Des éleveurs creusois misent sur le sans cornes
Le gène sans cornes n’est plus une nouveauté en race Charolaise et Limousine. Une journée organisée dans la Creuse a permis de démontrer qu’il était désormais présent sur des animaux dont la morphologie n’a plus grand-chose à envier à des bovins cornus.
Le gène sans cornes n’est plus une nouveauté en race Charolaise et Limousine. Une journée organisée dans la Creuse a permis de démontrer qu’il était désormais présent sur des animaux dont la morphologie n’a plus grand-chose à envier à des bovins cornus.
Quelque 50 animaux d’âge différent mais tous « génétiquement sans cornes » équitablement répartis entre Charolais et Limousin, des morphologies intéressantes, des éleveurs intéressés… La première journée gène sans cornes organisée fin avril dans la Creuse, à l’initiative commune des deux syndicats Charolais et Limousin du département avec l’appui de la chambre d’agriculture, de Bovins Croissance et du marché au cadran d’Ussel-Chénérailles, a répondu aux attentes de ses organisateurs. Elle a permis d’apprécier sur pieds la morphologie d’animaux d’âge et de sexe différents. Autant de génisses, vaches et taureaux présentés en l’état, sans cette préparation souvent excessive propre à la plupart des reproducteurs présentés sur des concours.
« Avec nos collègues charolais, nous voulions faire connaître l’évolution qualitative des bovins génétiquement sans cornes du département. En Charolais comme en Limousin, nous avons des animaux pour lesquels il n’y a pas ou peu de différences morphologiques avec des 'cornus' », expliquait à cette occasion Pascal Josse, président du syndicat Limousin de la Creuse. « Notre volonté commune était de mieux faire connaître tout l’intérêt de ce gène pour les éleveurs. Il va dans le sens d’une réduction des interventions et donc des contraintes dans la conduite des cheptels », ajoutait Dominique Loulergue, son équivalent pour la race Charolaise.
Moins de risques d’accidents
Qu’ils aient été écornés ou qu’ils soient génétiquement sans cornes, les habituels avantages de ces animaux (moins de risques d’accidents dans les manipulations, animaux moins agressifs donc plus faciles à alloter, pas de cornes cassées…) ont évidemment été rappelés tout au long de cette journée. « Actuellement guère plus de 50 % des broutards et laitonnes commercialisés sur le marché au cadran d’Ussel sont sans cornes. Que cette absence résulte d’un écornage peu après la naissance ou soit liée à la génétique utilisée, il s’agit d’un 'plus' évident. Trop peu d’éleveurs sont sensibilisés à cet aspect. C’est vraiment dommage », soulignait Gilbert Mazeau, président du marché au cadran d’Ussel.
Bien des éleveurs travaillant à diffuser ce gène dans leur troupeau cherchent aussi à anticiper de possibles évolutions de la réglementation sur l’écornage. Même s’il est pour l’instant impossible de donner de date, il n’est pas exclu que l’écornage d’animaux adultes soit à terme une intervention réservée aux seuls vétérinaires afin que l’anesthésie préalable puisse être réalisée dans de bonnes conditions et dans les bons délais. Cette décision irait forcément dans le sens d’une demande accrue pour des reproducteurs génétiquement sans cornes.
La Creuse est aussi un département où quelques bovins ont été concernés l’an dernier par Wohlfahrtia magnifica : une mouche désormais présente dans le Centre Ouest de la France. Elle pond ses œufs principalement sur les ovins mais aussi sur les bovins. La femelle de cet insecte est attirée par tout écoulement de liquides physiologiques (sang, sérosités, sécrétions vulvaires), ce qui explique les localisations des lésions liées à la présence de ses larves. Toute plaie est donc susceptible de l’attirer pour pondre et celles faisant suite à l’écornage en font évidemment partie. Dans la mesure où le nombre de départements concernés par cet insecte risque de s’étendre, l’absence de lésions sur la tête des veaux grâce au gène sans cornes est un atout supplémentaire pour limiter les risques.
Pas de données statistiques
Que ce soit en Creuse ou dans d’autres départements, le gène sans cornes se diffuse peu à peu dans un nombre croissant d’élevages charolais et limousins. Impossible pour autant d’avoir des données statistiques précises sur le nombre d’animaux présentant cette caractéristique au sein des bases de sélection de ces deux races et a fortiori encore moins à l’échelle de l’ensemble de la population.
« La génétique sans cornes intéresse de plus en plus nos adhérents, tout simplement car elle répond à un marché ! Il y a clairement une demande pour ce type d’animaux », précisait Aude Torrent, directrice technique du herd-book charolais. C’est aussi une condition de plus en plus incontournable pour exporter de la génétique. Qu’il s’agisse de semences ou d’animaux vivants, la plupart des pays du Nord et de l’Est de l’Europe n’achètent guère plus que de la génétique sans cornes.
La proportion croissante de taureaux génétiquement sans cornes évaluée dans les différentes stations charolaises est une traduction de la diffusion de ce gène. En 2016, 10 % des taureaux évalués étaient porteurs. En 2017, cette proportion était passée à 16 % (1 % d’homozygotes et 15 % d’hétérozygotes). « Elle était de 19 % pour les animaux évalués sur la campagne 2018-2019 (17 % d’hétérozygotes et 2 % d’homozygotes) », précisait Aude Torrent.
Le frein pour utiliser des animaux génétiquement sans cornes est surtout peu à peu levé dans la mesure où leur morphologie se rapproche de plus en plus de celle de bovins cornus. Mais en Charolais comme en Limousin, il n’existe pas pour l’instant d’études comparatives permettant de chiffrer de façon précise et sur des effectifs conséquents les niveaux de performances (conditions de naissances, taux de mortalité, niveau de croissance sous la mère puis à l’engraissement…) entre veaux génétiquement sans cornes et veaux cornus.
Certains éleveurs limousins présents à Chénérailles mettaient en avant des veaux souvent plus toniques dans les minutes qui suivent leur naissance pour se mettre debout et aller téter. Un possible héritage de la génétique limousine nord-américaine utilisée au départ pour introduire ce gène dans la population française dans la mesure où compte tenu des systèmes d’élevage nord-américains, ces aptitudes sont un impératif côté sélection. D’autres éleveurs soulignaient que si les niveaux de croissance des sans cornes sont encore globalement inférieurs à bon nombre d’animaux cornus, ils tendent en revanche à être plus rapides à finir.
Avis d’expert Jean-Pierre Poujaud, en charge des reproducteurs à Celmar
"La cerise sur le gâteau ! "
« Celmar vend un peu plus de 500 taureaux de monte naturelle par an. À peine 3 % sont porteurs du gène sans cornes et ce sont pour la plupart des hétérozygotes. Nos acheteurs ne faisant pas partie de la base de sélection veulent d’abord de 'bons taureaux' dont la descendance va naître sans difficulté avec par la suite de bonnes performances techniques et économiques. Le fait de pouvoir disposer d’un animal génétiquement sans cornes est apprécié, mais n’est pas une priorité. Entre un 'bon' cornu et un sans cornes 'ordinaire', leur préférence va clairement au premier, mais à aptitudes équivalentes le caractère sans cornes est un plus apprécié. C’est un peu la cerise sur le gâteau ! Cette caractéristique est encore peu répandue au sein de la base de sélection Limousine. À la station d’évaluation Gévial, sur les 55 jeunes taureaux recrutés l’an dernier il y avait seulement deux sans cornes. Avant de rechercher des veaux porteurs de ce gène, nous donnons priorité à de bons veaux mixtes viande qui vont dans le sens de ce qui est recherché par nos acheteurs. Les proportions de veaux sans cornes (2 à 3 %) sont d’ailleurs assez similaires pour les deux ventes que nous organisons à l’automne et au printemps. »
Avis d’expert Pascal Soulas, responsable technique du programme Charolais Univers
"Apporter des garanties similaires à des taureaux cornus"
« En 2018, 19 % des inséminations en race pure réalisées avec des taureaux du programme Charolais Univers l’ont été avec des taureaux génétiquement sans cornes. Dans notre catalogue, qu’ils soient homozygotes ou hétérozygotes pour le caractère sans cornes, nous proposons ce type de taureaux pour tous les différents segments de marché (vêlages faciles, super naissance, renouvellement…). Actuellement en Charolais, un taureau d’IA n’est plus utilisé simplement parce qu’il est génétiquement sans cornes. Pour que les paillettes d’un hétérozygote soient largement utilisées, il faut côté potentiel génétique (facilité de naissance, croissance, qualités maternelles…) apporter des garanties similaires à un bon cornu, sinon ses paillettes resteront dans les cuves des inséminateurs ! Le recours à un homozygote est un atout pour introduire plus rapidement ce gène dans un cheptel. Il incite à une plus large utilisation.
Mais dans un très proche avenir, les taureaux homozygotes devront eux aussi offrir des garanties similaires à des taureaux cornus si on veut qu’ils soient largement diffusés. L’an dernier, trois taureaux hétérozygotes (Jubilo P, Love P et Hiver P) et un homozygote (Indou PP) faisaient partie du « top 10 » des taureaux de la gamme Charolais Univers les plus utilisés en race pure. »
80 vaches et génisses génétiquement sans cornes
Seul à travailler sur son exploitation à Vallière, dans le sud de la Creuse, Daniel Peyrot conduit 110 mères limousines sur 180 hectares. Son cheptel est en plein air avec des vêlages centrés sur septembre. Il est très orienté sur la vente de reproducteurs et les objectifs de sélection visent à disposer d’animaux parfaitement en phase avec le plein air intégral : facilité de vêlage, qualités maternelles en étant notamment intransigeant sur la qualité des trayons. Le gène sans cornes a fait son arrivée dans le cheptel en 2004. « En 1999, j’avais jugé un concours de Limangus en Argentine où tous les animaux étaient forcément polled. Je m’étais rendu compte de tout l’intérêt que pouvait représenter cette aptitude dans nos élevages. J’en avais d’ailleurs discuté à plusieurs reprises avec Louis de Neuville, ancien président de l’ex-Upra Limousine. »
Le premier taureau acère utilisé dans l’élevage de Daniel Peyrot a été Viking. Il était issu de transplantation embryonnaire avec un embryon canadien. L’IA a ensuite été beaucoup utilisée en ayant pour cela recours à différents taureaux utilisés en commun au sein de Polled excellence. Un groupe d’une soixantaine d’éleveurs qui ont travaillé en partenariat avec la société KBS Génétic pour permettre l’introgression de ce gène au sein de leur cheptel. « Actuellement sur les 200 femelles de mon élevage (vaches et génisses de renouvellement), 80 sont des sans cornes. Elles descendent de huit taureaux différents. »
La volonté est de sélectionner une part croissante d’animaux possédant cette caractéristique tout en étant très attentif au maintien des qualités originelles de la Limousine. Une petite quinzaine de mâles sans cornes ont été vendus pour l’élevage l’an dernier. « La demande va croissante en particulier dans les cheptels qui ne font pas partie de la base de sélection. Ils ont eu vite fait de comprendre tout l’intérêt du gène sans cornes côté gain de temps et confort de travail. Dans les années à venir, je pense que pour répondre aux attentes des jeunes générations d’éleveurs, la demande côté reproducteurs va de plus en plus s’orienter sur ce que j’appelle les 'bovins 35 h'. C’est-à-dire des animaux faciles à conduire, calmes et présentant un bon compromis entre facilités de naissance, qualités d’élevage et aptitudes bouchères. Le caractère sans cornes est un plus évident dans la mesure où il se traduit par une intervention en moins à réaliser sur les animaux. »