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Changement climatique : la sélection variétale a un rôle à jouer

La recherche explore la variabilité génétique des fourragères pour répondre aux enjeux de demain face aux changements climatiques. Pour l’heure, des marges de progrès subsistent au sein des espèces connues.

Les sécheresses plus importantes et plus fréquentes impactent la production fourragère. Le manque d’eau entraîne une réduction de la production estivale et, de la mortalité. La disparition par endroits de la flore, influence la reprise automnale et oblige le ressemis, même en prairies naturelles. Face à ce constat, différentes stratégies complémentaires peuvent se mettre en place. À savoir : l’amélioration des espèces pour leurs adaptations aux sécheresses et pour leurs comportements en mélanges.

Améliorer les espèces pour leurs adaptations aux sécheresses

Face à un niveau de stress plus ou moins important, les plantes mettent en place différentes stratégies : maintenir la production pour assurer une production fourragère même en condition de stress hydrique (résistance à la sécheresse) ou la mettre à l’arrêt pour repartir une fois des conditions plus favorables revenues (tolérance à la sécheresse). « En climat tempéré, on cible le maintien de la production avec une disponibilité en eau moindre. Toutefois, en cas de sécheresse sévère, ces variétés peuvent mourir. Il faut donc faire un choix. En Normandie Bretagne, on va privilégier les variétés qui poussent l’été tout en maximisant l’efficience d’utilisation de la ressource en eau. À l’inverse, dans le Sud ou encore dans le Massif central, ces variétés ne vont pas forcément survivre. On a donc besoin de créations variétales différentes. Il est ainsi nécessaire de trouver un équilibre entre niveau de sécheresse et stratégie adaptative des variétés. Tout l’enjeu est là ! Il est en effet difficile aujourd’hui de prévoir le climat futur pour adapter le type de variété à implanter : résistante ou tolérante », explique Philippe Barre de l’Inrae.

Explorer toute la variabilité génétique

À l’Inrae, une étude sur le dactyle et la fétuque élevée estime que si le déficit hydrique entre mai et septembre (somme des précipitations – évapotranspiration) est inférieur à 500 mm, on se situe dans un « type climat tempéré ». Il est alors possible d’opter pour des variétés résistantes. Pour un déficit supérieur à 500 mm, on est dans un « type climat méditerranéen ». Il est donc préférable d’envisager des variétés tolérantes. Cette caractérisation, pourrait être réalisée pour chaque espèce fourragère afin d’aider au choix des variétés selon les conditions climatiques.

« La sélection continue sur toutes les grandes espèces (ray-grass, dactyle, fétuque élevée, trèfle blanc, trèfle violet, luzerne). Les variétés actuellement disponibles sont produites essentiellement à partir d’un petit noyau de diversité de climat tempéré. La variabilité génétique est encore loin d’être totalement exploitée », souligne Philippe Barre. En dactyle par exemple, un gros travail a été enclenché pour créer du matériel tolérant à une sécheresse sévère, déficit supérieur à 500 mm d’eau, et ce, à partir de croisement de matériel élite (tempéré) et de matériel sauvage des pays du Maghreb.

Produire avec moins malgré les aléas, l’intérêt des mélanges

En plus des aléas liés aux évolutions du climat, les agriculteurs vont être amenés à produire avec moins d’intrants (engrais minéral, herbicide…), d’où la nécessité d’aller chercher de la diversité dans les systèmes fourragers. L’utilisation de mélanges fourragers apparaît comme une solution. L’AFPF (association française pour la production fourragère) propose des règles d’assemblages d’espèces. Or aujourd’hui, il est encore compliqué d’associer telles ou telles variétés pour que les différents constituants survivent. Le choix des variétés dépend également beaucoup des pratiques culturales, des conditions pédoclimatiques actuelles et futures, du risque acceptable de devoir ressemer, du mode de production. « C’est pourquoi, tout un pan de la recherche se penche sur le sujet et regarde comment associer les variétés et les améliorer pour une production optimisée en mélanges. Plusieurs études sont en cours dont une, avec Jouffray-Drillaud, dans laquelle sept espèces ont été semées avec pour chacune différents niveaux de variétés. On a constaté un meilleur maintien des espèces avec une diversité intraspécifique élevée. On se penche sur la diversité de départ à semer pour un bon fonctionnement du mélange. On regarde la génétique et l’écophysiologie (étude de l’impact de l’environnement sur la plante). À l’heure actuelle, les variétés sont évaluées en pur. Or, ce choix ne présage pas complètement du résultat en mélanges, d’où l’intérêt de sélectionner pour les mélanges. »

Un contournement des risques préféré

Le réchauffement climatique influence-t-il déjà le marché des semences fourragères ? « Bien que cette préoccupation soit de plus en plus prégnante dans les discours, en termes d’évolution des actes d’achat de semences des espèces les mieux adaptées à la sécheresse, on a peu mesuré de changement global. Ce constat est toutefois à relativiser car les fourragères sont des espèces d’implantation longue durée », note Julien Bouffartigue, secrétaire général de l’Interprofession des semences et des plants (Gnis). À l’inverse, les ventes d’espèces s’implantant plus tardivement à l’automne (méteils), tout comme les parts de marché des variétés au départ en végétation précoce au sein des deux principales espèces fourragères (ray-grass anglais et trèfle violet) traduisent une volonté de maximiser la production quand les conditions sont encore favorables, au début du printemps où en automne.

« Globalement, le marché traduit une préférence des éleveurs pour une stratégie d’évitement des risques induits par le réchauffement climatique, plutôt qu’à une adaptation directe. Les éleveurs préfèrent en effet assurer une production maximale pendant les périodes optimales que pendant les périodes sèches. Ils se portent ainsi plus sur une stratégie de réalisation de stock fourrager. »

Pour en savoir plus

Les utilisateurs ont à leur disposition les données présentées par le site herbe-book.org. Ils y trouvent l’ensemble des variétés des principales espèces fourragères inscrites au Catalogue français des espèces et variétés après 2000. Chaque variété y est notée pour différents critères (rendement, souplesse d’exploitation, résistances aux maladies, valeur alimentaire…), ce qui permet de comparer les variétés, y compris celles qui n’ont pas été testées la même année. Les notes de départ subissent un traitement statistique pour les rendre comparables entre elles.

Les semenciers explorent les problématiques climatiques

Chez les semenciers, les travaux de sélection intègrent cette nécessaire adaptation aux évolutions du climat. Ceci se fait notamment à travers une évolution de caractéristiques comme la précocité ou la remontaison.

Mélanges, précocité de nombreux axes de travail

Jouffray Drillaud développe des variétés démarrant plus précocement au printemps et plus productives, pour sécuriser les stocks fourragers plus tôt dans la saison, avant l’arrivée des sécheresses, printanière et estivale. « Attention, toutefois à ne pas se heurter à des printemps froids tardifs. On propose par exemple une large gamme de précocité pour les ray-grass anglais, notamment avec des ressources océaniques démarrant plus précocement. En dactyle et fétuque élevée, on aborde l’amélioration de la valeur alimentaire et en ce qui concerne la luzerne, on sélectionne des types moins dormants permettant de sécuriser la production au printemps et d’augmenter le nombre de coupes. Il faut par contre être en capacité de valoriser ces variétés en allant chercher ces coupes supplémentaires qui peuvent coûter cher », précise Vincent Béguier, de Jouffray Drillaud

Pour l’instant, la recherche se focalise sur des variétés capables de produire en été. Mais pour l’avenir, l’entreprise va chercher, dans des pays chauds (Afrique du Nord), du matériel génétique apte à rentrer en dormance l’été, notamment sur des dactyles. « L’amélioration au stress estival s’effectue tout en visant la productivité, la qualité alimentaire et la résistance aux maladies, avec le risque de voir émerger de nouveaux pathogènes. Le matériel actuel reste toutefois pertinent », souligne Vincent Béguier.

Un gros travail est également effectué depuis plus de vingt ans sur la création de mélanges.

Une sélection accrue en dactyle et fétuque élevée

Chez Barenbrug, l’amélioration de la tolérance à la sécheresse représente un axe prioritaire de recherche. « On travaille avant tout sur les dactyles et fétuques élevées, deux espèces possédant déjà des caractères leur permettant de pousser en conditions sèches. On a investi, il y a quatre ans, dans un tunnel de sécheresse pour approfondir la sélection en pousse extrême, sur ces deux espèces. On les laisse un, deux, voire trois mois sans eau, afin de renforcer leur capacité à croître malgré ce manque et ce, tout en travaillant la faculté de la plante à faire autant de matière sèche », présente Stéphane Charrier de Barenbrug.

La stratégie de contournement de la période critique estivale par la plante représente un deuxième axe de travail. Les variétés qui répondent à ce comportement, produisent au printemps, rentrent en dormance l’été et repartent en végétation à l’automne pour produire parfois jusqu’à l’hiver. Elles sont aussi productives qu’une classique, à condition d’être exploitées tôt au printemps.

Teff Grass, une nouvelle graminée annuelle

La luzerne représente également une espèce sur laquelle l’entreprise se penche davantage et notamment, celle de type Sud (« méditerranéenne »). « Cette variété qui fait une pause plus courte en hiver, est de plus en plus cultivée au Nord de la Loire. Elle démarre plus tôt, est plus productive en été et peut offrir jusqu’à six coupes, dans de bonnes conditions. »

La société planche également sur le Brome qui peut être adapté au pâturage et sur d’autres espèces en production annuelle. Elle propose par ailleurs cette année de l’Eragrostis tef (famille des Teff grass), une graminée en C4, originaire d’Éthiopie et cultivée là-bas comme une céréale. « Sélectionnée comme fourragère sous nos climats tempérés, elle s’implante au printemps. Il est possible de faire 3 à 4 coupes avant l’hiver. C’est une plante qui produit pendant le trou fourrager. Elle s’utilise en foin ou en pâture. Son taux de protéines atteint les 20 %. Elle est plutôt appétente mais assez agressive. Il est donc difficile de l’associer à une légumineuse », indique Olivier Coutreau de Barenbrug.

Le réchauffement climatique, pas une problématique nouvelle

Chez RAGT-Semences, Marie-Christine Gras souligne que « l’adaptation au changement climatique n’est pas une problématique récente. On travaille depuis longtemps sur le sujet car le processus d’obtention variétale des fourragères est long (quinze ans environ). Aussi, les variétés qui sortent de notre sélection aujourd’hui sont les mieux armées contre le changement climatique car elles ont été sélectionnées dans cet environnement changeant. »

L’entreprise sélectionne toutes les espèces fourragères classiques (RGA, RGH, RGI, dactyle, fétuque élevée, trèfle violet, trèfle blanc, luzerne). « Nous cherchons à répondre à ce changement climatique par de la sélection à l’intérieur d’une espèce, mais il faut penser également à profiter d’autres espèces à notre disposition. Le ray-grass hybride par exemple peut apporter une vraie alternative au ray-grass anglais dans des zones devenant plus séchantes. Il offre une pérennité correcte et une bonne qualité de fourrage », estime Marie-Christine Gras.

Améliorer l’installation des prairies

Les sites de sélection de l’entreprise sont plutôt localisés dans des régions sèches. Les variétés découlant de ce travail sont ainsi capables de produire dans des conditions difficiles. Certaines espèces continuent à pousser dans des conditions devenant difficiles, alors que d’autres rentrent en dormance très vite mais ont une capacité de reprise très forte lorsque les conditions climatiques s’améliorent. « Ce sont deux critères essentiels que nous évaluons et cherchons à améliorer dans nos programmes de sélection. »

« Le changement climatique se traduit aussi par des créneaux de semis plus réduits au printemps comme à l’automne, nous travaillons à améliorer cette phase délicate d’installation de la prairie. »

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