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Femmes en élevage : une difficile reconquête

A l’heure où il est crucial d’attirer des jeunes en élevage, il serait dommage de passer à côté de la moitié de la population, à savoir les femmes. Aujourd’hui, la population des chefs d’exploitation d’élevage n’est constituée que d’un quart de femmes. Le GIS Avenir Elevages, qui s’intéresse, comme son nom l’indique, aux enjeux d’avenir de l’élevage en France, vient de tenir un webinaire sur les spécificités de l’élevage au féminin.

Parmi les éleveurs de bovins viande de plus de 40 ans, un sur quatre est une éleveuse. En revanche, chez les moins de 40 ans, les femmes ne représentent qu’un chef ...
Parmi les éleveurs de bovins viande de plus de 40 ans, un sur quatre est une éleveuse. En revanche, chez les moins de 40 ans, les femmes ne représentent qu’un chef d’exploitation sur 6.
© C. Delisle

Longtemps, les femmes ont constitué la moitié de la population agricole, au moins jusque dans les années 1950. Mais avec la modernisation de l’agriculture et la diminution des actifs agricoles qui s’en est suivie, les femmes ont payé un plus lourd tribu que les hommes : elles ont davantage quitté l’agriculture qu’eux.

Selon les données de l’Insee, en 1982, la France comptait 1,7 millions d’agriculteurs, dont 38 % étaient des agricultrices. Aujourd’hui, parmi les 400 000 agriculteurs français, il n’y a plus que 25 % de femmes. 

Si être agriculteur est un métier rare, agricultrice l’est beaucoup plus : « En 2021, un actif sur 45 était agriculteur, et seulement une active sur 121 était agricultrice », expose Christophe Perrot, chargé de mission économie à l’Idele, lors d'un webinaire organisé le 19 décembre 2023. « En 1982, on était à une femme sur 14 ! Si on prend la seule population des moins de 40 ans, le métier d’agricultrice ne représente qu’une active sur 275 », reprend le spécialiste.

Lire aussi notre dossier | Fières d’être éleveuses

Inverser l’exode féminin ?

Les raisons de cet exode féminin préférentiel sont multiples. On peut évoquer l’absence d’un statut digne pendant très longtemps : la « sans profession » des années 1950 a dû passer par les statuts d’aide-familiale, de co-exploitante, de conjointe-collaboratrice, avant d’accéder à la vraie égalité (avec la transparence Gaec) en 2015.

On remarque aussi que beaucoup des tâches traditionnellement féminines se sont retrouvées mécanisées et par la même occasion, masculinisées. Et il y a aussi bien sûr un très fort facteur culturel : dans les familles d’agriculteurs, c’était (et c’est encore parfois) le fils qu’on incite à reprendre la ferme, tandis qu’on pousse la fille à faire des études (ou éventuellement se marier avec un autre agriculteur). 

« Encore aujourd’hui, on prépare davantage les hommes que les femmes à la reprise d’exploitations, note Muriel Mahé, du centre d’étude et prospective du ministère de l’Agriculture. De même, la propriété foncière est généralement masculine ».

Lire aussi le témoignage de Stéphanie Mocques-Goure dans le Maine-et-Loire | « Je sors mes piquets plutôt que mon tracteur » et « Je veux vivre de mon métier »

Le secteur de l’élevage suit la tendance générale de l’agriculture. On compte 240 000 chefs d’exploitation et co-exploitants, dont 59 000 femmes, soit 24,5 % des effectifs. Le secteur compte aussi 12 000 conjointes d’exploitants, avec différents statuts (salariée, conjointe-collaboratrice, aide-familiale, ayant-droit…). On note également que le salariat est peu représenté en élevage par rapport aux autres secteurs agricoles.

Peu de femmes jeunes en bovins viande

Les femmes sont présentes dans toutes les filières d’élevage. Mais elles sont surreprésentées dans les élevages équins, ovins, caprins et volailles (leur proportion dépasse les 25 % et on est presque à parité en élevage équin). 

En bovins viande, elles sont un peu sous-représentées. Sur les 67 000 femmes non salariées qui travaillent en élevage, environ 13 000 travaillent en bovins viande (et 17 000 en élevage laitier). Dans ce secteur, parmi les chefs d’exploitations de plus de 40 ans, on retrouve 25 % de femmes. En revanche, chez les moins de 40 ans, il n’y a que 13 % d’exploitantes.

Les statistiques font apparaître d’autres particularités de l’élevage au féminin : les femmes sont un peu plus souvent en bio, en Gaec, en micro et petites exploitations et en circuits courts que les hommes. D’une manière générale, elles sont plus présentes dans les filières dont le taux de remplacement est élevé (caprins et ovins, transformation laitière…).

Les femmes en élevage sont aussi plus souvent hors cadre familial (surtout les jeunes), elles sont moins diplômées en agriculture (mais peuvent être plus diplômées ailleurs…), et elles ont des carrières plus courtes : bien souvent, elles s’installent après leur époux, au départ des parents par exemple. Et lorsqu’une exploitation se retrouve en difficulté, ce sont souvent elles qui vont partir en premier pour chercher un travail à l’extérieur.

Des femmes qui ont deux fois plus de TMS

Les statistiques de la MSA, présentées par Magali Cayon, responsable prévention, font apparaître d’autres spécificités, plutôt inquiétantes : alors que dans la population générale, les femmes ont moins d’accidents du travail que les hommes, en élevage, elles en ont presque autant. D’une manière générale, le travail avec des bovins est celui qui engendre le plus de sinistres. La nature de ces accidents est également spécifique : un tiers des accidents sont des chutes, et un quart sont en lien avec les animaux. Ce sont plus souvent les membres inférieurs qui sont touchés (alors que dans la population générale, les femmes se blessent plus les membres supérieurs).

Quant aux maladies professionnelles, et particulièrement les troubles musculosquelettiques (TMS), les femmes sont sureprésentées en élevage, puisqu’elles en ont deux fois plus que les hommes. Explications probables : les femmes font plus de gestes répétitifs, et elles utilisent des matériels non adaptés qui leur fait prendre de mauvaises postures (tracteurs trop hauts conçus par et pour des hommes, objets trop lourds…). « Il faut travailler à l’adaptation des équipements », assure Magali Cayon.

Une enquête sociologique de l’Idele

Le problème de la faible représentation des femmes en élevage n’est évidemment pas que « technique ». C’est pourquoi l’Institut de l’élevage a aussi réalisé une enquête qualitative auprès d’éleveuses. Cette enquête, menée par James Hogge, chargé de mission "femmes en élevage", confirme que les équipements sont rarement adaptés aux morphologies féminines : « Parfois, il leur faut forcer et se faire potentiellement mal. Ou alors, elles doivent demander de l’aide, ce qui renforce leur dépendance, souvent à un homme », explique le spécialiste.

L’enquête met en évidence un certain nombre de spécificités « sexistes » en élevage (mais qui existent aussi dans la société) : des difficultés d’accès au foncier, une invisibilisation et un morcellement des tâches réalisées par les femmes, l’absence de frontière claire entre vie familiale et vie professionnelle (elles s’occupent des enfants en même temps qu’elles travaillent), un manque de reconnaissance quand elles sont associées à un homme (mais pas quand elles sont seules exploitantes), un déficit de remplacement (elles se font remplacer par des hommes, et donc elles continuent à travailler sur leurs tâches spécifiques). 

James Hogge rapporte une phrase particulièrement édifiante d’une éleveuse interviewée : « Le plus dur pour les femmes, ce n’est pas d’être seule, c’est d’être installée avec son mari ».

Les femmes sont-elles le futur de l’élevage ?

Dans ce constat, assez sombre, quelques lueurs d’espoir cependant : les femmes sont souvent à l’initiative d’innovations ; il s’agit d’abord de réduire la pénibilité de leur travail ou d’adapter des tâches, mais, ensuite, ces innovations bénéficient à tout le monde. Les éleveuses ont aussi une attention particulière au bien-être animal : une qualité qui n’est pas nécessairement « innée, » mais peut-être liée à leur propre expérience de mère. Par ailleurs, comme elles ont généralement moins de force physique, elles privilégient le dressage et des pratiques plus « douces » et plus sécurisantes. Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’elles désignent « le contact avec les animaux » comme principale motivation de leur choix de métier (encore plus que les éleveurs).

Le chemin est donc encore long vers une égalité de prise en compte des femmes dans le monde de l’élevage, « une ambition réaffirmée récemment par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire », souligne Hélène Guettat-Bernard, professeur à l’Ensfea (Ecole nationale supérieure de la formation à l’enseignement agricole).

Mais quelques tendances permettent de l’espérer : la parité de genre dans les lycées agricoles, la forte féminisation des écoles d’ingénieurs agronomes et des écoles vétérinaires ; le succès des groupes d’agricultrices qui libèrent la parole des femmes, leur proposent de se former (y compris en mécanique, en autoconstruction) et les mènent, parfois, à la prise de responsabilités ; ou encore le développement des techniques et technologies en élevage qui réduisent la pénibilité du travail.

Les succès récents du film Croquantes, sur un groupe de femmes rurales de Loire-Atlantique, ou de la bande dessinée « Il est où le patron ?», témoignent aussi de la prise de conscience des difficultés particulières auxquelles sont confrontées les femmes en agriculture. Mais aussi de leur volonté de prendre toute la place qu’elles méritent.

Affiche du film Croquantes
 
Couverture de la bédé «  Il est où le patron ? »

Une thématique du GIS Avenir Elevages

Le Groupement d’intérêt scientifique (GIS) Avenir Elevages rassemble 23 membres intervenant tous dans le secteur de l’élevage, représentant la recherche et l’enseignement supérieur (Inrae, Anses, instituts agro…), la recherche-développement (instituts techniques), la création génétique, le conseil en élevage, les chambres d’agriculture et les interprofessions.

Son objectif, depuis plusieurs années, est de « produire et de diffuser de nouvelles connaissances et innovations pour un élevage durable et créateur de valeur ajoutée permettant de jeter les bases d’une nouvelle ère de progrès pour les systèmes de productions animales ».

Pour en savoir plus sur les nombreux travaux de ce GIS, cliquez ici 

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