Deux organismes de sélection pour la race Charolaise ?
Gènes Diffusion a déposé au ministère de l’Agriculture une demande pour mettre en place un second organisme de sélection pour la race Charolaise. Cette initiative suscite un vif mécontentement de la part de Charolais France, l’OS « historique », mais également d’une partie de la profession.
Gènes Diffusion a déposé au ministère de l’Agriculture une demande pour mettre en place un second organisme de sélection pour la race Charolaise. Cette initiative suscite un vif mécontentement de la part de Charolais France, l’OS « historique », mais également d’une partie de la profession.
Bientôt deux organismes de sélection pour la seule race Charolaise ? Ce scénario semble probable. À l’initiative de l’entreprise de sélection Gènes Diffusion et de 20 autres de ses partenaires (essentiellement associations d’éleveurs et entreprise de mise en place de semence, adhérentes à Gènes Diffusion) une demande d’agrément pour un second organisme de sélection Charolais a été déposée au ministère de l’Agriculture mi-2016. Ce dossier a été complété quelques mois plus tard et il est en cours d’instruction. « Nous ne sommes évidemment pas en mesure de donner de dates sur un éventuel agrément. Mais nous mettrons tout en œuvre pour qu’il puisse aboutir », précise Michel Fouchet, responsable de la section Charolaise de Gènes Diffusion et directeur d’Apis Diffusion, une coopérative d’insémination dont le périmètre d’activité s’étend sur la Vendée, les deux Charentes et les Deux-Sèvres. Si cette demande aboutit, ce nouvel OS aura pour nom « Charolais Plus ». Si l’on s’en tient à la logique des choses, il rassemblera sous cette bannière une partie des actuels adhérents du herd book Charolais et notamment ceux qui travaillent déjà en étroit partenariat avec Gènes Diffusion. D’après les dernières données statistiques, la base de sélection Charolaise se composait l’an dernier de 2 078 élevages pour un total de 128 000 vaches inscrites au livre généalogique. L’une des interrogations soulevées par cette initiative est de savoir combien d’élevages et de vaches mères demeureraient dans l’OS « historique » et combien rejoindraient « Charolais Plus ».
Perspective fraîchement accueillie
La perspective de voir se mettre en place ce nouvel OS est fraîchement accueillie par les responsables de Charolais France, l’OS « historique ». « Certains acteurs de la génétique charolaise — non représentatifs de l’ensemble des éleveurs — profitent de la mise en application du nouveau règlement européen pour bâtir des projets qui pourraient aboutir à la division de notre race. C’est tout ce dont nous ne voulons pas ! », s’agace Pascal Langevin, éleveur dans la Sarthe et président du herd book Charolais. « Avons-nous les moyens de nous diviser et de multiplier les acteurs dans le contexte actuel ? Qui va payer la facture ? Le HBC, en tant que gestionnaire historique du livre généalogique ne peut que militer pour une seule race et un seul livre. C’est juste du bon sens ! ». Il est en cela rejoint par Hugues Pichard, président de Charolais France et éleveur en Saône-et-Loire. « Deux OS, cela signifierait de dupliquer la plupart des organismes existants actuellement : deux livres généalogiques, deux systèmes d’indexations et à terme deux sous-populations. Tout cela ne va pas dans le sens d’une simplification et d’une réduction des coûts de fonctionnement. En faisant le choix d’un OS par race, nous mutualisons les coûts, nous renforçons notre race et nous privilégions l’intérêt de l’éleveur. En multipliant les OS, nous faisons l’inverse. »
Ce possible nouvel OS est également analysé comme une perte d’autonomie pour les éleveurs qui seraient moins libres de donner comme bon leur semble certaines orientations de sélection à leur cheptel. « À une stratégie privée et intégrée par une entreprise, nous préférons une stratégie raciale et territoriale au service du plus grand nombre d’éleveurs », revendique Pascal Langevin. Les responsables du herd book Charolais et de Charolais France bénéficient du soutien de Races de France, la fédération des organismes de sélection. Comme le souligne Jean-Luc Chauvel, son président, « Races de France, ne peut opposer un véto à ces initiatives visant à mettre en place plusieurs OS par race, mais fait tout pour convaincre la profession de ne pas se disperser. » Et de préciser : « il est important de préserver ce qui a fait le succès de l’élevage français. Ses races avec leurs qualités, valorisées par leurs éleveurs sur leurs territoires avec leurs itinéraires techniques. De notre point de vue, le livre généalogique est ce socle commun. Et l’unité d’une race dépend de l’unicité de son livre », se justifie Jean-Luc Chauvel, par ailleurs éleveur ovin en Haute-Loire. Cette même vision des choses est appuyée par le syndicalisme majoritaire. « D’une volonté d’uniformisation des règles d’évaluation des reproducteurs, d’unicité raciale (une race = un organisme de sélection) nous sommes confrontés aux risques de fragmentation des races elles-mêmes. Pour une même race, plusieurs OS pourraient ainsi cohabiter et gérer plusieurs populations raciales de même race, de façon indépendante et selon des règles qui leur seraient propres. Cette approche conduirait immanquablement à subdiviser une race en plusieurs races 'commerciales' et non plus génétiques comme aujourd’hui », estime Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine et ancien président de l’organisme de sélection Salers.
Un atout supplémentaire pour la Charolaise ?
« Le fait de mettre en place un second OS doit être analysé comme un atout supplémentaire pour la Charolaise et surtout pour la faire progresser dans le sens souhaité par la plupart de ses utilisateurs », tempère de son côté Michel Fouchet. « Nous pensons que ces deux OS pourront être complémentaires, à l’image de ce qui a été fait fin février à Paris avec la présence de bovins Charolais tant au SIA qu’au Simagena. » Et de souligner que Gènes Diffusion a été précurseur dans certains domaines ces dernières années. C’est en particulier le cas pour la sélection de souches génétiquement sans cornes. Une caractéristique désormais unanimement reconnue comme un sérieux atout dans la mesure où elle est plébiscitée par de nombreux éleveurs tant en France qu’à l’étranger. Quant à l’argument visant à dire que la mise en place de deux livres se traduirait par deux sous-populations Charolaises différentes, il est balayé d’un revers de main. Actuellement, la Charolaise est déjà riche de sa diversité avec dans certains élevages des animaux très « formés » et dans d’autres des morphologies plus « élevage » avec davantage de format. Entre ces extrêmes il existe tout un panel d’animaux de poids et de morphologies intermédiaires à même de satisfaire les attentes de différents débouchés. « On entend parfois dire que deux OS signifieraient deux codes races différents. C’est tout simplement de la désinformation », précise Michel Fouchet qui souligne aussi que le souhait de Gènes Diffusion est bien qu’il y ait des « passerelles » pour faire aller les animaux d’un livre généalogique à l’autre dans la mesure où le standard de race des animaux « Charolais Plus » sera de toute façon un copier-coller du standard déjà existant.
Pourquoi cette précipitation de la part Gènes Diffusion dans la mesure où le nouveau règlement zootechnique européen ne prendra effet qu’en novembre 2018 ? « Nous avons demandé d’être agréé OS sous couvert de la réglementation actuelle. Notre volonté est d’avoir un OS déjà en activité quand le nouveau RZE entrera en application ». Cette décision est aussi motivée par l’élargissement des missions qui seront attribuées aux nouveaux OS à compter de novembre 2018 (voir encadré).
Tout au long du mois de mai, les représentants du herd book Charolais ont de leur côté prévu d’aller à la rencontre des adhérents répartis sur l’ensemble du territoire français avec la volonté de présenter dans les détails les enjeux du nouveau règlement zootechnique avec, bien évidemment, la volonté de défendre leurs positions.
Évolution de la réglementation
Le nouveau règlement zootechnique européen entrera en vigueur le 1er novembre 2018. Il réglementera la circulation des reproducteurs et du « matériel » génétique (semence, embryons) ainsi que les services liés à la génétique au sein des différents pays membres de l’Union européenne. Il se traduit par une évolution importante pour les actuels organismes de sélection dans la mesure où il modifie leurs missions réglementaires. Les OS conservent le rôle de définition du programme de sélection, à savoir les orientations et la gestion de la race, mais ils élargissent leurs missions à la certification de la parenté bovine (CPB), au contrôle de performances et à l’évaluation génétique. Ces deux dernières tâches pourront toutefois être déléguées aux différentes structures qui en ont actuellement la charge. Les entreprises de conseil en élevage se préparent à en être les prestataires pour le contrôle de performances. L’une des questions centrales liée à la mise en place du nouveau règlement zootechnique européen concerne l’indexation et l’évaluation génétique. La réglementation actuelle la confie à l’Inra. À partir du 1er novembre 2018, ce seront les OS qui auront la main sur ces volets.
Contrer la baisse des effectifs
Les arguments mis en avant par Gènes Diffusion pour mettre en place ce nouvel OS découlent, entre autres, de l’actuelle érosion des effectifs Charolais. D’après des statistiques issues de la BDNI rapportées par l’Institut de l’élevage, le nombre de vaches Charolaises (femelles ayant vêlé au moins une fois) est passé de 1,702 million de têtes à 1,529 million entre le 1/01/2008 et le 1/01/2016. Cette évolution s’explique dans les zones intermédiaires par la « céréalisation » de nombreuses prairies autrefois pâturées par des vaches blanches, en particulier dans le Centre et l’Ouest de la France, mais également par le choix de certains éleveurs d’élever d’autres races allaitantes. Et Michel Fouchet, appuyé par les différents éleveurs administrateurs des structures qu’il représente, de souligner qu’il y a nécessité de prendre des mesures musclées pour inverser ces évolutions. Et de regretter aussi l’importance donnée aux concours de reproducteurs par une partie des adhérents du herd book Charolais. Autant de manifestations sur lesquelles les animaux mis en avant sont essentiellement triés sur le phénotype, la morphologie et la bonne adéquation au standard de race en accordant au goût des partisans de "Charolais Plus" trop peu d’importance à leur génotype et à leur volet « productif ».