Gestion : comment échanger des parcelles agricoles ?
Les échanges temporaires ou définitifs de foncier, entre propriétaires ou fermiers, permettent d’optimiser son parcellaire.
Les échanges temporaires ou définitifs de foncier, entre propriétaires ou fermiers, permettent d’optimiser son parcellaire.
Au fil des héritages, des achats, des baux, le parcellaire d’une ferme n’est pas toujours rationnel par rapport à l’usage qu’elle en fait. Il peut être intéressant de créer des îlots plus vastes, moins enclavés, plus proches d’un bâtiment, pour développer le pâturage à proximité du bâtiment, créer des parcours, économiser du fuel, réduire le temps perdu en déplacements… Autrefois, on pratiquait des remembrements, aujourd’hui décriés et qui souvent engendraient chez les éleveurs des amertumes. On privilégie dorénavant d’autres mécanismes juridiques : les échanges temporaires ou définitifs entre deux locataires ou propriétaires qui sont plus consensuels et plus souples.
Échange de baux
Deux fermiers peuvent suggérer à leurs bailleurs respectifs un échange. Dans ce cas, les baux en cours se poursuivent pour la même durée, mais avec des parcelles différentes et forcément des montants de fermages ajustés. Si le locataire A exploitait 10 ha de pré de classe 1 sur lesquelles il récoltait foins et regains, il pourra échanger avec le B 14 ha de pré pâturable de classe 2 ou 3, pour un loyer équivalent ou inférieur. Il n’y a aucune obligation d’équivalence en surface ou en valeur locative. C’est ce qu’ont fait Beñat Molimos et Beñat Bassagaistéguy, tous deux éleveurs de blondes d’Aquitaine à Bunus dans les Pyrénées-Atlantiques.
Ils ont profité d’une demande de modification d’un bailleur pour solliciter cet échange. « Mieux vaut arriver avec un projet bien avancé : nouvelles surfaces dessinées, fermages déjà recalculés, transferts de DPB, prise en charge des clôtures déplacées », avertit Beñat Bassagaistéguy. En effet, le point de blocage se situe souvent au niveau des propriétaires qui craignent de changer de preneur, ne faisant confiance qu’à celui qu’ils connaissent de longue date.
Échange de parcelles louées
C’est pourquoi, le Code rural prévoit à l’article L411-39, une règle plus coercitive. Deux fermiers peuvent, non pas s’échanger leurs contrats, mais une partie des parcelles qu’ils louent pour la durée du bail restant à courir ou une autre durée plus brève, qu’ils définissent, en le notifiant à leurs bailleurs par lettre recommandée avec accusé de réception.
Le propriétaire qui désapprouverait devrait saisir le tribunal paritaire des baux ruraux, dans les deux mois. À défaut, il est réputé avoir accepté l’opération. Le tribunal ne s’y opposerait que si le bailleur avait un juste motif. Pour le bailleur, l’échange n’a aucun impact. C’est toujours son fermier initial qui lui verse le même fermage, qui est responsable de modalités d’exploitation, qui bénéficie du droit de préemption, etc. Autrement dit, juridiquement, le locataire demeure le preneur initial, mais en pratique celui qui travaille les terres est un tiers.
Si le bailleur constate des actes d’exploitation qui dégraderaient son fonds, comme l’arrachage des clôtures par exemple, il engagerait la responsabilité de son fermier et non du tiers.
Des départements limitent la surface échangeable, mais elle est au minimum de la moitié de la surface totale louée et plafonnée au cinquième du seuil de déclenchement du contrôle de structures du département par nature de culture.
Échange définitif entre propriétaires
En application des articles L124-1 et suivants du Code rural, des propriétaires, exploitants ou pas, peuvent aussi s’échanger définitivement des terres. Ces échanges bilatéraux ou multilatéraux se concluent devant notaire puisqu’il y a un transfert de propriété. Un bornage est souvent nécessaire. L’équilibre des lots par une équivalence de surface et de qualité de terre est rarement possible. La différence, dite « soulte », est donc versée en argent. Seule cette soulte est soumise à la taxe de publicité foncière.
Une partie des frais de notaire peut être prise en charge par le département si son utilité est agréée par la commission d’aménagement foncier. Les parcelles échangées doivent, dans ce cas, être situées dans le même canton, ou dans une commune limitrophe de celui-ci, ou les immeubles échangés sont contigus.
Les Droits à Paiement de Base freinent les échanges
La faisabilité de ces échanges est cependant freinée par les primes PAC à la surface. En effet, si les parcelles échangées ne sont pas de la même surface, un des deux agriculteurs – celui qui sera moins doté à l’issue de l’échange – perdra des droits à prime (lire le cas pratique).
Toutefois, cette perte financière peut être largement compensée par des économies de charge. Par exemple, la chambre d’agriculture de Normandie a estimé qu’exploiter une parcelle de 10 hectares de maïs située à 10 km plutôt qu’à 2 km des bâtiments d’exploitation équivaut à une dépense de 2 500 euros par an (somme des transports et déplacements nécessaires à l’exploitation de cette parcelle).
En pratique
Sabine a une parcelle de 3 ha, d’une valeur de 15 000 euros plutôt en pente, à 5 km de distance de son siège. Elle y fait faire des foins et regains en prestation de service, pour ne pas y déplacer son matériel. À côté de l’étable de Sabine, Olivier a une parcelle de 2 ha, plate d’une valeur de 13 000 euros. Olivier pourrait envoyer ses génisses à 5 km, chez Sabine pour pâturer, car il exploite déjà là-bas d’autres parcelles. Ils décident de s’échanger en propriété ces parcelles. Olivier versera une soulte de 2000 euros à Sabine. Sabine ne pourra plus activer que 2 DBP sur sa nouvelle parcelle près de l’étable, elle perdra donc environ 215 euros par hectare par an de PAC. Ayant un DPB supplémentaire, inactivable, elle le transférera gratuitement à Olivier pour le convaincre de lui laisser les 2 ha près de son étable.
Des intérêts aussi sur la biosécurité
La Safer Nouvelle-Aquitaine, le GDS et la chambre d’agriculture de Dordogne ont incité les éleveurs du Périgord Nontronnais à procéder à des échanges pour prévenir la tuberculose bovine. « Le but était de les aider à restructurer leur exploitation pour éviter au maximum les fils à fils et leur permettre de mettre en place des mesures de biosécurité (doubles clôtures, plantation de haies…) », explique Nathalie Perelle, chargée d’étude à la Safer Nouvelle-Aquitaine. C’est le cas de Christophe Forgeneuf, éleveur de limousines à Saint-Saud-Lacoussière en Dordogne : il a échangé en 2023 avec Philippe Garat 4 ha et implanté 350 m de haie mitoyenne le long de leur seul côté contigu restant.
En tout, près de vingt-huit hectares ont été échangés par quatorze propriétaires exploitants et bailleurs, conduisant à la suppression de 5 000 mètres linéaires de zones de contacts potentiels entre les troupeaux.