En Dordogne
Le veau rosé se construit un avenir
Après une longue traversée du désert jusqu’à l’obtention du label rouge, la filière veau rosé de Dordogne peut enfin émerger et recruter des producteurs. Elle vise en particulier les éleveurs de broutards.
Après une longue traversée du désert jusqu’à l’obtention du label rouge, la filière veau rosé de Dordogne peut enfin émerger et recruter des producteurs. Elle vise en particulier les éleveurs de broutards.
La famille Hivert, en Dordogne, reconnaît qu’elle n’était pas loin de « lâcher l’exploitation » et son cheptel de 90 mères Limousines. Lionel, le fils, s’est installé en 2002 au sein du Gaec des coteaux du Vern avec un projet — et le bâtiment qui allait avec — de veau rosé label. Cette production était la plus adaptée à une structure d’exploitation très difficile : morcelée, sols maigres et séchants, culture de maïs impossible... La demande de label rouge avait été déposée à la fin des années 1990. Il s’en est fallu de peu, mais elle n’a jamais abouti. Les veaux ont continué à partir sur le marché standard entre 4 et 4,50 euros le kilo carcasse... « Nous nous sommes remis à l’ouvrage en 2008 », explique Pascal Duvaleix, directeur de la coopérative Univia, en Dordogne. Le label veau rosé a finalement été accordé fin 2014. « Nous avons redémarré à zéro le travail technique et nous avons réactualisé la contractualisation avec Sobeval, notre partenaire historique, qui s’est engagé sur une grille de prix et un écoulement de la production. La filière peut désormais exister », développe Pascal Duvaleix. Sobeval (Groupe VanDrie) est un intégrateur de veaux de boucherie, dont le siège est à l’abattoir de Boulazac, près de Périgueux (Dordogne). Les veaux sont valorisés sur un prix objectif payé à l’éleveur de 6,50 euros par kilo.
Même prix pour les mâles et les femelles
L’objectif des deux opérateurs est désormais de développer la production. « De dix veaux par semaine aujourd’hui, il faudrait monter à quarante veaux d’ici trois à quatre ans pour réalimenter la filière. Après quinze ans de traversée du désert, il faut remotiver les éleveurs », explique le directeur d’Univia. Le groupement vise tout particulièrement les producteurs de broutards. « Dans la filière veaux rosés, on valorise au même prix - entre 1 050 et 1 100 euros - les mâles et les femelles, des veaux qui ont moins de 6 mois, argumente-t-il. C’est une façon de garder des éleveurs, dont la taille des troupeaux a beaucoup augmenté, sur une production de viande précoce. » « La conduite est moins contraignante qu’avec le veau sous la mère », apprécie Lionel Hivert. « C’est un type de production complètement différent, résume Pascal Duvaleix. Néanmoins, nous l’avons positionnée comme un veau haut de gamme, mais avec une conduite accessible à la majorité des éleveurs. » Aujourd’hui, quinze éleveurs sont certifiés. Ils devraient être une cinquantaine d’ici à la fin de l’année. Laura Fixot, technicienne Univia, se veut optimiste : « jusqu’à peu, nous n’avions pas de références. Depuis un an, nous avons des chiffres pour construire un argumentaire. Nous sentons de la curiosité pour cette production. Cela peut aller très vite ».
Des veaux plus finis et réellement rosés
Mais produire des veaux ne suffira pas. Faut-il encore qu’ils soient conformes à la demande du marché. C'est encore loin d’être le cas : « au départ, 95 % de veaux ne tombaient pas bien. Aujourd’hui, nous sommes à 30 % qui vont bien et notre objectif est d’atteindre 70 % de veaux conformes. En quinze ans, le marché a évolué. Il demande aujourd’hui des veaux beaucoup plus finis (entre 2+ et 3+) et réellement rosés (2 à 3- en couleur). On arrive facilement à engraisser mais on perd en couleur. Sortir des veaux à la fois finis et rosés, c’est un compromis très technique », estime Pascal Duvaleix.
Le groupement a travaillé les points de nature à améliorer rapidement la couleur. Par rapport au veau de lait sous la mère, le veau rosé est complémenté à partir de 45 jours avec un concentré à 16-18 % de protéines. Quatre fabricants ont développé un aliment spécifique, appauvri en fer, et assurent le suivi de l’alimentation des vaches et des veaux. Le deuxième point essentiel est de faire la chasse aux fers parasites. Une stabulation en recèle beaucoup. Dans celle du Gaec des coteaux du Vern, les nourrisseurs ont été remplacés par des auges en plastique et la boulonnerie en fer a été masquée (habillage bois...). Lorsqu’il faut construire des cases neuves, même si les barrières en inox ne s’imposent pas vu leur prix, l’investissement avec des barrières en galvanisé s’élève à 150 euros par veau, beaucoup moins que pour du veau sous la mère classique (1 500 euros par veau).
Réorientation des choix génétiques
« Tant que nous n’avions pas le label, vu le prix des veaux nous ne pouvions pas nous permettre d’investir ou de donner une alimentation trop onéreuse », expliquent les associés du Gaec des coteaux du Vern. Depuis l’arrivée du label, ils s’investissent sur un travail plus pointu qui porte ses fruits. Les veaux sortent en moyenne 3 en couleur au lieu de 4 avant le label. Des progrès sont encore possibles sur la finition (ils sortent à 2). À plus long terme, ils passeront aussi par une réorientation des choix génétiques, en travaillant sur les aptitudes laitières des vaches, la précocité et les qualités de viande. Dans ce domaine aussi, les prix des veaux n’incitaient pas à investir. L’insémination n’était plus beaucoup utilisée. En 2015, dont quatre mois sans label, le Gaec a vendu 62 veaux de 162 kilos (carcasse) au prix moyen de 900 euros (5,60 €/kg). Les quatorze premiers de cette année sont partis à une moyenne de 1 130 euros (6,70 €/kg). Désormais, la famille Hivert peut entrevoir un avenir avec le veau rosé et plus seulement avec les poulets label rouge, qui lui ont permis d’attendre des jours meilleurs pour le cheptel allaitant.
Un veau sous la mère complémenté aux céréales
Les caractéristiques du veau rosé ne sont pas très différentes de celles du veau de lait sous la mère. Allaité deux fois par jour, il est un peu plus âgé (180 jours maximum) et légèrement plus lourd (200 kg maximum). En revanche, il est complémenté avec de l’aliment à partir de 45 jours (250 kg par veau au maximum). Le Gaec des coteaux du Vern en donne 170 kg en moyenne. Considéré comme un veau sous la mère, il bénéficie de l’aide PAC : 37 euros par veau labellisable, 37 euros supplémentaires par veau labellisé. L’association Le veau sous la mère, à Brive, gère les deux cahiers des charges. Outre la production de veau rosé qui se met en place en Dordogne autour du groupement Univia et de Sobeval, une filière plus ancienne, dans le Gers, bénéficie aussi du label rouge sous la marque Lou Béthêt. La filière de Dordogne n’envisage pas de marque dans l’immédiat. « Pour l’instant, le label rouge est suffisant. Mais, pourquoi pas ? », indique Serge Dubreuil, directeur commercial de Sobeval. La priorité est à la relance et à l’amélioration qualitative de la production.
Trouver les bons créneaux commerciaux
Sobeval « vend du veau sous toutes ses formes et toutes ses qualités », explique Serge Dubreuil, directeur commercial. Après le veau de lait sous la mère, il y a deux ans, l’intégrateur de veaux de boucherie ajoute à sa carte le veau rosé label rouge. Quoique plus jeune mais vu sa couleur, il se positionne « sur le même marché que le veau d’Aveyron et du Ségala label rouge », indique-t-il. L’entreprise périgourdine est reconnue pour sa large gamme de produits élaborés (paupiettes, rôti, hachés, saucisses...). « Sobeval a accompagné très fortement le projet et a beaucoup investi en recherche et développement », indique Pascal Duvaleix, directeur d’Univia. Néanmoins, pour l’instant, beaucoup de veaux sortent trop rouges. Ils sont assez difficiles à valoriser en produits transformés parce que l’aspect visuel est très important lorsqu’ils sont présentés en libre-service. « Ils sont vendus principalement dans les circuits carcasses et en restauration collective, où il y a une demande pour du veau de très haute qualité, explique Serge Dubreuil. Le label rouge rassure le client, même dans les collectivités, et l’origine France va prendre de plus en plus d’importance. La valorisation n’est pas moins importante pour autant. Nous avons l’avantage d’avoir une multitude de circuits commerciaux et nous faisons des essais un peu partout. Mais, c’est un travail de longue haleine. » Le responsable commercial insiste aussi sur la régularité, et donc la planification de l’offre. Quand un créneau commercial est ouvert, il doit être livré toutes les semaines. « Nous avons mis une plus-value assez importante sur le veau rosé label rouge pour lancer le produit en amont, ajoute-t-il. Nous essayons d’avoir une démarche structurante, aussi bien en amont qu’en aval. »