Boiteries : la maladie de Mortellaro n’épargne pas les troupeaux allaitants
Fréquente en élevages laitiers, la maladie de Mortellaro touche de plus en plus les troupeaux allaitants. S’il n’existe pas de protocole standard, une action méthodique et systématique en limite sa propagation.
Fréquente en élevages laitiers, la maladie de Mortellaro touche de plus en plus les troupeaux allaitants. S’il n’existe pas de protocole standard, une action méthodique et systématique en limite sa propagation.
La maladie de Mortellaro, aussi appelée dermatite digitale, est une maladie responsable de boiteries chez les bovins. Signalée pour la première fois en France dans les années 1980, elle touche désormais des élevages dans le monde entier. Elle représente l’une des principales causes infectieuses de boiteries dans les troupeaux bovins laitiers et est désormais recensée dans les cheptels allaitants. « Depuis que l’on a investi dans une cage de contention, il y a trois ans, on en voit de plus en plus. On en rencontre surtout sur des animaux adultes (vaches et jeunes bovins). Les éleveurs ne détectent pas toujours la maladie. En taurillons, cela peut être mis sur le dos de l’acidose. Il y a un gros travail à faire en matière de boiteries », note Guillaume Venisse, vétérinaire praticien. « Chiffres et études font défaut sur la situation dans les troupeaux allaitants. On suppose que la dermatite digitale est plus présente que ce que l’on pense en troupeaux naisseurs », ajoute Anne Relun, vétérinaire Oniris. Le pourcentage d’animaux atteints y est peut-être moindre mais la maladie pose de plus en plus de problèmes. « Une fois introduite dans un troupeau, elle provoque des épisodes récurrents de boiteries et peut difficilement être éradiquée, le mieux que l’on puisse faire, c’est la contrôler par des mesures curatives et préventives adaptées pour qu’elle reste à un niveau acceptable », souligne Marc Delacroix, vétérinaire de l’équipe de formation des pareurs bovins au CFPPA du Rheu en Ille-et-Vilaine. Cette maladie a des répercussions importantes, tant sur le bien-être des animaux concernés que sur la productivité des exploitations (diminution des performances zootechniques, surcharge de travail, coût de traitement).
Une détection précoce
Mortellaro est une maladie multifactorielle et sournoise. Elle se manifeste par des ulcérations superficielles et circonscrites de la peau digitée, rose-rouge à grise, situées le plus souvent sur les postérieurs, à la jonction entre la peau et la corne des onglons. Elle provoque généralement une boiterie, plus ou moins intense.
Le concours de plusieurs facteurs est nécessaire pour que la maladie se développe, à savoir, présence de bactéries spécifiques, tréponèmes, environnement humide favorisant la macération et microblessures de la peau au-dessus du sabot. Très contagieuse, elle se propage d’autant plus rapidement que toutes les conditions sont favorables. « En l’absence de vaccins, la prévention et le contrôle de la dermatite digitale doivent nécessairement reposer sur la mise en place de mesures spécifiques et adaptées à chaque élevage. La stratégie la plus efficace consiste à réduire les facteurs de risques et à traiter les animaux touchés. Dans ce cas, une détection et un traitement précoce des animaux atteints sont primordiaux. Une boiterie, même légère, reste une urgence ! Elle doit être gérée dans les 24 à 48 heures. Une intervention rapide et individuelle augmente les chances de guérison à moindre coût et limite la propagation de la maladie », explique Marc Delacroix.
Diagnostiquer donc lever le pied
« Le diagnostic repose sur l’inspection des pieds et la reconnaissance des lésions caractéristiques. Il est donc indispensable pour arrêter la flambée, de lever les pieds de ses animaux et d’être à même de réaliser un parage fonctionnel. Rappelons-le, l’éleveur est le premier infirmier de son troupeau, il doit savoir effectuer les actes de premiers soins pour intervenir tôt à condition d’avoir eu une formation minimale (3 jours) aux techniques de parage ou sinon faire appel à un professionnel (pareur, vétérinaire). » Pour empêcher les contaminations en élevages, le pareur se doit également d’arriver avec une tenue propre et du matériel lavé et désinfecté pour chaque exploitation. Il ne peut bien sûr pas le faire après chaque vache, dans un même troupeau.
Pour lever les pieds, il est essentiel d’être équipé. L’accès à un système de contention, opérationnel en dix minutes maximum pour une personne seule, représente la condition d’une intervention rapide et efficace. « Sinon, on ne le fait pas, prévient Marc Delacroix avant de préciser, des systèmes sécuritaires peuvent être facilement mis en place dans les élevages et ce, à moindre coût. »
L’aspect de la surface des lésions peut renseigner sur leur ancienneté. D’abord lisse, la lésion devient granuleuse puis des papilles filiformes apparaissent à sa surface. Dans les cas très avancés, les lésions peuvent prendre un aspect nodulaire.
Une maladie que l’on achète
Un éleveur confronté à la dermatite digitale doit s’assurer que les pieds de ses animaux sont au sec, sur des surfaces propres et non blessantes. Mauvaise ventilation, des pieds qui macèrent dans la bouse, forte densité d’animaux… reviennent en effet régulièrement dans la liste des principaux facteurs impliqués dans l’apparition de la maladie.
« La dermatite digitale est généralement introduite dans un élevage à l’occasion de l’achat d’une bête infectée puis se propage par contact de proximité entre animaux. D’où l’importance en élevages allaitants de réaliser un examen des pieds lors d’acquisition et ce d’autant plus si elle concerne un taureau de monte naturelle. Ce devrait être impératif, au même titre que la prise de sang obligatoire ! », insiste Christian Guibier, conseiller équipe élevage de la chambre d’agriculture de l’Aisne. « Attention également au nettoyage de la bétaillère lors d’une utilisation conjointe », signale Guillaume Venisse.
Des mesures adaptées
« Le pied est insuffisamment pris en compte. C’est le parent pauvre des pathologies des bovins ! D’après une étude récente en élevages laitiers, il se passe en moyenne 38 jours entre l’apparition d’une boiterie et sa prise en charge ! Or, une boiterie représente un problème fondamental qui nécessite une observation régulière des pieds. La mise en place de mesures adaptées évite des pertes énormes. À titre d’exemple, en élevages laitiers, le coût direct du parage quand il est bien fait est remboursé dans la semaine qui suit. Cependant, il n’existe pas de solution miracle. Le parage préventif et curatif est un levier efficace mais insuffisant. Il faut prendre un ensemble de mesures adaptées à chaque situation. C’est la concomitance des mesures prises qui permettra de résoudre le problème ainsi que l’attention portée aux détails. La gestion des boiteries repose entre autres sur le triptyque éleveur-pareur-vétérinaire à condition que chacun fasse bien son travail ! », conclut Marc Delacroix.
Les bons réflexes pour gérer efficacement les boiteries
« Le traitement antibiotique est inutile contre la dermatite digitale. C’est gaspiller de l’argent ! Il n’est indiqué en première intention que pour traiter le panaris », insiste le docteur Guillaume Venisse. Toutes les autres causes de boiteries peuvent et doivent être jugulées par d’autres moyens, à commencer par le diagnostic :
Des cas de plus en plus fréquents en bovins viande
La dermatite digitale commence à faire parler d’elle dans les élevages allaitants mais également en ateliers d’engraissement. « Les lésions semblent se développer, en tout cas entraîner des pertes, à partir de 90 à 100 jours d’engraissement et se caractérisent par leur sévérité et leur localisation, très souvent sur les membres antérieurs et en face dorsale du pied. La prévalence peut atteindre plus de 50 % des animaux. Pour un engraisseur, le coût de la maladie est important entre la perte de croissance, la dépréciation des carcasses ou encore la mort de l’animal. Les engraisseurs cumulent de nombreux facteurs de risques : animaux de diverses origines à croissance élevée, logés avec des densités élevées… La difficulté est d’autant plus grande en jeunes bovins que la détection et la prise en charge médicale sont bien plus délicates qu’en élevages laitiers », observe Anne Relun, vétérinaire à Oniris.
Une étude pilote a été lancée dans l’Aisne afin de travailler sur la dermatite digitée en élevages allaitants et notamment en ateliers d’engraissement.
Identifier des pratiques applicables en élevages allaitants
« En 2011, nous avons mis en place conjointement avec la Somme, un groupe de travail engraisseurs spécialisés qui compte 34 ateliers soit environ 7 200 taurillons. Des problèmes de mortalité et des ventes anticipées à 550-600 kg pour causes notamment de boiteries, nous ont incités à faire appel à un pédicure qui, lors de son intervention a identifié la maladie de Mortellaro à un stade avancé », explique Christian Guibier, conseiller équipe élevage de la chambre d’agriculture de l’Aisne, avant d’ajouter : « en taurillons, on n’a pas de recul (facteurs favorisant, traitements possibles et efficacité…). Les remontées terrains montrent que certains élevages sont très touchés, d’autres non. Aussi, à l’été 2018, on s’est rapproché de l’Institut de l’élevage pour mettre en place une action sur trois ans permettant d’identifier les causes et d’amener des solutions aux éleveurs ». Un groupe de travail engraisseurs avec deux naisseurs engraisseurs (problèmes sur vaches et jeunes bovins) s’est ainsi constitué. Cette action vient de démarrer avec l’Institut de l’élevage, le GDS de l’Aisne, le soutien du conseil régional, l’intervention de Marc Delacroix et d’un pédicure.
Évaluer les facteurs influençant
« La première année doit permettre d’identifier les différences entre élevages à problèmes ou non. Ainsi, 8 élevages ont été recrutés, 4 avec dermatite et 4 sans. À l’arrivée des lots de broutards (20 à 30 têtes), un pédicure doit passer regarder leurs pieds. Tout sera alors enregistré : détection, conduite, alimentation, logement, sanitaire… Un second passage sera effectué en fin de finition (650 à 700 kg vif). Le but est d’évaluer les facteurs pouvant influer la maladie dans un sens comme dans l’autre (prévention sanitaire, conduite alimentaire, type de logement, densité, paillage, raclage, curage), d’estimer le pourcentage d’animaux atteints, d’apprécier un potentiel impact de la race ou du secteur géographique de provenance des broutards. »
La seconde année vise à faire le point sur la mise en place de nouvelles pratiques pour lutter contre la maladie (prévention à l’arrivée, complément alimentaire, prévention sanitaire, rythme de paillage…). La dernière année sera réservée à la communication des résultats.