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En Guadeloupe, un diagnostic inédit est lancé pour mieux armer les élevages face aux tiques

Le projet Tisaru (1) vise à préserver le sou des éleveurs de bovins de l’île caribéenne confrontés à des maladies parasitaires et cutanées véhiculées par les tiques.

C’est une première en Guadeloupe. Et ça peut rapporter gros pour les éleveurs de l’île. Jamais un tel diagnostic sanitaire des bovins n’y avait été réalisé. Le but de ce projet de recherche, piloté par le Cirad et lancé cette année, est d’apporter des solutions rentables aux producteurs par le biais d’un contrôle des maladies infectieuses adapté aux résistances aux traitements.

Réduire les coûts sanitaires des éleveurs

« TI pour tiques, SA pour risques sanitaires et RU pour ruminants », détaille Sylvie Lecollinet, virologue au sein de l’Astre, une unité du Cirad basée à Petit-Bourg, qui travaille ici avec l’Institut technique de l’élevage, l’Inrae et les services vétérinaires de la DAAF. « Ce projet multi-acteurs, poursuit-elle, étudie les pathogènes transmis par les tiques qui entraînent des pertes de production à cause de fièvres oscillantes dans la vie de l’animal. Il s’agit de la babésiose, une maladie parasitaire logée dans les globules rouges, les détruisant et causant ces fatigues extrêmes. »

L’application d’acaricides sur la peau des bovins peut les en protéger. « Trois molécules sont disponibles sur le marché guadeloupéen, qui se vendent entre 100 et 400 euros par litre, précise la chercheuse. Les modes d’application sont aussi diverses que ces prix de vente, donc leur coût de revient varie grandement d’une exploitation à l’autre. Les gains potentiels sont de fait importants sur le volet sanitaire. »

Le projet Tisaru est financé par le Feader et la région Guadeloupe. Il est déployé depuis janvier 2023 jusqu’à septembre 2024. Ses résultats devraient être publiés début 2024 et diffusés auprès des éleveurs sous forme de fiches.

Cet état des lieux des pathologies infectieuses, des parasites comme les tiques et des moyens de maîtrise utilisés (acaricides, anthelminthiques) analysera les pratiques d’élevage et de luttes antivectorielles, au moyen d’enquêtes épidémiologiques. Il s’agit ici d’évaluer la situation épidémiologique de l’élevage en Guadeloupe vis-à-vis de plusieurs maladies afin de proposer diverses cartes grâce à l’analyse de prises de sang faites sur les animaux pendant l’enquête. Tout cela pour faire ressortir diverses recommandations aux éleveurs du département.

Pour lutter contre les tiques, certains utilisent des plantes de la pharmacopée comme une méthode alternative, mais ils sont très minoritaires.

Des maladies cutanées à l’issue parfois mortelle

Victor Dufleit, doctorant au Cirad, est chargé des enquêtes de terrain. « Les premiers témoignages montrent que le principal souci des éleveurs de l’île, au niveau sanitaire, est ce qu’ils appellent la 'gale', une maladie bactérienne cutanée provoquée par la bactérie Dermatophilus congolensis non véhiculée par les tiques. On suppose qu’elle s’infiltre par les plaies laissées béantes par les tiques tombées. Il existe des antibiotiques et certains utilisent de l’eau de mer. Ces traitements peuvent être efficaces, mais une mortalité relativement importante semble toucher les cheptels, ce que notre enquête permettra d’évaluer avec précision. » Les éleveurs de l’île sont aussi confrontés aux problèmes d’attaque de chiens et des vols d’animaux.

Par ailleurs, les exploitants installés dans le Croissant bananier de la Guadeloupe sont exposés au chlordécone, tout comme leurs animaux et jusqu’au consommateur de la viande et du lait de ceux-ci, car ce sont les sols qui sont pollués. Plusieurs plans chlordécone tentent d’améliorer la situation. La filière du bœuf en Guadeloupe présente ainsi une image exacerbée de la situation en métropole : une érosion du cheptel bovin due à une conjoncture de marché difficile – avec des ventes d’animaux peu ou pas rémunératrices – aggravée, ici, par des problèmes sanitaires et de reproduction liés aux tiques ; l’accès au foncier agricole est restreint avec peu de terres disponibles et de fréquents cas d’indivision de propriété. Par ailleurs, « les éleveurs guadeloupéens sont généralement âgés. Il n’y a pas de relève », révèle Victor Dufleit.

Ajoutez-y les vols d’animaux et le fait de risquer de perdre une bête à cause du problème des tiques, quand vous avez en tout et pour tout un cheptel d’une demi-douzaine de têtes, vous comprendrez vite l’enjeu dudit projet de recherche Tisaru.

La race locale a des atouts à faire valoir

Mais la filière a déjà d’autres belles cartes dans son jeu. « Nous avons pour atout le bovin créole, issu de taurins d’Espagne et du Portugal croisés avec des animaux d’Afrique de l’Ouest et de zébus de l’Inde, raconte Jacques Crozilhac, président de l’organisme de sélection pour la préservation du bovin créole. Ces lignées représentent 40 % du cheptel en Guadeloupe, les 60 % restants sont des croisés intempestifs (dixit) avec des souches européennes : charolaises, limousines… qui souvent n’expriment pas tout leur potentiel sous notre climat tropical et qui derechef sont bien plus exposées aux maladies cutanées à risque mortel. »

Les maladies cutanées figurent aussi parmi les préoccupations des éleveurs guadeloupéens

Chiffres clés

Le cheptel bovin en Guadeloupe

77 000 animaux en 2008 (il était déjà inférieur à 40 000 têtes en 2017)

10 ha est la taille moyenne des exploitations

6 têtes par cheptel en moyenne

Source : Agreste

Questions à Victor Dufleit, doctorant au Cirad

« Une gestion sanitaire individuelle, clef de voûte du modèle d’élevage guadeloupéen »

Vu de métropole, quelles sont les leçons à tirer de la gestion sanitaire des troupeaux en Guadeloupe en lien avec les pathologies et les parasites qui y sont présents ?

Victor Dufleit - L’aspect principal de la gestion sanitaire est la proximité des éleveurs avec leurs animaux. Les cheptels étant réduits, chaque bovin est très souvent observé quotidiennement, au cas par cas, quand l’éleveur change ce dernier de piquet. Cette attention individuelle est sans aucun doute moins courante dans les élevages conventionnels de la France métropolitaine. C’est du moins mon point de vue, ayant grandi dans une ferme laitière de 150 têtes… pas du tout le type d’élevage que l’on observe dans les Antilles !

Y a-t-il des traitements locaux pour protéger les troupeaux, ceci en lien avec le réchauffement climatique et le risque plus grand de voir apparaître de nouvelles maladies émergentes ?

V. D. - Pour ce qui est des traitements "péyi" (du « pays » en créole), chacun y va de son astuce et le bouche à oreille relaie les pratiques. Le bain de mer est une tradition pratiquée par certains éleveurs, notamment pour les bœufs de compétition de charrette, qui est une vieille tradition locale. J’ai observé aussi l’utilisation de mucilage d’aloé vera mélangé à du sel pour vermifuger les animaux en remplacement ou en complément des vermifuges vendus dans le commerce. La grande communauté indienne présente en Guadeloupe applique aussi des remèdes ayurvédiques sur les animaux. Enfin, certains éleveurs reviennent à la race créole, plus rustique et adaptée aux parasites. Mais les animaux croisés, majoritairement créole-blonde et créole-limousine, développent une masse musculaire plus importante et plus vite. Ils sont aussi prisés pour les compétitions de bœufs tirant.

Des troupeaux bovins de très petite taille

L’élevage bovin est une activité traditionnelle sur l’île de la Guadeloupe où il est exclusivement orienté vers la viande. Près de la moitié des animaux sont détenus par des éleveurs doubles actifs ou retraités possédant moins de dix têtes. Ils les conduisent au piquet, ou "à la chaîne", sur des ronds d’herbe tournant tous les deux ou trois jours. Les systèmes sont à l’herbe avec le recours à la canne à sucre, en période sèche, et des apports de concentrés. Les stabulations sur l’île se comptent sur les doigts de la main. À titre d’exemple, une exploitation de 110 bovins sous stabulation recensée par les enquêteurs du Cirad est considérée par eux comme une exception.

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