.

Tout n’est cependant pas gagné pour les producteurs fermiers. Tous les fromages n’ont pas été écoulés. Beaucoup pointent le surplus de travail imposé par la gestion et la préparation des commandes ou la livraison. Ceux qui vendent en zones touristiques s’interrogent sur la fréquentation et la consommation estivale. Quid aussi de la consommation demain si l’activité économique ralentit. Le retour aux circuits courts sera-t-il un feu de paille ou une vraie tendance du monde d’après ?

Les producteurs locaux à la carte

À l’image de la plateforme OuTrouverMonFromageDeChevre.fr créée par l’Anicap (voir ici), de nombreuses initiatives ont vu le jour pour faciliter l’approvisionnement de proximité. En région tout d’abord avec des plateformes comme produits-frais-locaux-centre-valdeloire.fr, solidarite-occitanie-alimentation.fr, circuitscourtsnouvelleaquitaine.gogocarto.fr ou produits-locaux-nouvelle-aquitaine.fr. MiiMOSA a créé une plateforme alimentationcitoyenne.fr et le Crédit Agricole a aussi lancé Loop (loop-market.fr) pour soutenir les producteurs français. Ouverte depuis le 16 avril, cette marketplace directe gratuite qui met en relation directe les producteurs et leurs clients.

Avis d’éleveur : Jean-Philippe Bonnefoy, producteur fermier en Saône-et-Loire

« Livraisons, masques et supérette »

« Nos enfants nous ont aidés à bidouiller un site internet pour pouvoir contacter nos clients et organiser des tournées de livraison. Une cousine nous aide aussi à faire le relais. Les livraisons demandent pas mal de temps pour préparer les commandes et c’est moins convivial d’être devant sa feuille Excel que de discuter avec le client. Cela nous dépanne cependant bien et chacun des deux points de livraison représente environ les deux tiers du chiffre d’affaires d’un marché. La solidarité familiale est bien activée puisqu’une sœur de Valérie nous a cousu des masques en tissu pour la vente directe. Ces masques ne sont pas une obligation mais une recommandation de plus en plus pressante. Certains clients qui viennent à la ferme demandent qu’on en mette. Nous avons aussi une supérette locale, de l’enseigne Bi1, qui fait l’effort de mettre en avant les produits locaux et qui a augmenté sa commande par rapport à d’habitude. »

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