Technique culturale
Savoir oublier la charrue
Pour passer du labour aux techniques de l’Agriculture de conservation des sols,
les éleveurs bénéficient d’atouts que les céréaliers n’ont pas, mais pour réussir il faut avoir la volonté de s’intéresser à nouveau à l’agronomie.
L’appellation Agriculture de conservation des sols regroupe de nombreux itinéraires techniques sous des termes génériques comme « techniques culturales simplifiées » (TCS) ou « Techniques culturales sans labour » (TCSL) dont le dénominateur commun est l’absence de travail intensif du sol (labour, travail profond…). Ces itinéraires se distinguent sur la profondeur de travail : les TCSL et TCS avec un travail profond, celles avec un travail superficiel et le semis direct. Les motivations d’adoption des TCSL sont diverses, mais selon une enquête régionale réalisée en 2008 par les chambres d’agriculture de Bretagne, auprès de 107 agriculteurs « l’organisation du travail est de loin la première motivation d’abandon du labour chez les exploitants en TCSL depuis moins de cinq ans. La recherche de gain de temps et de souplesse prédomine sur la réduction des charges de mécanisation et l’amélioration de l’approche agronomique. Par contre, au-delà de cinq ans d’expérience en TCSL, l’agronomie prend de plus en plus de place dans les motivations des exploitants. » Pour Konrad Schreiber, de l’association Base (Bretagne, Agriculture, Sol et Environnement), « les TCSL permettent aussi aux agriculteurs de répondre à la demande sociétale en termes d’environnement et d’économie. Plus le travail du sol est supprimé, plus les impacts sur l’environnement diminuent, plus le potentiel économique augmente. »
Observer ses cultures
Les conséquences aux niveaux agronomique et environnemental sont différentes d’une exploitation à l’autre et même d’une parcelle à l’autre et ne sont perceptibles qu’au bout de quelques années. « Le choix de l’itinéraire se fait donc en fonction de plusieurs critères : la rotation, le parc matériel présent sur l’exploitation, le type de sol (plus difficile en sol limoneux ou à très forte teneur en argile) mais aussi selon les objectifs de l’éleveur. Les règles de décision doivent être adaptées à chaque situation », explique Jérôme Labreuche, d’Arvalis-Institut du Végétal. Les premières années, l’abandon du labour n’entraîne pas forcément une simplification du travail. « On passe moins de temps sur son tracteur mais plus de temps à l’observation des cultures. Les opérations à réaliser ne peuvent être planifiées à l’avance. Il faut être réactif. Cette technique nécessite donc un gros effort de technicité et une bonne observation des parcelles. Il faut être pointu dans sa façon de gérer ses cultures, mais une fois les réflexes acquis on gagne alors du temps », observe Jérôme Labreuche. En nonlabour, il est possible par ailleurs de lisser les périodes de travail, en décalant les observations et certains travaux des champs sur les périodes creuses. Les causes les plus fréquentes d’échec en non-labour sont « le manque de technicité globale, le salissement des parcelles par des adventices difficiles à maîtriser, la qualité d’implantation des cultures suite à un encombrement du lit de semences par des débris végétaux, la structure du sol en raison des risques de compaction liée à une récolte réalisée dans des conditions humides », cite Jérôme Labreuche. Pour réussir vite et bien leur passage vers des pratiques plus vertueuses pour l’environnement, les éleveurs possèdent un avantage : la présence de prairies temporaires.
Prairies temporaires
Le système prairial favorise la dormance des graines d’adventices qui ne germeront plus tant que le sol reste couvert et non travaillé. La prairie améliore aussi la structure des sols et participe au maintien d’un bon niveau d’activité biologique. « Elle apporte ainsi une plus grande souplesse dans le calendrier d’épandage des effluents d’élevage. Reste à régler cependant le problème de l’odeur due au non enfouissement de ces effluents. L’idéal est donc d’assoler la prairie temporaire et d’implanter une prairie artificielle riche en légumineuses (luzerne), avec un sursemis d’hiver (méteil) pendant une phase de 3, 4 voire 5 ans. Cela permet une forte production d’ensilage au printemps et de protéines en été. Cette combinaison légumineuse-méteil peut être suivie d’une céréale d’automne (blé à semer fin septembre début octobre). Cette céréale nécessite peu de fertilisant, hormis de l’azote au printemps (40 kg N) pour un potentiel de 70 q/ha. Il est préférable de semer le maïs en dernier. Il bénéficie alors de plus de 6 ans de structuration biologique et la compaction ne sera à ce moment plus un problème. Après la récolte d’une céréale d’automne, il est impératif de semer un couvert végétal (CV) pour stocker l’eau et les nitrates et ne pas laisser un sol nu. Un déchaumage très peu profond (moins de 5 cm) est nécessaire si la paille est exportée de la parcelle et il faut semer simultanément le CV. Le choix du couvert est à adapter en fonction de chaque région. Par exemple, s’il fait sec, on peut implanter une crucifère (moutarde, radis…) », explique Konrad Schreiber. Attention toutefois aux risques de compaction, accrus par un trafic supplémentaire sur les parcelles des exploitations d’élevage (récolte de la paille, ensilages, épandage) qui « sont quand même gérables », conclut Jérôme Labreuche.
Définitions
■ Le labour correspond à un travail profond (20 à 30 cm) avec retournement du sol et mélange des horizons.
■ Le non-labour est le travail du sol sans retournement (sans labour) avec pour objectif l’abandon définitif de la charrue. Deux types de TCSL : les TCSL avec travail profond (15 à 30 cm de profondeur) et les TCSL avec travail superficiel (5 à 15 cm de profondeur).
■ Le semis direct ne travaille qu’une ligne de semis et nécessite un semoir spécialisé.
■Le semis direct sous couvert végétal (SCV) est une technique de semis direct qui garde les sols couverts en permanence. Le semis se réalise dans la végétation vivante ou morte ou dans le mulch de résidus de récolte couvrant le sol. Cette technique nécessite un semoir très spécialisé.
Impact du non labour : un bilan environnemental plutôt favorable
Conséquences sur le sol
■ Diminution de la porosité du sol. Les TCSL diminuent globalement la porosité du sol de 5 à 10 % dans les couches non travaillées, selon les études menées aux stations expérimentales de Kerguéhennec (56) et de Boigneville (91).
■ Davantage de matière organique. Contrairement au labour qui dilue la matière organique dans l’horizon travaillé, le non labour se traduit par un enrichissement en matière organique dans les couches superficielles. La faible perturbation du sol et la présence de résidus en surface créent des conditions favorables au développement de la biodiversité dans le sol (lombrics).
Impact sur l’environnement
■ Baisse des émissions des gaz à effet de serre (GES). Selon des essais d’Arvalis, le recours aux TCSL génère une diminution des émissions des GES et donc de CO2 par rapport au labour, grâce à une économie de carburant estimée entre 20 et 40 l/ha. Cette baisse s’élève à 11 % en travail superficiel et à 16 % en semis direct. Pour le méthane, il n’y a pas de différence. En revanche, une production supérieure de protoxyde d’azote (N2O) en non-labour après fertilisation azotée est constatée. L’augmentation de production de N2O (gaz 300 fois plus actif que le CO2 en termes d’effet de serre) ne suffit cependant pas à annihiler les économies faites sur la production de CO2.
Réduction de l’érosion des sols
■ L’érosion est fortement limitée par la présence des résidus en surface contribuant à la protection du sol et à la présence d’agrégats plus stables.
■ Pas de différence pour les nitrates. La percolation des nitrates en TCSL est du même ordre qu’en labour. Les quantités d’azote minéralisé ne diffèrent pas entre les deux techniques.
■ Phytosanitaires et phosphores, risque de fuite. Pratiquées sur le long terme, les TCSL réduisent le ruissellement de surface lié à la battance grâce à la présence de résidus en surface. Les transferts de résidus de produits phytosanitaires et de phosphore vers les eaux superficielles sont ainsi limités. Attention toutefois aux risques accrus de ruissellement par saturation en période hivernale, pouvant entraîner davantage de transferts de polluants.
Source : Guide pratique 2008, des Techniques Culturales Sans Labour. Chambres d’agriculture de Bretagne et Arvalis.