En Australie
De l'herbe bien gérée en zone sub-désertique
Dans le Nord-Est de l’Australie, également appelé "outback", une famille d’éleveurs a opté pour le pâturage tournant. Elle le met en œuvre dans un système hyper extensif, sur d'immenses parcours sub-désertiques où l’herbe ne pousse guère plus de cinq mois par an.
Dans le Nord-Est de l’Australie, également appelé "outback", une famille d’éleveurs a opté pour le pâturage tournant. Elle le met en œuvre dans un système hyper extensif, sur d'immenses parcours sub-désertiques où l’herbe ne pousse guère plus de cinq mois par an.
Des pâtures partiellement boisées sur 165 000 hectares, 4 000 vaches... L'élevage allaitant de la famille Lord est en tout point dépaysant quand il est observé par un œil français. Ardie Lord, 58 ans, est éleveur dans le Nord-Est de l’Australie depuis presque quarante ans. Avec Kacie, son épouse, Nikko, son fils, et Jade, sa belle-fille, ils sont à la tête d’un élevage conduit, par force, de façon hyper-extensive. Entre le tropique du Capricorne et l’Équateur, à plus de 600 km de l’océan, le climat de leur ferme « Sutherland station » est rythmé par la saison sèche puis la saison humide. « De janvier à mars, nous recevons entre 350 et 450 mm de pluie, essentiellement sous forme d’orages. Il pleut alors presque toutes les semaines, ensuite c’est beaucoup plus rare », explique Ardie. L’herbe pousse donc cinq mois par an, de janvier à mai. Puis, de juin à décembre, les animaux doivent utilisr des stocks sur pied. C’est la base du système extensif australien. La bonne gestion de l’herbe durant la saison des pluies est primordiale pour passer ensuite la saison sèche sans trop de difficultés, à condition d'avoir des animaux capables de se contenter une bonne partie de l'année d'une herbe grise, dure, sèche, à la fois bien peu appétente et nourrissante.
Les conditions climatiques extrêmes et la taille des exploitations ne permettent pas la culture de prairies temporaires. On retrouve uniquement les trois graminées naturellement présentes dans les paddocks. Aussi, la gestion du pâturage a un rôle primordial. En fonction de la nature des sols et du mode de gestion retenu pour l’herbe, le chargement oscille selon les exploitations entre une UGB pour huit hectares et une UGB pour quarante hectares. En 2017, Lord Pastoral a géré un total de 10 000 têtes sur 165 000 hectares, et cela a nécessité un très bon suivi des deux paramètres de base que sont l’abreuvement et la mise en place des clôtures.
Homogénéiser le pâturage
Dans un paddock plat et ouvert, une vache doit avoir un point d’eau tous les deux kilomètres. Autrefois assuré par des canaux, l’abreuvement est désormais permis par un ensemble de conduites d’eau associant haut débit et bas débit, et permettant de ce fait de pallier les arrivées de grands troupeaux. Cela va dans le sens d’une meilleure homogénéité de la pression de pâturage dans la mesure où cela évite les phénomènes de sur-pâturage ou au contraire de sous-pâturage lorsque les distances entre les points d’eau s’allongent.
De juillet à décembre, l’herbe est si sèche que sa valeur nutritive avoisine celle d’une mauvaise paille. L’apport en protéines est insuffisant pour permettre aux animaux de prendre du poids. En suppléments de blocs à lécher, de l’urée est alors injectée dans l’eau du réseau de façon à permettre de rééquilibrer la ration.
L’organisation des propriétés est aussi un critère important de rentabilité dans l’outback australien, où les distances sont importantes. La configuration du parcellaire, le positionnement des clôtures pour la gestion des stocks d'herbe sur pied mais également la localisation des parcs de tri et chargement influent beaucoup sur la capacité de répondre aux appels d’offre de dernière minute. « Parfois il faut être capable de rassembler un lot d’un millier de bovins pour finir de compléter un bateau, et nous n’avons que quatre heures entre le coup de téléphone et l’arrivée du camion. Mais le jeu en vaut la chandelle, surtout dans le troisième pays le moins subventionné du monde », souligne Ardie Lord.
Bonne productivité numérique pour l’Australie
Ce dernier a acheté ses 12 000 premiers hectares en 1979 et, depuis, n’a jamais cessé d’agrandir sa propriété au gré des opportunités. Avec son épouse, ils ont toujours parié sur les évolutions à la hausse de la demande et des cours. Il détient aujourd’hui en propriété un peu plus de 140 000 hectares. Mais surtout, depuis les années 1980, Ardie et Kacie sont dans leur pays les pionniers du pâturage tournant. « Le pâturage conventionnel consiste à maintenir chaque troupeau sur un même paddock tout au long de l’année, et à faire varier le nombre de têtes pour suivre la pousse de l’herbe. Mais ce système n’était pas assez efficace à notre goût. Notre objectif était de mieux gérer les stocks sur pied pour avoir encore suffisamment d’herbe à Noël et, pour cela, de ne pas la gaspiller au moment où elle pousse le plus, pendant la saison des pluies. »
Mieux gérer la ressource pour augmenter le chargement
Après plusieurs années de recherche, la simple rotation arbitraire dans des paddocks identiques est abandonnée. Sans oublier de prendre en compte l’hétérogénéité des surfaces, la famille Lord a défini sept principes fondamentaux du pâturage et une méthode rigoureuse qui lui permet de faire correspondre l’apport en herbe du paddock et le besoin des animaux qui sont présents.
La base de la méthode repose sur la gestion du temps de pâture en fonction de la quantité d’herbe présente, du nombre d’animaux à nourrir et de la quantité d’herbe souhaitée à la sortie du lot du paddock. Pour cela, à chaque type de bovin est attribué une valeur de consommation en LSU (Live Stock Unit ou Unité de bétail vivant). L’unité est le mâle castré de 400 kg. Par exemple, une vache pleine équivaut à 2,68 LSU, alors qu’une vache vide équivaut à seulement 1,45 LSU. Ensuite, régulièrement une estimation de la quantité d’herbe est effectuée dans chaque paddock. L’estimation est faite en jours de stock par hectare. Autrement dit, après la saison des pluies, un paddock où l’on estime 95 jours de stock par hectare présente assez d’herbe pour nourrir 1 LSU pendant 95 jours, ou 95 LSU pendant 1 jour.
À partir de là, la gestion du pâturage sur plusieurs milliers d’hectares se résume à un algorithme sur un ordinateur, et une bonne observation des paddocks. En procédant ainsi, Ardie Lord a réussi à quadrupler le chargement sur certains des parcours de son exploitation. « Autrefois quand 200 vaches survivaient, 800 sont désormais à l’aise », explique Ardie. Ces évolutions ne sont pas généralisables sur l’ensemble de l’exploitation mais, à surface identique, dix ans de cette gestion raisonnée et planifiée du pâturage ont permis de doubler l’importance du cheptel. Cela a aussi et surtout permis de consacrer une partie des surfaces de l’exploitation à la production de foin. « Chaque année, entre 20 000 et 30 000 balles de 120x90 cm sont vendues à travers le Queensland pour nourrir les animaux pendant les périodes de rassemblement dans les parcs. C’est la crème de notre business ; nous réalisons 50 % de marge sur un produit purement issu de la qualité du management du pâturage de nos animaux », souligne Nikko Lord.
Alors que l’érosion et la perte de rendement deviennent problématiques sur bon nombre de propriétés australiennes, la gestion du pâturage telle que la développe cette exploitation apparaît comme une réponse pertinente, réalisable et surtout rentable ! Les analyses de sol font même état d’une progression de la teneur en matière organique du sol et donc de sa capacité de rétention en eau… Avec, dans cette zone de l’Australie, une saison sèche de neuf mois et seulement 450 mm d’eau par an, rares sont ceux qui ne s’y intéressent pas !
Une génétique adaptée à base de Brahman
Sous des températures qui atteignent régulièrement 50°C en été et une herbe sèche et clairsemée, l’adaptation des animaux est primordiale. Les races européennes ne sont pas adaptées au désert australien. Chaque éleveur travaille sur un croisement spécifique afin d’obtenir des animaux dont les caractéristiques sont adaptées à sa façon de travailler. Les zébus Brahman sont les plus rustiques. Ils prédominent dans les régions les plus arides. Lorsque l’on s’approche de la côte, d’autres races plus typées viandes apparaissent dans les croisements. Ardie Lord a, pour sa part, choisi d’élever des croisés associant pour la plupart de ses animaux un quart de sang Angus pour trois quarts de sang Brahman. Cela reste un pourcentage variable. Sur le plan pratique, les vaches sont conduites avec des taureaux Brahman ou croisés Angus/Brahman de façon à maintenir ce même pourcentage de sang, et allier les qualités de viande et de persillé apportés par l’une à la rusticité de l’autre. Les bouvillons sont vendus autour de 2 ans et pèsent alors pour la plupart un peu plus de 350 kg. Les plus typés Angus sont généralement achetés par des engraisseurs spécialisés pour être finis en feed-lot sans quitter l'Australie. Ceux qui tiennent davantage du Brahman sont souvent exportés sur pied vers l'Indonésie. Le prix moyen de ces animaux est d’un peu moins de 2 € du kilo vif entre aout et octobre et plus proche de 2,25 € en fin d’année.
Conforter les croissances avec du sorgho pâturé
Avec seulement 70 veaux sevrés pour 100 vaches présentes, le taux de perte est très élevé. Pas question pour autant de surveiller les vêlages, ni de protéger les veaux des attaques des prédateurs dans des paddocks dont la superficie oscille entre 200 hectares et 5 000 hectares. Améliorer les croissances post-sevrage est considéré comme la principale possibilité d’améliorer le nombre de kilos produits. Habituellement, une complémentation des jeunes est apportée entre le sevrage (autour de 140 kg vif à environ 5 mois) et les 220 kg. Mais son coût apparaît élevé pour un résultat modeste. Entre 150 et 350 kg, le GMQ d’un bouvillon est d’environ 400 g. En choisissant de miser sur du sorgho irrigué puis pâturé, l’objectif est de conforter les croissances tout en réduisant le niveau de la complémentation à l’auge. Le sorgho irrigué permet un rendement en matière sèche supérieur aux graminées classiques, tout en fournissant un fourrage dont les qualités sont sans commune mesure avec l’herbe dure et desséchée dont les animaux doivent se contenter pendant la saison sèche.
Cette année, le semis sur l’exploitation de deux parcelles de 50 hectares de sorgho a attiré l’attention de tout l’État du Queensland. En utilisant ces deux parcelles, l’objectif est d’atteindre 0,75, voire 0,85 kg de GMQ sur les bouvillons, soit un quasi doublement des performances habituelles. L’enjeu est énorme vu le nombre d’animaux concernés et le gain de poids vif escompté.
Des kilomètres de clôture
Il y a cinquante ans, la région était peuplée de brebis. Aujourd’hui, il n’y a plus que des vaches. Aussi les kilomètres de clôture sont passés d’un simple grillage à quatre rangs de barbelés avec un piquet tous les trois à cinq mètres. La préparation est rigoureuse, avec un passage de niveleuse pour surélever le niveau de la clôture de quelques centimètres de façon à accroitre son efficacité.
La progression du nombre de kangourous et de chiens sauvages devient un vrai problème. Les kangourous peuvent consommer de 5 à 40 % de l’herbe, et les dingos (chiens sauvages au comportement proche des loups) font chuter le nombre de veaux sevrés par vache en tuant et dévorant les plus jeunes. Sur certaines propriétés, des clôtures d’exclusions sont mises en place pour éviter ces pertes, et cet investissement est parfois rentabilisé en seulement un an.