Les solutions de la filière bovine espagnole face à la crise
Avec une production en croissance régulière depuis dix ans et une stratégie conquérante à l’export, la filière bovine espagnole détonne par rapport au reste du Vieux Continent. Grâce à une fine maîtrise de leurs coûts fixes, les engraisseurs espagnols s’avèrent être des concurrents redoutables sur le marché. La dégradation de leur rentabilité reste limitée, même quand les prix de l’aliment s’envolent et que les disponibilités en herbe se font rares.
Avec une production en croissance régulière depuis dix ans et une stratégie conquérante à l’export, la filière bovine espagnole détonne par rapport au reste du Vieux Continent. Grâce à une fine maîtrise de leurs coûts fixes, les engraisseurs espagnols s’avèrent être des concurrents redoutables sur le marché. La dégradation de leur rentabilité reste limitée, même quand les prix de l’aliment s’envolent et que les disponibilités en herbe se font rares.
Avec 2,1 millions de vaches de races à viande sur son sol, l’Espagne détient le deuxième cheptel allaitant de l’UE des 27, derrière la France. C’est aussi l’un des rares pays fournisseurs de viande bovine en Europe - avec l’Irlande - qui voit encore ses effectifs bovins s’étoffer. Le cheptel a progressé de 17 % en l’espace de dix ans, soit 300 000 vaches en plus. « Le dynamisme du cheptel allaitant espagnol est lié notamment à la poursuite des aides couplées à la vache allaitante et des aides à l’engraissement de bovins de moins de 24 mois », explique l’Institut de l’élevage (Idele) dans un dossier Économie de l’élevage daté de septembre 2023.
À contre-courant de l’Europe
Dans le secteur de l’engraissement, l’Espagne se démarque là encore, en inversant la tendance. Contrairement à la plupart des pays européens, de plus en plus de bovins sont engraissés de l’autre côté des Pyrénées. Entre 2011 et 2021, le nombre de mâles âgés de 1 à 2 ans a plus que doublé, passant de 170 000 à 360 000 têtes. « Le marché espagnol a cette capacité à produire des carcasses relativement légères issues d’animaux jeunes. Une catégorie entre le veau et le jeune bovin que nous n’avons pas l’habitude d’élever en France », rapporte Ilona Blanquet, économiste à l’Idele.
En tonnes équivalent carcasse (téc), c’est avant tout la production de jeunes bovins (JB) qui donne le tempo (+ 107 000 téc en dix ans). Les génisses ne sont pas en reste (+ 43 000 téc). Ces deux catégories, qui servent davantage les marchés à l’export, prennent le pas sur la production traditionnelle de bovins jeunes mâles et femelles abattus juste avant 12 mois, appréciée notamment par les bouchers et GMS catalans. Au global, les volumes ont bondi de 24 % en l’espace de dix ans, ce qui hisse l’Espagne à la quatrième place des fournisseurs de viande bovine européens.
L’export, le moteur de la croissance de la filière
Et les exportations de viande bovine de l’Espagne sont allées aussi croissantes avec sa production : 184 000 téc de viande bovine réfrigérée expédiée en 2022, soit + 84 % en dix ans, pour alimenter le marché communautaire (Portugal, Italie, France en premier lieu) mais aussi les pays tiers, « l’Espagne supplantant la France avec des petites carcasses conformées à prix attractifs vers l’Algérie ». Notre voisin enregistre également de bons scores pour l’exportation des volumes de congelé (+ 44 % en dix ans). L’export en viande est un véritable poumon économique, puisqu’un tiers de la production quitte les frontières du pays, pour un chiffre d’affaires de 1,3 milliard de dollars, d’après l’USDA.
L’export en vif est une autre activité de poids dans les débouchés des bovins finis espagnols. Malgré le ralentissement économique post-Covid et les diverses tensions diplomatiques à propos du Sahara occidental, la filière parvient à maintenir ses envois. Comment ? « Elle a réussi à diversifier ses destinations, grâce à un zonage régional de la fièvre catarrhale ovine (FCO) et grâce à la réactivité des services vétérinaires officiels pour négocier des certificats sanitaires », rapporte l’Idele.
Pour assurer ses approvisionnements en plein essor, l’Espagne compte sur « la hausse de son cheptel allaitant mais aussi sur l’import de veaux laitiers, principalement de France. Ils viennent alimenter à la fois la filière JB et celle de bovins jeunes, en Catalogne et Aragon au nord-est du pays », souligne l’Idele.
L’origine France conserve une place de choix dans les achats espagnols
D’après Eurostat, les importations espagnoles de veaux de mère laitière de moins de 160 kg ont doublé en dix ans et la part de marché de la France dans ces échanges n’a cessé de croître, passant de 38 % en 2012 à 68 % en 2022. « La France a augmenté ses envois du fait de sa proximité géographique et d’une offre croissante en veaux à exporter », explique les auteurs du rapport Idele, qui précisent tout de même que, si les volumes envoyés par l’Hexagone augmentent, les effectifs totaux de jeunes veaux importés par l’Espagne plafonnent depuis 2018, du fait d’une pleine capacité atteinte dans les ateliers d’engraissement dans la partie nord-est.
S’agissant des broutards, l’Espagne a importé 83 000 mâles et femelles de plus de 160 kg en 2022. Des volumes en baisse depuis cinq ans, qui s’expliquent par la hausse globale du cheptel allaitant espagnol, l’amélioration de sa génétique et la hausse du prix des broutards français, faute de disponibilités. L’année 2023 a été cependant marquée par une reprise des achats (+ 8 000 têtes sur les quatre premiers mois de l’année dont + 1 500 en provenance de la France). La cherté et la rareté des fourrages ont poussé certains engraisseurs à se tourner vers les broutards étrangers, qui sont un peu plus lourds, pour les engraisser plus vite avec l’aliment cher. Reste à savoir si cette stratégie va se répéter dans les prochaines années, compte tenu des sécheresses récurrentes en Espagne.
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Chiffres clés
Filière bovine espagnole en 2022
Assurer ses approvisionnements par l’intégration
Pour Andrea Montemezzani, export manager de la société Viñals-Soler (1), les deux défis des entreprises espagnoles des viandes sont de « garantir leurs approvisionnements et [d'] atteindre l’équilibre carcasse ». L’opérateur pointe en effet une forte saisonnalité des offres : « au début juin, les sorties ont été nombreuses à cause de la sécheresse et des prix incitatifs, mais rien ne nous dit comment nous finirons l’année ».
Pour être en mesure de faire tourner les outils d’abattage sur douze mois, Viñals-Soler fait le pari de l’intégration. Pour les structures dont l’entreprise est propriétaire, « l’objectif est de maintenir la production coûte que coûte, notamment dans les petits élevages, malgré des coûts de production élevés. C’est pourquoi nous continuons de mettre en place des petits veaux », relève Andrea Montemezzani. Sur les 40 000 têtes annuelles, 90 % de la production est déjà sous contrat ou intégrée. « D’ici cinq à huit ans, nous visons 20 % de nos volumes en intégration propre », ambitionne le commercial.
Pour en savoir plus, retrouvez le dossier complet Économie de l’Élevage de l’Idele n°542, daté de septembre 2023 : La viande espagnole affiche ses ambitions qui paraîtra début novembre 2023.
Retrouvez les témoignages des éleveurs et négociants en bestiaux espagnols et français interviewés dans le cadre de ce dossier :
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