« De la luzerne pour gagner en autonomie protéique sur notre élevage caprin »
Dans la Vienne, la jeune génération prend progressivement le relais à l’EARL de La Brissonnerie et fourmille d’idées pour faire encore progresser l’élevage créé par leurs parents en 2019.
Dans la Vienne, la jeune génération prend progressivement le relais à l’EARL de La Brissonnerie et fourmille d’idées pour faire encore progresser l’élevage créé par leurs parents en 2019.
À l’EARL de La Brissonnerie, à Bournand dans la Vienne, Dominique et Béatrice Germain s’apprêtent à passer progressivement la main à deux de leurs trois fils. Béatrice prendra sa retraite à la fin de l’année, tandis que Dominique vise fin 2026. Alexandre, 32 ans, est installé avec eux depuis presque 10 ans. Henri, 24 ans, est salarié de la structure depuis 5 ans et devrait s’associer début 2027. Leur fils aîné est lui salarié d’une exploitation céréalière à proximité. Les comptes courants d’associés sont à jour et les aspects juridiques et financiers ont été bien anticipés. Le statut EARL actuel sera peut-être amené à évoluer avec l’arrivée d’Henri dans trois ans.
Il a fallu beaucoup de patience et de ténacité au couple pour parvenir à construire l’élevage tel qu’il est aujourd’hui. En 1999, après une première vie professionnelle en tant que salariés, ils ont débuté avec 7 ha et 40 chevrettes, en ration paille-concentrés. En 2014, à l’installation d’Alexandre, l’élevage comptait 250 chèvres et 77 ha. « Il y a un vrai enjeu autour des surfaces pour produire des fourrages, souligne Alexandre Germain. Autour du siège de l’exploitation, les terres sont très bonnes, mais chères, entre 7 000 et 8 000 €/ha et les opportunités sont rares. C’est pour cela qu’une partie du parcellaire est très éloignée, à une vingtaine de kilomètres, vers Chinon. Ce sont des petites terres, sableuses, mais plus abordables, autour de 1 500 €/ha. » Sur les quatre dernières années, 42 ha à proximité ont été repris, et pour l’instant, la famille conserve les prairies permanentes plus éloignées qui demandent peu de frais. À moyen terme, il faudra réfléchir à l’adéquation coût-travail-revenu sur ces surfaces.
De la luzerne produite et achetée sur pied
Aujourd’hui, la famille Germain élève 500 chèvres sur 185 ha de SAU. 40 ha sont des prairies permanentes dans le parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine conduites sans intrants et sous contrat MAEC, une coupe de foin y est récoltée par an. 25 ha sont cultivés en luzerne, (dont 10 ha implantés cette année), 27 ha en orge (50-55 quintaux/ha en 2023), 9 ha en blé (66 q/ha) et 53 ha en tournesol. 31 ha sont en prairies temporaires, en fétuque pure ou en mélange avec du trèfle blanc. « Les prairies sont sur des petites terres, assez distantes et nous y réalisons une coupe de foin. » Les prairies permanentes ont produit 4,5 t de matière brute par hectare cette année et les prairies temporaires 5,5 t de MB/ha. L’orge est autoconsommée, le blé et le tournesol vendus. La famille Germain a arrêté le maïs grain l’année dernière, déçue par les rendements des deux campagnes précédentes.
Les fourrages de luzerne, à 17 % de MAT en moyenne, sont récoltés en trois, voire quatre coupes. La première en enrubanné, avec un rendement de 6 t/ha en matière brute, les deuxième et troisième coupes en foin et la quatrième, s’il y en a une, en enrubanné.
Aller vers plus d’autonomie alimentaire et notamment protéique est un des objectifs d’Alexandre Germain et de ses parents. Il y a trois ans, la luzerne a été introduite dans les rotations et la ration. 25 ha y sont donc aujourd’hui consacrés pour l’alimentation des chèvres, auxquels s’ajoutent des achats auprès de voisins. « Avec l’interdiction de traiter à proximité des maisons, plusieurs voisins céréaliers ont décidé d’implanter de la luzerne sur leurs parcelles proches des habitations. Une ressource potentielle pour nous éleveurs. »
Pour pallier le manque de fourrages en 2022, 8 ha de méteil ont été cultivés en dérobée l’hiver dernier, derrière un blé. 181 t d’enrubanné avoine-vesce ont ainsi été récoltées, soit un rendement de 22 t de matière brute par hectare. Les résultats d’analyse de ce fourrage sont en attente, mais c’est une piste intéressante en cas de ressource fourragère en tension.
47 €/ha de charges sur les surfaces fourragères
« Nous arrivons à produire les fourrages avec assez peu d’intrants : 47 €/ha de charges sur les surfaces fourragères. Nous épandons 700 t de fumier chèvres et chevrettes chaque année. À partir de 2024, nous allons revoir notre plan d’épandage. Nous avons conclu un contrat avec l’agglomération de Chinon pour l’épandage de boues chaulées de station d’épuration sur 40 ha de terres sableuses. Entre 5 et 10 t/ha seront apportées, la quantité est ajustée en fonction des résultats des analyses de sol. La chaux sera aussi bénéfique pour corriger l’acidité des terres, et nous ferons moins de kilomètres avec notre fumier. »
La ration au pic de lactation est composée de 750 g de chèvre laitière 21, 450 g d’orge, 250 g de maïs, 350 g de soja, distribué en salle de traite, 1 kg de luzerne enrubannée le midi et 2 kg de foin de luzerne, en deux distributions, matin et soir. « Avec la luzerne, nous voulons diminuer les quantités de concentré distribuées et réfléchissons à intégrer un peu de tournesol dans la ration pour apporter de la matière grasse et soutenir le taux butyreux, en été notamment. »
50 000 euros ont été investis dans un distributeur automatique sur rails l’année dernière. « La distribution est plus précise, nous avons économisé du concentré depuis son installation et cela soulage les épaules ! apprécie le jeune éleveur. Je l’étalonne à chaque livraison et tous les 15 jours à 3 semaines. Il peut contenir cinq aliments différents. » Les concentrés sont distribués en six repas par jour, dont deux en salle de traite.
120 chevreaux engraissés
Les chèvres, saisonnées et en saillies naturelles, produisent en moyenne 860 litres par lactation. Les boucs sont issus d’insémination artificielle, achetés auprès du même élevage d’une année sur l’autre. Les mises-bas ont lieu en général autour du 15 février pour les chèvres et un mois plus tard pour les chevrettes. Entre 100 et 120 chevreaux sont engraissés chaque année avec le colostrum. « Nous avons une capacité de stockage de 2 000 litres, c’est suffisant. Et les prix du chevreau payé par l’abattoir cette année étaient meilleurs que les trois années précédentes, permettant de financer environ les deux tiers de la poudre des chevrettes de renouvellement. » Ces dernières sont logées dans une extension construite l’hiver dernier, quatre travées ont été ajoutées à la structure existante et une nurserie aménagée sur deux travées. Les chevrettes pourront sortir l’année prochaine, les portes sont prévues et une parcelle proche vient d’être entourée de haie. L’objectif est d’anticiper une potentielle évolution du cahier des charges de l’AOP sainte-maure de Touraine.
Les bâtiments de 2005 et 2014 sont en bon état. L’inconvénient de la configuration actuelle est que les 500 chèvres sont réparties dans deux chèvreries, les 120 primipares, d’un côté, et les 400 multipares, de l’autre. Alexandre fourmille d’idées et se pose beaucoup de questions : rallonger le bâtiment le plus récent pour y loger toutes les chèvres ou réduire le cheptel avec le passage de trois à deux associés dans trois ans ? « À mon installation, il y a 10 ans, je ne nous voyais pas avec autant de chèvres. Nous avons augmenté d’une centaine de chèvres environ pour pouvoir dégager un salaire supplémentaire. » Le jeune éleveur aimerait également créer un atelier vaches allaitantes pour valoriser les refus et les prairies naturelles. Il a aussi en tête plusieurs aménagements pour le confort des chèvres et celui des éleveurs : isolation de la toiture, brasseurs d’air, révision de la distribution de l’eau en enterrant les tuyaux ou encore bétonner les aires paillées…
Autre changement de taille en cours, un hangar de 1 800 m² en bail à construction avec un opérateur d’énergie photovoltaïque sortira de terre dans quelques semaines. Il permettra de mettre à l’abri fourrages, céréales et matériels dès l’hiver prochain.
« S’investir à l’extérieur pour progresser et être acteur »
« À quatre sur l’exploitation, je peux libérer du temps pour m’investir dans des responsabilités et aller chercher des nouvelles idées à l’extérieur. C’est important pour moi pour comprendre notre environnement et être acteur. Je suis conseiller municipal et membre du bureau de l’OP des producteurs livrant à la laiterie Cloche d’or (Rians aujourd’hui). Membre du groupe Inosys-Réseaux d’élevage de la Vienne depuis 2019, j’apprécie les échanges entre éleveurs sur nos coûts de production, la mise en avant des marges de progrès de chacun et le partage des essais. Nous nous réunissons entre éleveurs du département et participons à la restitution régionale. J’adhère aussi à l’association pour le développement de l’élevage caprin (Adec) de la Vienne. Ce groupe est plus technique avec trois à quatre sessions de formation annuelles. Cette année, nous avons abordé la certification HVE, le diagnostic Cap2ER, l’adaptation des bâtiments et cultures au changement climatique. L’année dernière, nous avions organisé un voyage d’étude en Italie. »
Alizée Breton, conseillère caprin à la chambre d’agriculture de la Vienne
De bons résultats économiques malgré une dépendance aux achats
« Avec un troupeau qui fonctionne bien et des terres hétérogènes, un des enjeux pour l’EARL de La Brissonnerie est d’acquérir une plus grande autonomie alimentaire, notamment grâce à des fourrages plus riches en MAT. L’objectif serait alors de réduire la quantité de concentré distribuée, à 900 g/l de lait produit aujourd’hui. Cela demande, et c’est valable pour tous les éleveurs, de prendre confiance en ses fourrages pour diminuer la quantité de concentré sans diminuer la quantité de lait produite.
L’inflation de 2021 et 2022 a assez peu impacté l’atelier culture, économe en intrants. Les résultats de l’atelier caprin ont été modérément touchés malgré sa dépendance aux achats. »
Réduire la part d’aliment acheté
1 424 personnes nourries par an, 195 kg équivalent CO2 stockés par hectare de SAU et des émissions nettes à 1,65 kg eq CO2/l de lait corrigé : le diagnostic Cap2ER niveau 2 réalisé au printemps à l’EARL de La Brissonnerie a mis en avant plusieurs pistes de réduction de l’empreinte carbone de l’élevage. Si les 8 km de haies pèsent positivement dans la balance, le stockage en bout de champ des effluents pourrait être géré différemment pour réduire les pertes d’azote. Autre piste à travailler, la diminution des achats d’aliments via le développement de la production fourragère et l’autonomie alimentaire. Sujets sur lesquels les éleveurs travaillent déjà. Faire plus de couverts intermédiaires est un autre levier à explorer. « Encore peu de diagnostics ont été réalisés en élevage caprin, souligne Alizée Breton, il est difficile de se comparer à une moyenne. Mais au-delà des chiffres, c’est la démarche et les leviers d’action mis en œuvre qui importent. »